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Revue des marques : numéro 92 - octobre 2015
 

Expérience de marque au rapport… annuel !

Sous le double effet des nouvelles technologies et des nouvelles générations de dirigeants, le rapport annuel acquiert ses lettres de noblesse en devenant un outil de dialogue de la marque avec ses parties prenantes.

Entretien avec avec Luc Thabourey et Bénédicte Cateland
propos recueillis par Jean Watin-Augouard



Luc Thabourey,
Directeur général adjoint de W & Cie.
Bénédicte Cateland,
Directrice de contenus de W et
fondatrice de la Maison d’Écriture

À l’heure de la communication digitale, le rapport annuel, document obligatoire pour les SA, SARL et SNC, et destiné historiquement aux actionnaires, peut-il et doit-il devenir un outil dynamique, vivant, ouvert à toutes les parties prenantes ?

Luc Thabourey : À l’appellation « rapport annuel », nous préférons celle de « reporting annuel », qui concerne un temps fort pour l’entreprise, celui de la publication et de la présentation des résultats devant l’assemblée générale et ses parties prenantes. Cet exercice est l’occasion de faire une photo de la marque et d’exprimer ses valeurs à un temps donné. Le rapport annuel permet une mise en relation, une interaction, un dialogue avec toutes les parties prenantes de la marque : actionnaires, analystes, influenceurs et journalistes, talents, collaborateurs, clients et prospects, etc. Il leur offre l’opportunité d’une mise en relation plus régulière, afin de développer l’audience de la marque dans ses dimensions responsable, financière, commerciale. L’objectif est de créer une relation durable entre la marque et tous ses publics. Il faut sortir du strict reporting et proposer des contenus à déployer tout au long de la saison.

Bénédicte Cateland : Le rapport annuel, hier parent pauvre de la communication, devient aujourd’hui un acte de communication à part entière et s’intègre comme un temps fort dans la stratégie générale de communication des marques « en avance ». Nous sommes persuadés qu’il peut et doit devenir un outil d’expression et de singularité des marques. Chaque reporting annuel offre à une marque l’opportunité d’enrichir et d’actualiser son discours. C’est souvent l’occasion de relire ses racines, de mettre à jour son histoire, de présenter une stratégie – je pense aux anniversaires de marque, aux changements de gouvernance. Chaque reporting annuel doit faire événement. Et ces rendez-vous doivent devenir des moments clés pour partager la stratégie d’un groupe avec le plus grand nombre. Pourtant, la diffusion du rapport annuel n’est pas encore suffisamment prise en compte par les entreprises, même celles du CAC 40. L’heure est bien sûr au mariage du print et du digital : il est temps de penser diffusion, médiatisation, partage !
 

Le rapport annuel peut-il être un outil fédérateur, en interne, des collaborateurs ?


W & Cie a conçu pour Pernod Ricard
un gaming avec un quiz interactif sur le
thème « quel créateur se cache en vous ? »
L. T. : Au nombre des parties prenantes, il convient de privilégier les collaborateurs, parties prenantes internes. Mettre en exergue la bonne démarche en termes, par exemple, de développement durable, mettre en valeur les actions les plus saillantes, les plus innovantes, les perles de l’entreprise, donnent des occasions d’incarner la marque, de valoriser les collaborateurs et de faire du rapport annuel un document « chaud ». Le rapport annuel permet aux collaborateurs de se réapproprier la marque en action durant l’année. Ce document devient une brochure marketing validée par la direction générale, qui peut leur donner beaucoup de fierté, qu’ils soient commerciaux, responsables grands comptes… C’est une bible sur laquelle ils peuvent asseoir leurs discours, leurs argumentaires. L’heure où certains préconisaient de ne plus investir dans le rapport annuel est révolue. Outil présenté à un instant t, il continue de vivre au-delà de la seule tenue de l’assemblée générale grâce à la digitalisation et à la mutualisation. La marque doit apprendre à poursuivre le dialogue et à tirer bénéfice de tous ces contenus créateurs de valeur.

B. C. : L’heure de la communication top down est terminée – celle où seul le top management prenait la parole. Aujourd’hui, nous donnons la parole au terrain, nous allons discuter avec les « makers ». Le reporting annuel devient une réelle co-création avec les parties prenantes. Et, bien sûr, une co-création entière avec l’équipe interne en charge de son élaboration. Un exemple avec Pernod Ricard. La ligne éditoriale « Trans/mission » de l’exercice 2013 marquait une transmission des valeurs du groupe au niveau de la gouvernance mais, et surtout, s’incarnait dans un travail de collaboration photographique. Une artiste, Vee Speers, y mettait en scène des collaborateurs venus du monde entier, qui s’étaient transmis un savoir-faire depuis des années. Un tel travail déclenche un cercle vertueux dans l’entreprise et rencontre un réel engouement de la part des collaborateurs : ils aiment participer à ce rendez-vous, année après année.

Comment faire de ce document « froid », qui doit respecter dans sa rédaction un certain nombre de règles, un document « chaud », qui incarne l’entreprise et la marque ?

L. T. : Nous séparons le rapport d’activité du rapport financier, traité à côté et pour lequel des règles de présentation précises existent. Nous « réchauffons » les contenus du rapport d’activité en donnant la parole à la marque, qui a un potentiel de dialogue et d’interactions très riche. Les parties prenantes, internes et externes, évoquent les faits marquants de l’année, les expériences de la marque. Il faut capitaliser sur les moments où la marque s’est exprimée et utiliser les différents canaux qui nous ramènent au rapport annuel. Nous avons ainsi réalisé des films pour le Crédit Agricole qui viennent illustrer la stratégie du groupe et les projets de développement urbains qui ont été financés. Le reverse publishing permet également de rendre le rapport annuel plus chaud, plus interactif, en capitalisant sur les faits marquants de l’année, des histoires de clients, pour ensuite proposer dans le rapport annuel une photo à date de ce qui s’est passé. La marque peut ensuite se réapproprier tous ces contenus pour nourrir son discours corporate.


Le rapport annuel print du Crédit Agricole
utilise la narration photographique, en écho
aux reportages accessibles par QR code
B. C. : Pour « réchauffer » le rapport annuel print du groupe Crédit Agricole, nous avons ainsi imaginé depuis deux ans une narration photographique, en écho aux reportages en ligne accessibles par QR code. Ce mode de traitement original – la narration d’un cas de collaboration entre trois types de parties prenantes – pimente la lecture du support print. En ligne, on peut aussi aller plus loin dans le plaisir et la surprise en utilisant les ressorts du gaming. Il faut savoir que le gaming (jeu en ligne) décroche le meilleur taux de mémorisation. Pour Pernod Ricard, nous avons ainsi conçu une expérience de gaming autour de l’idée : « quel créateur se cache en vous ? ». Un quiz interactif permettait de se découvrir – et de pousser des innovations produits du groupe. Ce type d’interactions nous permet de toucher des publics plus larges que les seuls financiers. D’ailleurs, la jeune génération des présidents de grands groupes, rompus aux nouvelles technologies, nous incitent à casser les codes ! L’existence du Net, par les moyens illimités qu’il offre, ouvre le champ des possibles pour multiplier les expériences de marque innovantes.
 

Tout ce contenu peut-il nourrir une banque de données ?

L. T. : Oui, absolument, on crée ainsi un patrimoine texte et image – à partir des vidéos, films, photos – qui enrichit la marque. Nous sommes ici dans une logique d’investissement durable et utile à tous ceux qui sont amenés à produire des contenus au nom de l’entreprise.
 

Parmi les grands groupes du CAC 40, quels sont ceux qui ont réussi à rendre ce document vivant ?

L. T. : Nous avons étudié trente-cinq rapports d’activité des entreprises du CAC 40 à l’aune de cinq questions clés : l’identité de la marque est-elle présente tout au long du rapport, les contenus sont-ils déployés sur plusieurs supports, les parties prenantes sont-elles invitées à prendre la parole, le rapport explique-t-il le modèle de l’entreprise, et est-il structuré autour d’un récit ? Nous avons, par exemple, constaté que la vie après le print est mal exploitée, que 41 % des entreprises n’intègrent pas leurs parties prenantes… Parmi les « bons élèves » qui se détachent, citons Air liquide, Orange, Crédit Agricole, Carrefour et Axa.

B. C. : Nous avons prolongé notre étude par une analyse des leviers susceptibles d’amplifier les interactions créées autour du reporting annuel, dans l’objectif, en effet, de le rendre plus « vivant ». Nous avons dégagé trois axes : éditer, c’est choisir ; éditer, c’est programmer ; éditer c’est séduire. Un chiffre à retenir : le temps moyen passé sur une page d’accueil de site est de quinze secondes. Nous avons quinze secondes pour séduire… et quinze secondes pour réussir !
 

À l’heure où la marque se doit de dialoguer avec ses parties prenantes, pourrait-elle donner la parole à des personnes n’ayant pas un rapport direct avec l’entreprise mais ayant néanmoins une position de vigie dans la société : un sociologue, un philosophe… ?


Le rapport Airbus s’étendra sur
trois années de storytelling
B. C. : Tout à fait. Les marques ont encore un peu de chemin à faire pour parvenir à faire entrer dans la boucle des experts externes. Nous avançons déjà sur des dispositifs digitaux avec certains de nos clients. Et la nouvelle offre de notre pôle content, la Maison d’Écriture, nous apportera un vivier de références et ouvrira de nouvelles possibilités à nos clients. La Maison d’Écriture propose des écritures et des contenus « couture » et met à disposition des marques des plumes maison et en résidence : journalistes, écrivains, chroniqueurs... Français et résidents du monde. Pourquoi n’écrirait-on pas demain un rapport annuel avec un philosophe ou un écrivain ? ou encore avec plusieurs penseurs référents ? L’idée étant de toujours voir plus loin, et de développer avec nos clients une vision novatrice de leur secteur d’activité – au-delà du simple reporting.


Le rapport annuel peut-il justifier un concept de collection, centré sur un storytelling ?

L. T. : Le storytelling est une articulation entre la stratégie d’un groupe et son actualité, l’histoire que l’on raconte. Nous avons ainsi développé une collection pour Axa sur cinq ans, autour du client.

B. C. : Tout à fait. Chez W, Michelin détient le record de longévité, avec quinze ans de rapports d’activité maison. Nous venons par ailleurs d’être reconduits sur Airbus pour trois années consécutives. Nous imaginons pour cela un tome I, un tome II, un tome III de storytelling, à partir d’un récit que nous entamons en année 1. Chaque année, on se réinvente, tout en restant les gardiens de l’âme de la marque. L’effet de collection est un moyen de justifier la survie du print : les présidents aiment étaler leurs collections sur leurs étagères. Et nous, nous aimons fabriquer de beaux objets innovants.
 

Le contenu du rapport d’activité peut-il être « recyclé » dans d’autres supports, canaux de communication de l’entreprise ? Le rapport peut-il avoir une vie après le print ?

B. C. : Par la richesse de ses contenus – interviews, reportages, capsules motion design, webdocs… –, le rapport d’activité peut bien sûr nourrir d’autres plateformes de contenus ou d’autres supports de communication. Pour y parvenir, nous suscitons des ateliers de collaboration transverse entre les différentes équipes de communication. L’urgence est de décloisonner et de penser 360 ° dans l’entreprise : enseigner le réflexe de partager les contenus produits par chacun. Pourquoi ne pas aller jusqu’à créer des événements autour du rapport annuel ? Il doit être source d’inspiration annuelle !
 

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