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Revue des Marques - numéro 40 - Octobre 2002
 

 

BONNE FOI ET CONTREFAÇON :
UN ARGUMENT INOPERANT

par Jean-Christophe Grall, avocat à la cour de Paris
Avec la participation d'Emmanuelle Laur-Pouëdras - Avocat à la Cour

La marque en tant que signe fort permettant d'identifier les produits ou services d'une entreprise par rapport à ceux d'une autre entreprise confère à son titulaire des prérogatives qui s'apparentent à un véritable monopole, pour les produits ou services désignés dans l'enregistrement de la marque. Le Code de la propriété intellectuelle qualifie même ce droit de « droit de propriété », notion très forte et très protégée en France.
 
Les contrefaçons de marque sont néanmoins extrêmement fréquentes que ce soit par reproduction identique ou par reproduction partielle, plus ou moins approximative mais de nature cependant à créer un risque considérable de confusion dans l'esprit du public ; le développement de l'Internet ne faisant qu'accroître, potentiellement du moins, le nombre d'atteintes susceptibles d'être portées à des marques.
 
Or, le titulaire d'une marque dispose d'une arme redoutable : l'action en contrefaçon.
 
En effet, les prérogatives dont il dispose l'autorisent à agir contre toute personne qui porte atteinte à la marque, que cette personne soit de bonne ou mauvaise foi.
 
Il convient de préciser qu'un acte de contrefaçon peut être poursuivi soit au titre d'un délit pénal, soit au titre d'un délit civil, l'option appartenant au titulaire du droit.
 
Ne sera envisagée ici que la voie de l'action civile, la plus souvent retenue par les personnes dont le droit de propriété intellectuelle est bafoué.
 
Dans cette hypothèse, l'action ouverte au titulaire de droits de propriété intellectuelle devant les tribunaux civils ne lui impose que la seule démonstration d'un acte commis en violation de ses droits, alors qu'en revanche devant les juridictions répressives, le délit de contrefaçon requiert la preuve d'une intention malveillante.
 
Pour sanctionner le contrefacteur d'une marque, la loi n'exige nullement que soit démontrée la mauvaise foi de ce dernier.
 
Ainsi le Code de la Propriété Intellectuelle prévoit simplement que l'atteinte portée au droit du propriétaire de la marque constitue une contrefaçon qui engage la responsabilité du contrefacteur(1) .
 
Une telle atteinte résulte de la violation d'un certain nombre d'interdictions prévues, notamment, par les articles L 713-2 et L 713-3 du CPI ; il est ainsi prohibé de reproduire, utiliser ou apposer une marque, même assortie d'une adjonction, pour des produits ou services identiques ou même simplement similaires, de supprimer ou modifier une marque, d'imiter une marque pour des produits ou services similaires, sans autorisation du propriétaire.
 
Ainsi, la preuve par le titulaire de la marque de l'atteinte portée à ses droits suffit à établir l'illicéité de l'acte commis.
 
Le droit du titulaire de la marque est donc le plus fort ; à partir du moment où l'une des interdictions envisagées ci-dessus est violée, il ne sert à rien de prétendre que c'est en toute bonne foi qu'un produit contrefaisant a été importé, édité, proposé à la vente etc. ; cet argument ne sera pas même pris en compte !
 
Ce principe d'indifférence de la bonne foi en matière de contrefaçon est affirmé de manière constante et avec force par les tribunaux.
 
A titre d'exemple, la Cour d'appel de Paris, dans un arrêt de 1996, a rappelé que « la bonne foi est inopérante en matière de contrefaçon de marque dès lors qu'aux termes de l'article L.716-1 du code de la propriété intellectuelle l'atteinte portée au droit du propriétaire d'une marque engage, à elle seule, la responsabilité de son auteur. »(2)
 
Dans cette même décision, la Cour a ajouté qu'une société qui importe au Canada des produits marqués et les revend en France sans l'autorisation du titulaire de la marque pour ce pays se rend coupable de contrefaçon « quand bien même le produit importé serait un produit authentique » !
 
Les juridictions accordent ainsi une protection extrêmement forte et efficace au propriétaire d'une marque, dont on doit recueillir préalablement l'accord afin de pouvoir utiliser sa marque.
 
Cette tendance ne se dément pas depuis plus de cinquante ans et on retrouve les termes suivants, repris quasiment à l'identique, dans bon nombre de décisions : « la propriété d'une marque régulièrement déposée est absolue, elle s'étend à l'ensemble du territoire français et confère à celui qui en est investi une action contre tous ceux qui y portent atteinte, de bonne ou de mauvaise foi, sous quelque mode et de quelque manière que ce soit »(3).
 
Que penser de cette position ?
 
Il peut paraître choquant de ne pas prendre en considération la mauvaise foi du contrefacteur dont on pourrait penser qu'elle entraînerait une condamnation plus sévère.
 
Toutefois, le fait d'ignorer purement et simplement la mauvaise foi du contrefacteur renforce la protection des droits du titulaire de la marque contrefaite et contribue à sanctionner plus efficacement toute contrefaçon en évitant des discussions infinies sur l'éventuelle bonne foi du contrefacteur présumé.
 
La solution retenue par la Cour de cassation apparaît ainsi très pragmatique.
 
Pour autant, cette solution n'est pas exempte de critique puisqu'elle aboutit en effet à créer deux traitements différents du délit de contrefaçon selon qu'il est civil ou pénal, le droit pénal exigeant en effet un caractère intentionnel du délit(4) .
 
S'il existe un concept unique de l'action en contrefaçon, dans la mesure où elle peut s'exercer soit au pénal, soit au civil, il serait préférable qu'elle bénéficie d'un régime unique, notamment en ce qui concerne la mauvaise foi.
 
De surcroît, le principe retenu par la jurisprudence conduit à mettre sur le même plan tous les défendeurs à l'action en contrefaçon alors qu'il pourrait être judicieux de distinguer selon leur qualité ou selon l'existence de certaines circonstances spécifiques permettant de détruire la présomption de mauvaise foi.
 
Cependant, ce serait là imprégner d'une certaine équité la répression de la contrefaçon alors que la jurisprudence contemporaine semble préférer des solutions tranchées, quitte à ce que les solutions retenues soient presque trop systématiques…
 
En matière de droits d'auteur (un slogan publicitaire peut par exemple être protégé au titre des droits d'auteur), autre domaine dans lequel on peut dénombrer de nombreuses atteintes aux droits de propriété intellectuelle : même combat et même solution apportée par les tribunaux, quoique de façon plus tardive qu'en matière de marques.
 
En effet, l'indifférence de la bonne foi en matière de contrefaçon de droits d'auteur, a été affirmée par un arrêt de la Cour de Cassation du 6 juin 1990(5).
 
La Cour avait alors estimé  que « la mauvaise foi des personnes qui ont participé à une contrefaçon n'est pas une condition de l'action civile exercée par l'auteur en vue d'obtenir réparation de la perte pécuniaire que lui a causé l'usurpation de son droit de propriété intellectuelle ».
 
La Cour de cassation met ainsi à la charge du défendeur à l'action en contrefaçon de rapporter la preuve qu'il n'a pas commis de faute.
 
Par deux arrêts en date des 29 mai et 26 juin 2001(6) , la Cour suprême a confirmé, avec force, ce principe :
 
 « la contrefaçon est caractérisée, indépendamment de toute faute ou mauvaise foi, par la reproduction, la représentation ou l'exploitation d'une œuvre de l'esprit en violation des droits de propriété qui y sont attachés. »
 
Cependant, il convient de souligner que si la bonne foi n'a aucune influence sur la reconnaissance de la responsabilité du contrefacteur présumé, elle pourra en revanche être prise en considération par les juges à l'occasion de la détermination du montant des dommages et intérêts qui seront alloués à l'auteur dont la marque ou l'œuvre a été contrefaite.
 
Ainsi, si la jurisprudence est rigoureuse dans l'application des principes régissant la contrefaçon et ne tient pas compte de la bonne ou mauvaise foi de la personne reconnue contrefactrice, la pratique montre que tel n'est plus le cas lors de la détermination du préjudice subi, une appréciation in concreto intervenant alors.
 
1) Art L 716-1 du CPI.
2) CA Paris, 4ème ch A, 5 juin 1996, CEA c. Joh A. Benckiser.
3) C cass, ch civ, 12 juin 1956, Photo Hall c. Perrin et Vuillemin ; C cassation, ch com, 26 juin 1973, Carel c.Virole ; CA Montpellier, 1ère ch, 27 janvier 1994, Les Jardins d'Olympie SA c. Les Jardins d'Olympie SARL.
4) Voir art. L 121-3 du Code pénal : « il n'y a point de crime ou délit sans intention de le commettre ».
5) C cass, 1ère ch civ, 6 juin 1990, Textiles Maurice et autres c. SA Goutarel.
6) C cass, 1ere ch civ, 29 mai 2001, Editions Phoebus c. Adam Shaw et Editions du Seuil ; C cass, 1ere ch civ, 26 juin 2001, Virgin Stores et Fnac c. Friedreich Wilhelm Murnau et al.

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