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Revue des marques : numéro 92 - octobre 2015
 

La stratégie du Sherpa

Pour susciter le dialogue, le vendeur, de chasseur, doit devenir gibier ! Cap sur l’Inbound marketing, pour faire venir à soi les clients au lieu d’aller les chercher.

par Gabriel Szapiro



Gabriel Szapiro
Directeur général de
l’agence Saphir (groupe Révolution 9)
En cette atmosphère d’anglicismes forcenés, où tout discours de dirigeant bien né se doit d’introduire des adaptations ou des mots issus de la langue de Shakespeare, je ne résiste pas à revenir… au grec. Et plus précisément à Pindare, avec son antienne : « Sois comme tu as appris à te connaître ». Permettez-moi de plagier ce grand poète lyrique en modifiant quelque peu sa célèbre citation. En effet, aujourd’hui, l’alpha et l’oméga d’une stratégie de marketing devraient plutôt relever de cette ardente ambition : « Sois comme tu as appris à le connaître… ton client ! ». Fini le temps de l’inexorable certitude du vendeur, sûr de son savoir, délivrant ses connaissances au prospect reconnaissant, se parant des plumes du sage face à l’ignorant en situation de victime consentante.
L’appellation d’ « expert », accolée à tout consultant ou commercial, devenant ainsi le sésame de la valeur, assurait à son récipiendaire une plus-value financière non négligeable. Mais voilà, Internet apparut, avec sa cohorte inextinguible d’informations, de données comparatives, de commentaires, de schémas explicatifs en tous genres. Une question vous interpelle… et un lointain correspondant, face à un problème similaire, vous répond via Google. Plus besoin d’implorer un quelconque vendeur, de le remercier parfois de sa réactivité, et d’attendre son diagnostic. Une révolution est en marche : vous en savez presque autant que lui grâce, justement, à cette surabondance d’informations liée à votre sagace recherche sur le Net. Alors, que faire ? Le vendeur n’a-t-il déjà plus sa place au sein de notre société digitalisée qui va jusqu’à remplacer le symbole de l’immuable et classique témoin du temps, la montre – attachée pour la vie à votre poignet – par l’Apple Watch, qui vous encercle de son monde virtuel, aux données bien réelles ?

Le savoir se partage

Telle la Pythie de Delphes, l’essayiste américain Jeremy Rifkin, spécialiste de prospective économique et scientifique, a écrit dans son livre La Troisième Révolution industrielle que « le nouveau modèle économique sera fondé sur le partage et les communautés collaboratives ». L’auteur s’attache à démontrer que l’économie du partage, promue par la génération Y, commence à concurrencer l’économie unidirectionnelle, de plus en plus détenue et imposée par de grands groupes surpuissants. « Assez ! », s’exclame la nouvelle génération, qui s’aperçoit de l’immense pouvoir d’un public « instantané », aux millions de ramifications grâce à cette notion inédite aujourd’hui : le partage, avec son modèle économique intimement lié, un coût relativement faible pour l’utilisateur.
Le château de cartes s’effondrerait-il ? L’« uberisation » généreuse et hors-cadre de la société entrerait-elle dans les moeurs, créant un tsunami aux allures de débâcle, faisant passer la valeur vénale d’une licence de taxi – d’environ 200 000 euros à Paris – à 100 euros pour le chauffeur d’un VTC ? Non ! Au lieu de combattre cette révolution que vous ne maîtrisez pas, accompagnez-la vous-même, amplifiez-la, avec justement l’appui et la force du numérique associés à l’émotion et à l’humour. Le succès est à ce prix.
Le désir précède le besoin. Dans mon récent ouvrage, L’Inbound Marketing selon la stratégie du Sherpa, j’insiste sur la priorité donnée au désir par rapport au besoin. De tout temps, cette différence affective a joué son rôle d’accélérateur d’achat, le vendeur, consciemment ou inconsciemment, développant une relation émotionnelle avec son client pour transformer, en un court instant, l’achat en rêve. Il partage son savoir, mais surtout il participe à la vie de l’autre en rendant désirable sa future appropriation de l’objet. Enfin !
 

Les quatre valeurs du désir ou le plaisir de devenir gibier

Quel bonheur de susciter l’empathie de son client ! Dans le rituel codifié de nos vies, un vendeur vous interpelle et s’intéresse différemment à vous… avec ce rien de symbiose, et beaucoup d’implication dans votre univers. Jamais les quatre valeurs ci-après n’ont procuré autant de plus-values pour le vendeur, en les marquant de sa propre empreinte :
Est-ce si difficile d’appliquer ces quatre types de comportement ? Assurément non, à la condition, pour le vendeur, d’imaginer ou d’inventer sur l’instant un véritable scénario où le client aurait le rôle principal, avec pour happy end l’achat de la prestation ou du produit. Avant tout, la spontanéité du gibier au lieu du récit préenregistré. En s’imposant de jouer ce rôle de « gibier », c’est-à-dire de celui qui accepte le discours de l’autre et sa prééminence apparente dans la relation, vous changez le paradigme même de la vente, sans perdre pour autant votre personnalité. D’un monologue lénifiant, votre discours devient échange, répartie, débat, l’achat ne représentant plus que l’ultime et inéluctable conclusion d’un dialogue où se mêlent l’humour, la curiosité réciproque, et le plaisir (oui, vraiment) d’être ensemble.
 

L’Inbound marketing ou les quatre cultures d’entreprise


La Lake Shore Drive accidentogène
qui longe le lac Michigan à Chicago
Profitant de cette obligatoire évolution, la nouvelle culture de la vente doit suivre celle de la société qui l’inspire. Celle-ci se démultiplie, en fait, en quatre cultures, source même de l’Inbound marketing – ou comment faire venir à soi les clients au lieu d’aller les chercher. Ces quatre cultures conditionnent aujourd’hui la réussite d’une entreprise, en modifiant le parcours du consommateur. De sujet passif, habitué aux sempiternels arguments, il devient acteur, agréablement surpris, puis étonné, et enfin convaincu de finalement adhérer à votre message. La stratégie du Sherpa illustre ce « tunnel de persuasion ».
 

De l’obsession-client aux « personas »

Sujet amplement à la mode, l’analyse des « personas » (ou profils idéaux de vos prospects ou clients) suscite actuellement de larges débats. Comment s’y retrouver ? En s’attachant à définir d’abord un persona en quelques traits pertinents : informations démographiques (âge, salaire, lieu de résidence, CSP), informations sur l’emploi (fonctions, niveau de décision), comportements socio-culturels (pôles d’intérêt, style de vie), objectifs professionnels (anticipation de son avenir professionnel), « points de douleurs » pour atteindre ses objectifs (rappel des « noeuds » professionnels rendant difficiles la réalisation des objectifs), verbatim (propos signifiants couramment utilisés par le persona). Et surtout, tant pour le vendeur que pour le directeur du marketing, en approfondissant ensuite ces trois critères fondamentaux :
Son parcours numérique ou comme l’exprime si joliment la grande société de télécommunication Orange : « The Customer Digital Journey » ou le voyage digital du consommateur. En effet, lieu d’échange par excellence, le Net participe quotidiennement au voyage du prospect. Mieux appréhender son parcours, ses sources d’information (site, blog, LinkedIn, Facebook, Viadeo, forums…) constitue une arme supplémentaire pour le vendeur – tant en BtoB qu’en BtoC – pour entamer un dialogue, et surtout partager le buzz induit, issu de ces sources.
Sa typologie. Soyez créatif ! Après avoir sélectionné les différents personas qui composent votre cible, imaginez, par un nom évocateur, leurs profils respectifs. En collaboration étroite avec notre client, le cabinet d’Ormane, leader du recouvrement de créances, nous avons élaboré au sein de notre agence Saphir huit types de personas, pour définir huit comportements de débiteurs – le perroquet répéteur (ou celui qui promet tous les jours de payer demain), le chien fidèle, le héron risque-tout, le caméléon transformiste, la fourmi suractive, le colvert migrateur, la hyène accrocheuse, la mort du loup (ou le décès du débiteur)… quel beau bestiaire ! Une démarche impertinente qui, via le livre blanc intitulé Savez-vous reconnaître votre mauvais payeur ?, suscite le désir des prospects d’en savoir plus… sur le cabinet d’Ormane.
Les freins à l’achat de votre prestation ou produit. Au lieu de s’auto-glorifier, le bon vendeur transformera au contraire en atouts les aspects réducteurs de la prestation de sa firme, en se référant aux habitudes professionnelles de son interlocuteur et en n’hésitant pas à affronter les freins eventuels. Quitte d’ailleurs à y ajouter quelques pointes de dérision.
 

Le vendeur : d’abord un conseiller augmenté d’une capacité de community manager


Turn To 30°, une campagne éthique
et efficace pour la marque
Le vendeur idéal ? Celui qui jalonne le parcours consommateur d’ « appâts » où l’émotion partagée et l’objectivité des faits concourent à la conviction. En BtoB, il proposera une saga d’appâts du type livres blancs, e-books, best practices, webinars, success stories, infographies. En BtoC, il créera les conditions d’une future fidélisation : carte privilèges, club sélectif, promotions, advergame… Pour ma part, s’il acquiert en plus les compétences d’un community manager, il développera un dialogue fructueux avec ses prospects et clients via les réseaux sociaux, et poursuivra ainsi sa relation sur le Net, au bénéfice de la visibilité de sa firme. Premier vecteur de votre communication, il deviendra le relais de l’image… de vos clients. Il y apportera une dimension humaine, indispensable selon moi à la réduction de l’omniprésence du Net et son anonymat. « Il n’est qu’une seule chose horrible au monde, qu’un seul péché irrémissible : l’ennui », écrivait Oscar Wilde. Quand je lis parfois la litanie des valeurs d’entreprise édictées par certains dirigeants pour l’édification de leurs chartes, amoncellement de poncifs et de lieux communs pour élèves d’écoles confessionnelles, je m’interroge sur le sens du mot « plaisir » et de son corollaire opposé : l’ennui. Messieurs les responsables d’entreprise, les directeurs du marketing 15et commerciaux, permettez-moi, en conclusion, d’énoncer comme valeur première et incontournable à toute stratégie, à tout PAC (plan d’actions commerciales), à tout plan de communication, à tout séminaire, symposium, convention et pour tout dire, à toute relation avec vos clients : ne soyez pas ennuyeux ! Sur le plan stylistique et comportemental, pourquoi ne vous transformeriez-vous pas volontairement en gibier ?... vous verrez alors que le vrai chasseur n’est peut-être pas celui auquel on pense. Bonne chasse !
 

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