Retrouvez la vie des marques sur www.ilec.asso.fr
Accueil » Revue des Marques » Sommaire » La revue des Marques numéro 92
Top
Revue des marques : numéro 92 - octobre 2015
 

La data au service d’un nouveau marketing

Les marques peuvent parvenir à mieux cibler leur dialogue avec les consommateurs grâce au big data.
Elles peuvent dialoguer avec leurs consommateurs en dehors de la relation marchande, dans le cadre du permission marketing et du co-marketing !

par Yves Siméon



Yves Siméon
Directeur général de Re-Load
“La data est le pétrole du XXIe siècle », « grâce à la data, le marketing devient une science ». La data attire tous les fantasmes : connaissance absolue du consommateur, analyse en temps réel, service sur mesure… J’ai pour la première fois été impressionné par le pouvoir de la data en 2000 quand, alors responsable du planning stratégique chez Carat, j’ai participé à des analyses de modélisation marketing. La data n’était pas « big », mais la capacité à évaluer le ROI des actions grâce au traitement des données était déjà bien réel. J’ai déclaré à l’époque que le marketing était à un tournant, mais quinze ans plus tard… la révolution n’a pas eu lieu. Cannes a attribué un Grand Prix à la data, Kleenex a gagné un Media Lions en prenant en compte le contexte météorologique dans les publicités qu’elle diffusait… mais rien de bien impressionnant, lorsqu’on se projette sur le potentiel inexploité des data. Au-delà de l’effet de mode, l’enjeu est aujourd’hui de poser ensemble quelques balises. En quoi la data révolutionne-t-elle le ciblage ? Permet-elle aux marques d’engager le dialogue de manière plus efficace ? Tous ces changements sont-ils en train de définir les contours d’un nouveau marketing ?
 

La data transforme la notion de cible

Dans un premier temps, la data a permis d’introduire de nouveaux paramètres, qui précisent les cibles actuelles en allant au-delà des catégories socio-professionnelles classiques. Le ciblage comportemental s’appuie sur l’analyse des usages de l’internet par l’individu : un prospect qui surfe régulièrement sur des contenus automobiles est classé dans un cluster « auto addict ». On peut également insérer des notions de contexte, qui sont des leviers importants de transformation. Le ciblage géographique revient en force grâce aux nouveaux modes de vie, plus mobiles et plus connectés : le critère n’est pas nouveau, mais le fait de pouvoir en faire un élément opérationnel le rend stratégique.

Historiquement, on a longtemps travaillé en partant d’une cible principale. Par exemple, pour la Fiat 500, nous aurions sélectionné les « femmes, 25-34 ans », car cette cible est surreprésentée parmi les acheteurs de ce type de modèles (indice 200), même si elles ne représentent qu’un tiers des ventes. Tout le marketing aurait alors été construit autour de cette cible centrale, avec un bénéfice produit mis en avant, un thème de communication, des opérations promotionnelles… Dans le déploiement de notre campagne, nous aurions alors sans doute remarqué, avec déception, que d’autres segments (les « femmes, 50-60 ans » ou les « 35-40 ans célibataires ») réagissaient mieux aux offres que la cible principale. La data, c’est moins de ciblage a priori : désormais, on va élaborer la stratégie sur des cibles plus larges. Dans la phase de déploiement, on va créer un mécanisme de communication multi-segments couvrant un potentiel de business plus large. Sur chaque segment, un « bénéfice produit » sera décliné avec des créations spécifiques.
 

Comment construire ces nouveaux segments ?

Les segmentations clients (clusters) sont construites grâce aux comportements des internautes, creusant bien au-delà de leurs simples habitudes de navigation. De nombreuses variables structurantes, comme le rapport au prix ou les modes de consommation ou d’usages, ne sont pas nécessairement déductibles des habitudes de surf. Grâce à des DMP (data management platform), véritables « hub » de données des consommateurs, on va pouvoir construire des segments centrés sur la réactivité réelle des cibles. Souvent contre-intuitifs, ils vont faire apparaître des éléments dont on ne se doutait pas. On va ainsi construire des segments opérationnels qui conditionneront la stratégie de diffusion en direction des médias. Les segmentations d’hier étaient réservées au marketing stratégique, désormais leur rôle est transversal.
 

La data transforme la production des contenus


La data permet d’élaborer des
stratégies sur des cibles plus larges
Grâce à une analyse des usages, des modes de consommation, des types de contenus appréciés (informatif, divertissant), et des formats de prédilection (longueur, intégration…) en fonction des publics stratégiques de la marque, on va pouvoir construire de véritables stratégies de contenu. Netflix, la référence du contenu made in data, évalue et conçoit l’ensemble de la chaîne de production de ses contenus au regard de la data, en visant leur adéquation avec la cible. La série House of Cards a été passée au filtre de cette analyse « systématique » des données : le scénario, mais aussi l’affichage de la série (1) ! L’analyse des données pour optimiser les contenus a naturellement été l’apanage des pure players comme Spotify, qui, suite au rachat de The Echo Nest (entreprise de business intelligence du secteur musical), a développé des outils de compréhension des habitudes. Ainsi, Spotify propose désormais des playlists calibrées, adaptées à vos usages et à vos moments de réceptivité : niveau de « dansabilité » en fonction de l’heure, importance de la nouveauté en fonction de votre disponibilité, etc. Aujourd’hui, le réglage des contenus commence à être réalisé par les agences de communication, qui s’équipent en data analysts. De plus en plus, les marques gagnent en spontanéité et engagent le dialogue en rebondissant sur les contenus émis par les autres. C’est ainsi que Dove a lancé le hashtag #SpeakBeautiful. La marque répond en temps réel à toutes les personnes postant un tweet désobligeant en matière d’apparence physique, qu’il s’adresse à elles-mêmes ou à d’autres personnes. Il ne s’agit pas d’un « dialogue réel », mais cet effort d’écoute active est valorisé par les consommateurs dans les « baromètres des marques beauté ».
Le dialogue est d’autant plus réel que la marque en respecte les règles de base. Pour initier l’échange, elle va devoir demander à l’auditeur s’il (ou elle) est intéressé(e) par une conversation. Adidas utilise de plus en plus le bouton « Êtes-vous ALL IN ? » sur ses vidéos. Si vous répondez « non », la publicité ne vous sera jamais proposée. On arrive enfin dans le monde du permission marketing, décrit par Seth Godin, dans son best-seller de 1999.

Un « véritable dialogue » marketing représente un changement de posture : la marque va vers les consommateurs en dehors de la relation marchande. En 2014, Orange a envoyé plus de huit millions de SMS ou courriers électroniques à ses clients des zones concernées par les orages pour les inciter à débrancher leur Livebox. Odile Roujol, responsable des Datas chez Orange confirme l’efficacité de l’action : « Nous avons vu une forte progression de la satisfaction client dans nos sondages ». Ce type de marketing, centré sur le dialogue, nécessite donc avant tout un nouvel état d’esprit : nous devons faire usage de la technologie et des données en n’oubliant pas qu’il y a des individus derrière les écrans. On se souvient du père (Eric Meyer, Web designer, auteur de l’article « Inadvertent Algorithmic Cruelty ») qui a vu la photo de sa fille apparaître sur le net dans la « Year in Review de Facebook », alors qu’elle était morte quelques semaines auparavant… Ce nouvel état d’esprit implique une responsabilité des acteurs. Nous devons injecter de l’humain dans nos codes et nos algorithmes.

Mais pour le moment, la data est encore trop assimilée au retargeting : répétition d’une offre à laquelle vous avez été exposée, jusqu’à ce que vous vous y intéressiez. La répétition des messages identiques est bloquée, mais en tant qu’individu, on a l’impression désagréable d’être poursuivi. Les niveaux de capping (répétition maximum) doivent être abaissés si l’on veut que cette pratique soit acceptée par les individus. Le retargeting est le symbole par excellence de la capacité des publicitaires à ne pas s’auto-discipliner. Après avoir abusé du display en multipliant les formats événementiels, qui empêchaient l’internaute de surfer, nous sommes cette fois-ci en train de faire mauvais usage de la data.
 

Le co-marketing ou la co-création du produit

En un an, les consommateurs ont pris conscience de l’importance des données. Ils ne veulent plus céder leur data contre un peu de personnalisation. Le débat du partage de la valeur est ouvert. Doit-on être « tracké » ? Pour quel service ? Qu’avez-vous à me proposer en échange ? Le fonctionnement traditionnel du « marketing top down » est de tester des éléments du mix sur un échantillon, pour vérifier qu’il n’y ait pas de « problème », avant de lancer l’offre d’une manière unilatérale.
Le co-marketing est en revanche dans une logique de co-création dès la genèse du projet, il demande donc une posture de dialogue permanent en communication, mais aussi sur l’ensemble des éléments du process marketing (prix, offre…). Le co-marketing va fonder sa relation au consommateur sur un nouveau deal économique. La consommation de MARQUEScontenu de marque pourra par exemple être rétribuée – « tu as lu ma newsletter ou mon magazine de marque, en échange tu gagnes des points de fidélité » –, ainsi que la participation du consommateur à l’amélioration du produit ou des services.
De même le partage de données sera valorisé. Avec un marketing centré sur la data, le potentiel de dialogue se démultiplie à chaque étape : la construction de nouvelles logiques de ciblage, la production des contenus, etc. On peut rêver ensemble d’un marketing plus responsable, plus personnel, plus humain. Nous sommes donc à un tournant : soit la data permet d’accélérer la transformation du marketing, soit elle n’est utilisée que comme un moyen de ROI à court terme (Cf. le retargeting), et n’aboutira qu’à un rejet en bloc par les consommateurs de l’ensemble de la démarche ; le dialogue restera alors un monologue.
 

DATA LEXIQUE


BIG DATA
Le terme est apparu dans les années 2000. Le big data se caractérise par trois éléments :
• Le volume représente l’expansion de la quantité de données générée par le commerce électronique et les réseaux sociaux.
• La rapidité (velocity) de renouvellement des données dans un monde connecté n’est plus à démontrer.
• La variété (variety) vient de la multiplicité des formats de données : numérique, texte, image... Le big data est de plus en plus renommé smart data, car il faut de plus en plus se focaliser sur des données pertinentes, utiles à la prise de décision…

DATA MANAGEMENT PLATFORM (DMP)
Plateforme de gestion des données permettant aux annonceurs de gérer les données relatives à leur audience, celles-ci ayant été collectées depuis différents canaux.

TYPOLOGIE (CLUSTER ANALYSIS)
Méthode de segmentation d’un ensemble d’individus qui consiste à regrouper (typer) les individus qui répondent aux questions de façon similaire.

CAPPING
Le capping consiste, lors de la phase de mise en ligne d’une campagne sur un site ou un réseau de régie à l’aide d’un adserver, à préciser un nombre d’affichages maximum auprès d’un même visiteur, identifié par un « cookie ». Un seuil de capping fixé à cinq pour sept jours signifie que le même individu ne verra théoriquement que cinq fois un même bandeau sur cette période.

RETARGETING
Proposer aux visiteurs d’un site Web des publicités portant sur un produit avec lequel ils ont déjà été en contact lors de leur navigation. Le produit proposé sera légèrement différent – prix, couleurs… – afin d’optimiser la chance de transformation.

AD EXCHANGE
Un ad exchange est une plateforme automatisée de vente et d’achat d’espaces publicitaires sur laquelle se rencontrent les demandeurs (annonceurs, agences média…) et les offreurs (sites supports éditeurs, réseaux, régies) d’espaces.

1ST, 2ND, 3RD PARTY DATA
Qualification des données en fonction de leur origine. La 1st data est la donnée propriétaire de l’annonceur, elle est recueillie sur ses médias. La 3rd party data est fournie par une société tierce spécialisée.
 

Notes

(1) À lire dans Wired : l’analyse des couleurs de l’affiche. (http://www.wired.com/2014/03/big-data-lessons-netflix/)
Le Code de la propriété intellectuelle n'autorisant, d'une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privée du copiste et non destinées à une utilisation collective, et d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayant cause est illicite. Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle
Bot