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Revue des marques : numéro 01 - Janvier 1993
 

Saga Banania

Banania
Banania
Plus que toute autre marque, Banania s'est faite depuis quatre-vingts ans, le témoin de son temps. A chaque époque, elle a su s'adapter et participer activement à la création d'une France meilleure. Un optimisme entretenu par l'ami Y'a bon dont le souvenir a tenu bon.
par Valérie Mitteaux
Ya bon Banania !
A partir des années Trente,
Banania fidélise déjà sa
jeune clientèle par des
"gadgets" représentant
l'ami Y'a bon sous de
multiples formes : en
présentoir, en anse
d'emballage, en découpage.
En 1992, Banania a fêté ses quatre-vingts ans. A cet âge, bon nombre d'hommes politiques ont déjà écrit leurs Mémoires. Un réflexe que n'ont pas encore toutes les entreprises. Aussi, l'ouvrage retraçant le succès de Banania mérite-t-il d'être salué. Au-delà d'un propos nostalgique, certaines marques, lorsqu'elles se penchent sur leur histoire, ne se contentent pas d'une évocation passéiste. Elles se présentent plutôt comme des témoins de l'Histoire, accompagnant et participant aux grands événements économiques, historiques et politiques de leur pays. Sorte de "métaphore sociale", Banania en est un parfait exemple. Elle naît en 1912 à l'initiative de Pierre-François Lardet, banquier, puis journaliste spécialisé dans l'art lyrique. Rien ne prédisposait ce personnage mondain à devenir le créateur de Banania. Mais l'homme fourmille d'idées et possède un indéniable instinct commercial. C'est à son infatigable goût pour les voyages que l'on doit cette idée géniale. Au début du siècle, Pierre-François Lardet court le monde comme envoyé spécial pour couvrir les grands événements du théâtre et de l'opéra. En 1909, de retour du Brésil, il décide, par curiosité, de faire un crochet par le Nicaragua. Mais le pays est en pleine guerre civile. Par prudence, il se réfugie dans un village indien au bord du lac Managua. Accueilli comme un roi par les habitants, il y découvre un délicieux breuvage préparé par les femmes indiennes. Cette boisson régionale se compose de farine de banane, de céréales pilées, de cacao et de sucre. C'est dans ce site enchanteur que va naître l'idée de lancer un produit similaire en France.

Enfant-roi et euphorie coloniale

Pierre-François Lardet
Pierre-François Lardet aux
alentours de 1910. C'est à
cette époque qu 'il
découvre, au cœur de la
forêt tropicale, les grands
cacaoyers sauvages et un...
délicieux breuvage.
Une idée germe.
Mais les indiennes gardent jalousement les secrets de leur recette. Pierre-François Lardet, alors journaliste, devra attendre deux ans avant de concrétiser son idée. Avec l'aide d'un ami pharmacien, il essaie de mettre au point la recette de cette boisson qu'il ne peut oublier. Après de nombreux essais, une composition satisfaisante est enfin obtenue. Après l'acte de naissance, l'acte de baptême : c'est à Blanche Lardet, sa femme, que l'on doit le nom. Banania désignera ce breuvage "exquis, nutritif et idéal pour élever les enfants". Le nom évoque bien sûr la banane - produit de luxe à l'époque - mais surtout le goût de l'enfance, gage de son succès. La fortune de Blanche aidant, l'aventure peut commencer. Epaulé par son épouse aussi imaginative qu'entreprenante, il s'installe rue Lambrecht à Courbevoie, où la fabrication démarre avec seulement quelques ouvriers. L'idée du produit, son nom, rencontrent les interrogations de l'heure. La Belle Epoque marque à la fois l'avènement de l'enfant- roi et les débuts de l'euphorie coloniale. La natalité décline et à défaut de familles nombreuses, on choie l'enfant unique. Une attention qui passe par une meilleure alimentation. Banania, avec ses ingrédients reconstituants et toniques, "construit" l'enfant, tout comme la France construit son empire.

Banania fait gagner la guerre !

aexposition coloniale
La première exposition
coloniale française
témoigne en 1906 de la
puissance commerciale de
Marseille, "porte de
l'Orient". Pierre-François
Lardet utilise alors le mythe
colonial et son imagerie
pour lancer Banania.

Première affiche Banania
Sans doute la toute
première affiche Banania.
L'euphorie coloniale est à
son apogée. La promotion
de Banania se fait alors par
voie de réclame Ici, une
Antillaise qui apporte
"vigueur, énergie, force et
santé" à la population,
toutes classes confondues.

première boite Banania
La toute première boîte
bleue de Banania, produite
en 1912. Une Antillaise
apparaît alors avec des traits
européens
"La République avec Jules Ferry a su éduquer ses enfants, elle ne sait toujours pas les nourrir" explique Jean Garrigues, auteur de l'ouvrage. De fait, la majorité de la population souffrait de carences en lait, viande, fruits et vitamine A et C, préjudiciables à la croissance.
Parallèlement, le rêve colonial, le mythe de la France d'outre-mer bat son plein : Jules Verne et les récits d'explorateurs sont très en vogue. L'imagerie populaire fait une large place à la représentation de tous ces continents inconnus. La réclame, elle-même, utilise des illustrations "exotiques". De faible ampleur au début des années 1880, la colonisation a fait passer en moins de trente ans la superficie colonisée de 900.000 kilomètres carrés à près de 12 millions.

"L'expansion coloniale est une nécessité de la vie des peuples tout comme la marche est un besoin pour la santé" lisait-on dans les manuels de géographie de 1907. Pierre-François Lardet aurait pu reprendre à son compte cette affirmation en remplaçant "marche" par "Banania" ! Cet engouement pour les colonies, ce désir de mieux élever les générations futures constituent un dérivatif aux blessures d'amour-propre consécutives à la défaite de 1870. Banania s'en fait alors l'écho. L'association de deux produits coloniaux - le chocolat, plaisir des gourmands depuis trois siècles et la banane introduite en Europe depuis deux décennies seulement - va ancrer Banania dans l'univers colonial. Une Antillaise anime les boîtes rondes en métal de couleur bleue, même si elle apparaît au début avec une pâleur et des traits très européens. On est loin de Managua et de l'Amérique centrale. Mais Pierre-François Lardet n'oublie pas son métier de journaliste. En prise directe sur l'actualité, il sait décrypter les signes de l'époque. Son idée, que l'on pourrait qualifier d'opportuniste, est surtout un coup de génie magistral. La promotion de Banania se fait alors par voie de réclame qui met en avant sa valeur nutritionnelle et sa dimension coloniale. Et la Grande Guerre lui donne l'occasion de confirmer son à-propos commercial. Banania sera la boisson reconstituante de la France en guerre. Et, consécration nationale, Pierre-François Lardet fait expédier un train de quatorze wagons chargés de Banania. Aliment idéal des nourrissons, Banania peut être aussi celui des adultes et, nécessité oblige, celui des soldats sur le front. L'arrivée des boîtes bleues vient égayer la grisaille des tranchées. Effort de guerre, mais surtout géniale promotion car ces soldats épuisés n'oublieront pas ce breuvage réconfortant une fois rentrés dans les foyers. Banania a acquis ses galons nationaux et Pierre-François Lardet la Légion d'honneur. Comme le racontent les illustrateurs Leven et Lemonier dans une bande dessinée parue en 1916, Banania serait même "une des causes de la victoire française". "C'est pour faire main basse sur l'unité de Courbevoie", dit la légende du dessin, que le Kaiser Guillaume II, alerté par son fils le Kronprinz, a lancé sa garde prussienne sur Paris, et c'est ainsi que Joffre et ses poilus ont pu leur infliger "une de ces volées qui font époque dans l'histoire militaire" !

La légende de Y'a bon Banania

le tirailleur sénégalais
Supplément illustré au Petit
Journal : le tirailleur
sénégalais veille sur les
fortifications françaises
du Maroc.
Dans ces mêmes tranchées et en première ligne se trouvent également les fameux tirailleurs sénégalais. Ils sont déjà connus pour leur conduite exemplaire pendant la pacification du Maroc. Très populaires en France, ils sont reconnus comme des héros, même s'ils sont implicitement jugés de race inférieure. Des cartes postales, très en vogue, illustrent leur bonhomie enfantine. Ils y sourient de toutes leurs dents et les légendes, sans malice, reprennent selon les situations l'expression la plus courante que ces braves soldats répètent fréquemment : "Y'a bon cuisine, y'a bon pinard, y'a bon capitaine". La légende commence. On raconte que l'un de ces braves, blessé et rapatrié du front, est embauché à l'usine de Banania à Courbevoie. On lui fait goûter le breuvage maison, il l'apprécie et dans un grand sourire, s'exclame : "Y'a bon !". Fiction ou réalité, le slogan "Y'a Bon Banania" vient de naître. Il accompagnera, dès 1915, sur les affiches le tirailleur sénégalais en uniforme, dégustant dans sa gamelle "le plus nourrissant des aliments français". Deuxième composante de la légende : l'éducation. Les colons instruisent les bons Noirs, Banania éduque les jeunes enfants en leur offrant un petit déjeuner équilibré. Dès lors, tous les éléments graphiques et emblématiques de la marque sont déjà dans cette affiche : le jaune des bananes, le rouge de la chéchia, le bleu du pompon, le sourire éclatant et le "Y'a bon". Pendant plus de cinquante ans, le visage jovial du tirailleur et son Y'a bon identifient la marque.

Du produit génial à la grande marque

illustration Infirmières et Sénégalais
Banania, c'est la force.
Mais c'est aussi une
marque d'affection.
Soignés, le plus souvent
dans le midi de la France,
t'es Sériéguiuis, ài'esse's
aujfont', sont ici choyés par
des infirmières.
La carrière de Pierre-François Lardet n'aura pas cette longévité. Brillant concepteur, mais piètre gestionnaire, il rencontre, au lendemain de la Grande Guerre, des difficultés à s'adapter aux nouveaux impératifs de la consommation de masse. Pour obtenir les capitaux nécessaires, il s'associe avec un riche hôtelier, Albert Viallat. Banania devient Société Anonyme au sein de laquelle Pierre-François Lardet détient encore la majorité. Pas pour longtemps. En 1924, Albert Viallat, à l'occasion d'une augmentation de capital dont ses amis et lui-même sont les financiers, devient Président du Conseil d'Administration. Cette nomination annonce irrévocablement la mise à l'écart de Pierre-François Lardet. Aveuglé par sa brillante vie mondaine, il s'est fait déposséder de son affaire par un gestionnaire qui a l'intention de donner une dimension nouvelle à l'entreprise. Dès 1927, Albert Viallat fait venir auprès de lui son neveu Albert Lespinasse, jeune et dynamique directeur d'un palace à Monaco. Et tandis que l'inventeur de Banania meurt désargenté, son produit connaît un essor sans précédent. Albert Lespinasse en fera une grande marque. A la veille de la Seconde Guerre mondiale, elle atteindra des sommets. La guerre, les privations n'atténueront pas la notoriété de Banania qui survivra pendant les années noires en dépit des rationnements qui entraîneront une légère modification de la composition du produit. "Après l'alerte, c'est le réconfort" scanderont à l'époque les affiches, organisant la "défense passive de l'organisme" des jeunes Français. Les ventes s'accroissent régulièrement, notamment avec la création d'un ticket de rationnement spécial petits déjeuners. Une idée de Lespinasse qui mènera Banania à son apogée.

Le paternalisme colonial moribond

pub de Hervé Morvan
Première version de
l'affiche dessinée par le
célèbre graphiste Hervé
Morvan, en 1957. Elle
rompt avec le traditionnel
fond jaune de la marque.
Mais elle a été vite
abandonnée, la stylisation
de l'ami Y'a bon ayant
quelque peu surpris la
clientèle de Banania.
La marque, alors sans réelle concurrence, atteint aisément 80 % du marché. Parallèlement, la société lance la farine diastasée Salvy, adaptée aux bébés anémiés par les privations.
Banania, en participant de nouveau à l'effort de guerre, voit sa production augmenter de plus d'un tiers et sort encore grandie de cette épreuve. Mais la fin du conflit annonce aussi celle du paternalisme colonial. L'empire d'outre-mer s'ébranle.
L'ami Y'a bon, à l'égard duquel les Français entretenaient un mélange de sympathie, d'admiration et de mépris, disparaît peu à peu de l'imagerie populaire. Seul Banania le conservera sur ses boîtes. L'heure de la reconstruction sonne. Celle d'une France moderne et d'une société de consommation à l'américaine, sous l'impulsion du Plan Marshall. C'est le temps du "baby boom" et des "Trente glorieuses".
Banania s'inscrit dans cette nouvelle dynamique qui tourne le dos à la nostalgie coloniale. Le discours de la marque porte désormais sur les vertus énergétiques du produit.
En 1946, Banania peut enfin de nouveau offrir "la qualité d'avant-guerre". Le tirailleur sénégalais se fait progressivement plus discret. S'il conserve sa place sur les boîtes, les publicitaires tentent de lui substituer un nouveau personnage qui ne sera qu'éphémère : Nanette Vitamine, illustration du rajeunissement de la France.
une des causes de la victoire : Banania
Une des causes de la victoire : Banania.
Les poilus de Verdun défendent la patrie
mais aussi sa potion magique.

L'ami Y'a bon tient bon

Albert Lespinasse marque de son empreinte Banania. Président de la société de 1953 à 1972, il est aussi un des précurseurs de la promotion. Comme en témoigne l'entrée de la marque au cinéma, sur les ondes avec le "jeu du million" et sa fameuse question "si je vous dis Y'a bon, vous me répondez... ?", mais aussi dans les écoles avec des distributions d'échantillons. Banania, en situation de quasi monopole jusqu'à la fin de la Seconde Guerre mondiale, voit cependant arriver la concurrence. Des années 60 aux années 70, Poulain, Nesquick, Benco, Suchard et Phoscao Ovomaltine commencent à lui faire de l'ombre. Reste que les amateurs de Banania témoignent toujours de leur attachement à la marque et à la saveur du produit. La recette, sans grand changement depuis 1912, est même reconnue à l'odeur par les inconditionnels !

Du tirailleur au sourire gourmand

pub dans le metro
Après la France
d'outre-mer, la France des
transports de masse.
Banania s'adapte à la
nouvelle civilisation. Rien
de tel qu'un peu de ressort
quand on prend le métro
que l'on soit cadre ou
secrétaire. Précurseur de la
promotion, Albert
Lespinasse fait aussi entrer
la marque sur les ondes
avec la célèbre
interrogation sur Europe 1.
L'ami Y'a bon survivra toutefois à la décolonisation. Le tirailleur sénégalais, dont la première version date de 1915, est modifié en 1957 par le célèbre affichiste Hervé Morvan. Dix ans plus tard, un nouveau dessin, simplifié à l'extrême, le ramène à la dimension d'un écusson. Dans les années 70-80, sa place se réduit encore jusqu'aux années 90 qui voient sa réapparition dans la version dessinée par le même Morvan : il est désormais présent sur l'un des côtés du paquet pour rappeler aux consommateurs les délices de la recette de Banania "à l'ancienne". C'est un grand sourire gourmand et complice qui domine aujourd'hui sur les boîtes jaunes. Ce n'est plus celui de Y'a bon mais celui de l'enfant qui se prépare à déguster son Banania. En cela, la marque n'a pas le sentiment d'avoir trahi le Sénégalais. L'Empire colonial a disparu mais le sourire Banania est toujours là et c'est sur le discours nutritionnel que Banania axe désormais sa communication en mettant en avant les bienfaits de sa formule exclusive qu'avait tant appréciés le tirailleur de 1915. Visuellement présent ou non, celui- ci est à jamais dans la tête des consommateurs. Les porte-paroles de la marque s'appellent maintenant les Trois Mousquetaires, Merlin l'Enchanteur, la Belle au Bois Dormant... afin de perpétuer la part de rêve des enfants Banania. Et pour ses quatre-vingts ans la société réédite une boîte métal porteuse du fameux sourire du sénégalais redessiné en 1957 par Hervé Morvan.
evolution du packaging
Du tirailleur au sourire gourmand. 1967 sonne l'heure d'une stylisation accrue du tirailleur sénégalais d'origine. En 1977, il devient un simple emblème mais le sourire est retrouvé. Il n'est plus, ensuite, qu'un clin d'oeil dans le logo de la marque. En 1984 apparaissent pour la première fois les céréales et toute la richesse de la composition du produit est mise en valeur en 1988. En 1990, le sourire est toujours présent

Notes

Sources: "Banania- Histoire d'une passion française" de Jean Garrigues - Editions Du May " Images de marques, marques d'images Tome 2" de Daniel Cauzard Style Marque et Prodimarques - à paraître en 1993.

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