Retrouvez la vie des marques sur www.ilec.asso.fr
Accueil » Revue des Marques » Sommaire » La revue des Marques numéro 86
Top
Revue des marques : numéro 86 - avril 2014
 

Harrys, l’a-mie pleine de douceur

D’origine française, Harrys a longtemps joué la carte américaine. Sans retirer cette dernière du jeu, la marque met davantage le cap sur la France, avec des produits plus que jamais moelleux et gourmands.

par Jean Watin-Augouard


harry's
« Avez-vous déjà goûté ce qui fait rêver les gourmands ? », interroge Harrys (1) dans une publicité pour le lancement, en 2013, de Beau & Bon, un pain de mie à la farine moulue sur pierre. Sur fond de C’est si bon (2), chanté par la voix chaude de Louis Armstrong, il vient enrichir la gamme lancée en 2010. La même année, une petite fille, lovée dans un fauteuil confortable, rêve que celui-ci prend la forme d’un gros ours bien doux, rassurant… moelleux comme un pain de mie ! Reality, la musique du film La Boum, apporte sa touche de douceur ! Nul doute, « ça va mieux quand c’est moelleux », résume depuis 2012 le slogan. « La qualité, la fraîcheur, et le moelleux », trois maîtres mots chez Harrys, analyse Géraldine Fiacre, directrice marketing Western Europe. « Le moelleux associé à la fraîcheur des produits, au réconfort, est l’attente numéro un sur la catégorie pain de mie, puisque 44 % des consommateurs palpent le produit », ajoute-t-elle (3). Leader des marques nationales sur la catégorie du pain (32,6 % PDM volume - source : panel distributeur), loin devant Jacquet (14,1 %), Harrys est challenger dans la viennoiserie (13,6 %) derrière brioche Pasquier (33,6 %) mais leader également sur les brioches tranchées (34,1 %).

America first

Aussi moelleux qu’un rêve, 2010
Aussi moelleux qu’un rêve, 2010


Raymond et Paul Picard
Raymond et Paul Picard

1985, l’American Sandwich et 1970, l’American Bread
1985, l’American Sandwich
1970, l’American Bread
C’est à Châteauroux que débute la saga. Paul Picard, fils de Raymond Picard (1913-1996), fondateur de la biscotterie Picard-Auga (4), crée, en 1965, une fabrique de pains de mie. L’idée lui est venue de présenter ce nouveau produit – Jacquet vient de lancer son pain de mie en 1959 – après un voyage aux États-Unis destiné à acheter du matériel pour la biscotterie de son père. Il propose sans succès à ce dernier de s’associer avec lui. Obstiné, Paul Picard suit sa route, sûr de trouver dans Châteauroux suffisamment de consommateurs ! De fait, une base de l’OTAN y accueille depuis 1951 quelque 6 000 américains, pour une ville, à l’époque, de 40 000 habitants (5). Sa société, Sopani, se spécialise alors, grâce au savoir-faire américain, dans la fabrication du pain de mie, distribué sous les marques Casino, Cercle Rouge et Beaumont (Nouvelles Galeries). Changement de cap en 1970 : une étude marketing conduit au lancement de l’American Bread, le premier pain de mie américain produit et commercialisé en France, sous la marque Harry’s (6). Et si le pain de mie s’était appelé Henri (7) ? Aurait-il connu le même destin ? La marque devient le nom de la société en 1977. L’imaginaire associé à l’Amérique singularise toujours le territoire de la marque quand elle lance les burgers en 1973, l’American Sandwich – avec ses tranches plus grandes et plus moelleuses – en 1984, Harry’s Schooly’s – des brioches fourrées à la confiture ou à la crème de cacao – en 1992 (en réponse à Pitch lancé par Brioche Pasquier en 1986) et les Extra de Harry’s – des brioches tranchées pur beurre. « Harry’s, c’est oui d’office », déclare la publicité. « La qualité, elle, revendique l’héritage gastronomique français », précise Géraldine Fiacre. Dans les mains du groupe industriel belge Artal depuis 1989, Harry’s se diversifie dans la viennoiserie en rachetant, en 1991, l’enseigne de boulangerie ADCL (Aux délices de la côte de lumière), fondée en 1970 par Eugène Bulteau aux Sables-d’Olonne. Ce dernier avait créé des viennoiseries inspirées de recettes de brioches vendéennes et fabriquées dans son usine à Talmont. ADCL et Harry’s fusionnent au sein d’Harry’s France en 1996 – l’ensemble compte alors quatre usines, six aujourd’hui (8). Signe du succès, l’usine du Grand Pré (Châteauroux), ouverte en 1973 sur 3 000 m2, occupe en 2000 – l’année où Harry’s devient leader de la boulangerie préemballée – 30 000 m2, soit dix fois plus ! Cette année-là, DooWap (9), la brioche de poche fourrée lancée en 1997, propose aux jeunes : « mets l’Amérique dans ta poche ». Les États-Unis, toujours, avec le film Road movie (2001-2002) ou la mise en scène d’un monstre dans un jardin new-yorkais en 2005. « Mangez du moelleux, ça ira mieux », conseille alors Harry’s.

De l’Amérique au moelleux

Logo Harry's de 1970 à 2013
Un tournant s’amorce dans la deuxième moitié des années 2000, « l’Amérique, celle de Bush et de la mal bouffe, semble moins à la mode », rappelle Géraldine Fiacre. Si Harrys n’entend pas pour autant tourner la page américaine, du moins entend-elle mettre davantage en avant la qualité du produit et sa touche française. Une publicité met en scène un boulanger, les produits adoptent des noms français comme 100 % Mie en 2004, premier pain de mie sans croûte (innovation brevetée) – le moelleux dans son expression totale, devenu leader des sans croûte avec 56 % (PDM volume) –, Beau & Bon en 2010 – pour une gamme de trois recettes de pain de mie haut de gamme –, puis Beau & Bon Pour vos repas en 2013 – trois boules tranchées de pains de table gourmands –, qui étendra sa gamme en 2014 à une recette de burger et trois recettes de brioches. Harry’s n’affirme-t-il pas en 2004 que « sa langue maternelle, c’est le moelleux » ? Le logo va peu à peu perdre de son américanité en abandonnant la drapeau américain : en 2005, les étoiles sont remplacées par des épis de blé et les rayures transformées en store de boulangerie sur lequel est écrit « pains-viennoiseries » ; en 2009, le store est modernisé et un épi entoure Harry’s. La marque perd son apostrophe et ses épis en 2011 tandis que le store cède la place à des tranches de pain de mie. « On a réussi à trouver un bon équilibre en gardant les valeurs positives de l’Amérique, la modernité, la liberté, la générosité tout en insufflant des valeurs plus “ françaises ”, la qualité et le partage », explique Géraldine Fiacre. Le blé utilisé est 100% d’origine française, ainsi qu’il en est fait mention sur l’emballage. Malgré ce changement d’orientation, American Sandwich demeure néanmoins la gamme numéro un de Harrys,
Doo Wap Harry's
l’esprit américain restant la principale source d’inspiration de la marque. Soulignons que, comme Hollywood Chewing Gum, bien qu’arborant un nom américain, Harrys est une marque d’origine française, fabriquée en France. Son évolution, effectuée par petites touches, illustre néanmoins le passage d’un nouveau cap pour la marque qui, durant ces années, a changé une deuxième fois de propriétaire. En 2003, Barilla a conclu un accord avec Artal Luxembourg SA pour le transfert de 51 % du capital de Harry’s SAS. Le groupe italien rachète la totalité du capital en 2007 et fusionne, le 1er janvier 2009, Harry’s France avec Barilla France. Entre temps, Harry’s a acquis, en 2005, Quality Bakers Picardie, société fabriquant et commercialisant des bun’s, renommée alors Harry’s Restauration. Entrée dans le précuit en 2005 avec des pains précuits sur sole de pierre –briochettes et minibaguettes baptisées Les Dorés Maison, à faire cuire chez soi en huit minutes – Harrys abandonne, en 2009, cette troisième activité largement préemptée par les MDD (77,3 % des volumes). Et concentre ses investissements en développant une nouvelle ligne pour 100 % Mie à l’usine de la Plaine de l’Ain, près de Lyon (14 millions d’euros) en 2012 et en transférant en 2013 pour 30 millions d’euros l’usine historique de Châteauroux, enclavée dans la ville, sur le site de Malleterie pour en faire le premier site en France.
 

Good for you, good for the planet

pub Harry's
Si le marché boulangerie-viennoiserie-pâtisserie s’est ouvert depuis les années 1970 à de nouveaux acteurs (10), et si le pain préemballé, autrefois considéré comme un produit de dépannage, a acquis le statut de produit à part entière (taux de pénétration de 90 %), complémentaire du pain « normal » croustillant, grâce à sa durée de vie plus longue et à sa texture moelleuse – que l’on peut utiliser selon ses goûts –, il demeure encore largement aux mains de la boulangerie traditionnelle. 66 % des consommateurs français poussent quatre fois par semaine la porte de leur boulangerie pour acheter du pain, quand la grande distribution enregistre par foyer seulement 15,6 actes d’achat de pain par an et 15,7 actes pour l’achat de viennoiserie. « La boulangerie traditionnelle représente 87 % des volumes, versus 13% pour la boulangerie industrielle, aussi les perspectives de croissance sont-elles fortes », souligne Géraldine Fiacre. Pour augmenter la fréquence d’achat et les occasions de consommation, Harrys met en scène l’univers moelleux de ses produits dans quatre moments bien identifiés, avec des messages déclinés en PLV et en presse : le petit-déjeuner (« au réveil, le moelleux, j’en fais ce que je veux »), les repas (« vous aussi, adoptez le moelleux à chaque repas »), le goûter (« au goûter, le moelleux, c’est trop fun »), et les moments festifs (« à chaque occasion, le moelleux, je le partage ». La signature de la marque confirme, bien sûr, depuis 2012, que « Ca va mieux quand c’est moelleux ».
mini sandwichs Harry's
Démontrer, c’est approuver. Aussi, en vue de recruter de nouveaux consommateurs, Harrys développe ses ateliers dans cinq points de vente en 2010, 60 en 2013 et 90 cette année, afin de faire découvrir, quatre jours durant, les recettes que l’on peut faire avec du pain et des viennoiseries (11). La marque vient de signer un livre de recettes dans la collection des guides Marabout et propose également un coffret Mini Sandwichs, regroupant un manuel de recettes, six pochoirs ou formes différentes (coeurs ou fleurs) et un piston pour découper les mini sandwichs. Pour combattre le scepticisme et les doutes sur la composition des produits, Harrys a supprimé dans sa gamme de pains, dès 2008, les matières grasses hydrogénées, puis les additifs et en 2013, l’huile de palme. Le groupe Barilla n’a-t-il pas pour règle d’or, fixée par Pietro Barilla : « Donnez à manger aux gens ce que vous donneriez à vos propres enfants ».
 

Notes

1 Cet article conserve le « ’s » de Harry’s jusqu’à la partie consacrée à l’après 2011.
2 La même chanson sera utilisée avec la voie d’Yves Montand par McDonald’s en 2012 pour sa McBaguette.
3 Marque reconnue comme la plus moelleuse vs la concurrence (Brand Health Tracking, Millward Brown, 2012) : 67 % en pain (vs 32 % pour Jacquet et 7 % pour la MDD) ; 43 % en viennoiserie (vs 40 % pour Pasquier et 4 % pour la MDD)
4 Auga sera racheté par brioche Pasquier en 2005.
5 Ils y resteront jusqu’en 1967, quand le général de Gaulle décida alors de retirer la France du commandement militaire intégré.
6 Un nom qui rappelle aussi bien celui du président Harry Truman que le Harry’s Bar à New York.
7 Au Moyen Âge, en Angleterre, la cour de Guillaume le Conquérant parlait français, Henri était donc un prénom courant. Il devint Henry avec, pour diminutif Harry.
8 En juillet 1995, Artal rachète la marque de pain de mie Turner et son usine de Vigny, qui fermera en 2000.
9 Le nom Doo Wap tire son origine de Doo wop, onomatopée désignant du rhythm and blues, ou R&B (R’n’B). Le loup figurant sur le packaging avait une clarinette !
10 Jacquet (1959), Brioche Pasquier (1974), La Boulangère (1985), La Fournée dorée (1997), Pain Concept (bio depuis 2001), Panorient (pains exotique), l’anglais Warburtons et les MDD (44,4 % volume en pain et 36,4 % en viennoiserie).
11 Taux de pénétration Harrys sur le pain : 57,1 % ; sur la viennoiserie : 24,6 %.
Le Code de la propriété intellectuelle n'autorisant, d'une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privée du copiste et non destinées à une utilisation collective, et d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayant cause est illicite. Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle
Bot