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Revue des marques : numéro 91 - juillet 2015
 

Modernité et potentiel du bien-être alimentaire

Une nouvelle piste de réflexion et d’innovation s’ouvre pour l’univers alimentaire, qui repose sur deux piliers : hédonique et eudémonique.

par François Guillon


François Guillon
François Guillon
Enseignant-chercheur
de l’Institut polytechnique
LaSalle Beauvais, animateur
du club FoodBoosters,
président de l’association ALIM50+.

En 1946, l’OMS (1), dans un élan majeur, humaniste et holistique, a réuni santé et bien-être en une seule définition : « La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ». On doit dire cependant que depuis lors, le bien-être en tant que notion autonome est largement resté en jachère et que la quête essentielle et salutaire de l’OMS et des institutions gouvernementales a été de réduire les maladies. Par ailleurs, lorsqu’on discute avec des scientifiques du lien entre alimentation et bien-être, ils sont mal à l’aise et ceci pour une raison qu’ils avouent volontiers, c’est que le bien-être est une notion qu’ils ont du mal à appréhender. Ainsi on se retrouve dans une sorte d’impasse où la santé est définie à partir du bien-être alors que le bien-être est une notion « fuyante » pour la science…
L’un des marqueurs de ce dilemme est la grande difficulté pour l’EFSA (2) d’aborder la question, en particulier lorsqu’il s’agit d’attribuer un brevet d’allégation officielle à un produit (3). Les limites sont claires : « la référence à des bénéfices généraux, non spécifiques, d’un nutriment ou aliment en vue de la bonne santé globale ou du bien-être lié à la santé ne peut se faire qu’accompagnée d’une allégation de santé spécifique »… D’autre part, fait symptomatique, les travaux de l’EFSA sur le bien-être concernent presque exclusivement le « bien-être animal »… Le champ est donc actuellement fermé, mais on peut l’ouvrir à partir de deux remarques :

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• D’une part, les travaux des institutions internationales – dont l’OMS – depuis leur création ont été largement dominés par la conception anglo-saxonne de l’alimentation :
celle-ci est faite de nutriments et de calories, elle est analytique, ce qui n’est probablement pas étranger aux troubles alimentaires et à l’obésité prévalant dans ces pays. À l’opposé, le monde latin a une conception synthétique de l’alimentation, faite de produits et de repas : le goût et la convivialité sont au coeur du monde alimentaire latin. Le bien-être alimentaire peut donc y occuper toute sa place : pour le monde occidental, la culture innée du « bien-être alimentaire » est latine.


• D’autre part, le bien-être en tant que notion générale, hors du champ alimentaire, fait désormais l’objet de définitions et de mesures sophistiquées : on n’est donc pas obligé d’en rester à une conception du bien-être « miroir de la santé ». Parmi les études modernes, on note celles de l’OCDE (4) et du Credoc (5). Ce dernier en particulier recense différentes conceptions du bien-être et en construit un instrument de mesure multidimensionnel. Dans le recensement, il indique que « [l]es différentes idées se retrouvent dans la notion de “bien-être subjectif” qu’Edward Diener (6) définit en distinguant deux composantes. Une composante hédonique (de êdoné, “plaisir, jouissance”), qui intègre la présence de sentiments ou d’affects positifs et l’absence de sentiments ou d’affects négatifs [et une] deuxième composante, appelée “eudémonique” (de eudaimonia, littéralement “bon esprit, épanouissement”), qui fait référence à la satisfaction dans la vie.»
Alors une conception moderne du bien-être alimentaire peut se construire sur la complémentarité des deux composantes hédonique et eudémonique, citées ci-dessus. C’est ce que nous avons entrepris à l’occasion du premier colloque international « Alimentation et bien-être », qui s’est tenu le 18 juin à Milan, dans le cadre de l’Exposition universelle, sous l’égide du pavillon France et avec le soutien de partenaires particulièrement impliqués dans la problématique (7).

Contexte du repas et bien-être : environnement et rituel
Contexte du repas et bien-être :
environnement et rituel.

Le colloque, trilingue, a été conçu en partenariat entre l’Institut polytechnique LaSalle Beauvais (8), le centre de recherche de l’institut Paul Bocuse et l’Institut européen d’histoire et des cultures de l’alimentation (9). La structure du colloque a été construite sur ce qu’on peut appeler « l’ascenseur du bien-être alimentaire », qui passe par trois niveaux d’élaboration :

1. Les produits et leurs effets physiologiques, métaboliques et épigénétiques sur l’individu.

2. Le contexte du repas et le bien-être : environnement et rituel.

3. Les représentations historiques et sociologiques du bien-manger/bien-être.

L’intérêt de cette triple approche est qu’elle renouvelle et permet d’approcher précisément et complètement, en interdisciplinarité, les drivers du bien-être alimentaire. Selon une étude Ipsos de 2014 (10), lorsqu’on leur demandait de classer les secteurs contributeurs du bien-être, c’est l’alimentation (59 %) que les Français plaçaient en tête, devant les loisirs, les transports, les produits technologiques et les cosmétiques. Il est à noter que dans cette enquête, le classement était très imprégné par les items liés au plaisir, à la convivialité, à l’estime de soi et à la santé : on retrouve là les éléments des deux premiers niveaux de notre « ascenseur du bien-être », les seuls directement accessibles par les répondants dans le déclaratif d’une enquête. Tout ceci montre qu’il y a un potentiel moderne dans le bien-être alimentaire : et si subitement, pour la recherche, l’innovation et les marchés alimentaires, pour la R&D et le marketing, s’ouvrait une nouvelle piste de réflexion et d’innovation, une piste comme on n’en ouvre que tous les trente ans ? Si, tout d’un coup, on séparait le « bien-être » de la « santé » dans les concepts alimentaires (produits et services)… Si soudain on n’associait plus automatiquement ces deux vertus, en se détachant – en exploratoire – de l’option prise par l’OMS en 1946 ? Le discours des marques, leur territoire spécifique, les attributs des produits, le cahier des charges de la R&D peuvent désormais, au regard des progrès des sciences du vivant, de la sociologie, de l’histoire et de l’appréhension des cultures, bénéficier d’un nouvel essor. Elles le pourront d’autant plus si elles associent les « services du bien-être » aux produits. On peut imaginer que la France et l’Italie, grâce à leur histoire et leur culture, en seront les premiers territoires de conquête.
 

Notes

(1) Organisation mondiale de la santé.
(2) Autorité européenne de sécurité des aliments.
(3) Règlement 1924/2006 – Article 10.
(4) Cahiers statistiques de l’OCDE, Les Indicateurs alternatifs du bien-être, septembre 2006, n° 11.
(5) Cahier de recherche du Credoc, L’Évolution du bien-être en France depuis 30 ans, décembre 2012, n° 298.
(6) Ed Diener, « Subjective Well-Being », in Psychological Bulletin, 1984.
(7) Bonduelle, Coca-Cola France, Région Picardie, SIAL 2016.
(8) www.lasalle-beauvais.fr
(9) Fondation abritée par l’Institut de France. Université de Tours.
(10) Ipsos, étude accessible par www.ipsos.fr/decrypter-societe/2014-06-17-bien-etre-durable-francais-demandent-aux-marques-plus-vertu-et-d-empathie, 17 Juin 2014.
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