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Revue des marques : numéro 91 - juillet 2015
 

Le paquet neutre fera-t-il un tabac ou partira-t-il en fumée ?

Le tabac inaugure le paquet neutre. Cela crée une possible contamination de l’emballage standardisé à tous les secteurs d’activité. Est-ce la fin de la marque distinctive et une porte ouverte à la contrefaçon ?

par Clotilde Piednoël



Clotilde Piednoël
Présidente de l’APRAM,
Association des praticiens du droit
des marques et des dessins et modèles.

La directive 2014/40/UE sur les produits du tabac instaure l’emballage standardisé. Elle le justifie comme un moyen de lutte contre la consommation de cigarettes et motive sa mise en place par des impératifs de santé publique et de lutte anti-cancer. Si nul ne conteste ces impératifs, on peut cependant légitimement se poser la question de l’efficacité de la mesure, et s’alarmer du risque accru de contrefaçon et de la dépossession des titulaires de droits concernés qu’elle engendre. Concrètement, le paquet neutre en matière de tabac impose à tous les opérateurs du marché un paquet de même format, l’utilisation d’une même typographie, d’une même couleur et l’apposition d’avertissements sanitaires sur 65 % de la surface du paquet. Instauré en décembre 2012 en Australie, son efficacité paraît encore difficilement vérifiable aujourd’hui, les études existantes sur le sujet étant contradictoires. Cette mesure suscite bien des débats, du point de vue du droit, et l’Organisation mondiale du commerce (OMC) a d’ailleurs été saisie en avril 2013 par cinq États membres : Cuba, la République dominicaine, le Honduras, l’Indonésie, et l’Ukraine.
Les défenseurs du droit des marques rappellent que le paquet neutre apparaît comme une mesure excessive de nature à détruire les droits de propriété intellectuelle. Il équivaut à une interdiction d’usage de droits marques (autres que verbales) pour les cigarettiers. Il viole l’article 17 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’article 1 protocole 1 de la Convention européenne des droits de l’homme, le principe de proportionnalité en droit communautaire, et les accords et traités internationaux.

Procédure d’urgence

Dans ce contexte, il est légitime de s’interroger sur le souhait de certains États, dont la France, de mettre en place le paquet neutre de manière précipitée, alors que la décision de l’OMC sur sa légalité ne sera pas connue avant mi-2016. Le 3 avril dernier, les députés français ont adopté le paquet neutre de cigarettes. Une procédure d’urgence a été décidée sur ce texte par le gouvernement, impliquant qu’il devrait être soumis à la commission des affaires sociales du Sénat début juillet. À l’heure où la contrefaçon est un fléau redoutable, l’adoption du paquet neutre anéantirait également les efforts et investissements des entreprises pour créer et utiliser des marques distinctives, afin de permettre d’identifier clairement l’origine des produits  et de favoriser la détection des faux, notamment par les douanes. La contrefaçon serait ainsi grandement facilitée au détriment du consommateur, ce que l’APRAM (Association des praticiens du droit des marques et des dessins et modèles) déplore. Dans ce contexte, il est également légitime de s’inquiéter du risque de « contagion » de l’emballage standardisé à d’autres secteurs. Il s’agit d’un précédent d’atteinte aux droits des marques, dont la mise en place s’est faite progressivement. L’industrie du tabac a d’abord connu l’obligation d’ajout de messages sanitaires sur ses emballages, et la part donnée à ces mentions n’a fait que croître jusqu’à la possibilité pour les États d’introduire le paquet neutre.
Le parallèle avec les contraintes réglementaires et les mentions obligatoires d’étiquetage peut être fait. Pour garantir l’information du consommateur sur les denrées alimentaires, celle-ci ne devant pas induire le consommateur en erreur, le règlement INCO (l’information du consommateur sur les denrées alimentaires de novembre 2011) réduit considérablement la liberté de disposer de ses droits de propriété industrielle, puisque la taille des mentions obligatoires grandissant, la part laissée aux industriels pour apposer leur marque et communiquer avec leurs consommateurs diminue. En France, la menace d’imposer le paquet neutre pour tout produit entraînant des addictions et des maladies chroniques est également sérieuse dans le projet de loi sur la santé de Marisol Tourraine. La ministre de la Santé prévoit notamment une disposition concernant l’information nutritionnelle : « Le projet de loi pose le principe d’une information nutritionnelle synthétique, simple et accessible par tous. La mise en place de cette mesure sera assurée par les partenaires de l’agroalimentaire et sur la base du volontariat. Elle contribuera ainsi à mieux informer le consommateur. Cet affichage visuel, dont les modalités pratiques seront élaborées par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) et fixées par décret, permettra une différenciation sur le plan nutritionnel des produits au sein d’une même catégorie ». C’est l’équivalent du système anglais des traffic lights, qui stigmatise certains produits et biaise, nous semble-t-il, le jeu de la concurrence. Aussi, le procédé et les prémices sont-ils donc identiques à ceux vécus par l’industrie du tabac, même si, dans ce cas, ces contraintes sont mises en place en concertation avec, ou de manière volontaire par les industriels. Le parallèle se poursuit au-delà, car si le plan anti-cancer passe par la mise en place du paquet de cigarettes neutre, quelles seraient les conséquences d’un plan de lutte contre l’alcoolisme ou de lutte contre l’obésité ? Ainsi, les impératifs légitimes de santé publique ou de signalisation des produits dangereux légitimeraient-ils le déploiement de l’emballage standardisé ?


La marque, un repère indispensable

Rappelons à nos lecteurs quelques vertus positives des marques. Elles permettent aux consommateurs d’identifier et de choisir les produits ; le consommateur doit-il être assisté et n’avoir plus la liberté de ses choix de consommation ? Elles garantissent l’origine commerciale du produit ; la simplification des emballages ne rend-il pas le travail des contrefacteurs et contrebandiers plus facile ? Elles permettent aux concurrents de distinguer leurs produits les uns des autres ; souhaite-t-on supprimer un vecteur de communication majeur, ainsi que la différenciation et la concurrence entre les acteurs ? Les marques et leur notoriété sont le fruit d’investissements lourds ; peut-on détruire la valeur économique de nos entreprises ? Enfin, et non des moindres, les études menées par l’Observatoire européen des atteintes aux droits de propriété industrielle nous instruisent sur la part de la propriété industrielle dans l’économie européenne et démontrent que les secteurs à forte densité de droits de propriété industrielle contribuent à 35 % des emplois dans l’Union et à 39 % de son PIB. Aussi, la menace de propagation de l’emballage standardisé à d’autres secteurs nous apparaît comme réelle. On ne peut que déplorer à nouveau cette atteinte portée à la propriété industrielle et agir pour un changement des moeurs, afin que cette dernière soit perçue comme un plus pour le consommateur et l’utilisateur : un droit positif, garant de qualité, d’origine, et créateur d’initiatives, de richesses et d’emplois.
 

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