Revue des marques : numéro 90 - avril 2015
Valeur de marque, valeur corporate, même enjeu
Communication d’image ou stratégie d’opinion ? Le dilemme n’est plus fondé. Les entreprises ne peuvent plus cloisonner le pilotage de leur image et la gestion des opinions.
par Thierry Wellhoff*
La communication d’entreprise s’organise depuis toujours autour de deux polarités : la communication
corporate et la communication marketing. Avec la transparence demandée par les réseaux sociaux, ces deux polarités tendent à se fondre progressivement, mais utilisent autant l’une que l’autre deux registres principaux : la publicité, axée essentiellement sur
une communication d’image, et les relations publiques, centrées sur les stratégies d’opinion. Parce qu’il est à la fois
vital de se faire entendre dans un monde où la révolution numérique multiplie les prises de parole et qu’il est impossible de tout contrôler – comme il est impossible de ne pas communiquer (comme nous l’a appris l’école de Palo Alto 1) –, mettre en cohérence l’ensemble de ses communications et de ses registres est devenu aujourd’hui un impératif. Comment organiser cette cohérence ? Comment
structurer la complexité des multiples communications de l’entreprise avec ses différents publics ? Comment rendre convergents
les efforts budgétaires mis en jeu pour permettre à l’entreprise d’en tirer profit ? En allant au-delà de la plateforme de marque pour permettre à l’entreprise de disposer d’une véritable plateforme de communication.
Au coeur de cette plateforme : les valeurs.
Nous vivons dans un monde qui ne se tait jamais et où il est
toujours plus difficile de retenir l’attention. De plus en plus
d’émetteurs participent au bruit médiatique, accroissant le
tintamarre ambiant. Les médias, les supports et les sources
d’information, mais aussi les prescripteurs et faiseurs d’opinion,
les récepteurs, les communautés... se multiplient sans
relâche. Du même coup, les critiques, les mises en cause, les
attaques peuvent survenir à tout moment, car la blogosphère
ne s’arrête jamais. Un observateur particulièrement
avisé de la transformation digitale, Michel Serres, parle de
« tohu-bohu de voix permanentes, réelles ou virtuelles » et
affirme même que « pour la première fois de l’histoire, on
peut entendre la voix de tous » (dans son livre Petite Poucette).
Les entreprises et leurs marques doivent faire avec. L’exercice
est particulièrement ardu : 80 % à 90 % de ce qui se dit au
sujet de l’entreprise n’émane pas d’elle-même, mais provient
de sources extérieures et le plus souvent indépendantes.
Souvent critiques, parfois même hostiles (conversations et
forums, commentaires « sauvages », informations publiées
par des influenceurs, des utilisateurs, des observateurs, etc.),
ces sources constituent autant de flux libres et diffus qui
échappent aux sources informationnelles de l’entreprise.
Aussi lui est-il difficile d’avoir une prise consistante sur
l’opinion qu’ont d’elle des consommateurs ou des citoyens
bien informés et qui disposent de nombreux moyens pour
vérifier les données, les messages, les postures ou registres
de communication qu’elle souhaite leur transmettre. Dans
la plupart des cas, une rapide recherche sur Internet donne
davantage de renseignements et d’indices sur une société ou
sur un dirigeant que jadis une enquête chronophage.
Quelles conclusions en tirer ? D’abord, que l’entreprise doit
savoir cultiver une image forte et pérenne et parler à ses différents
publics. Converser, échanger, dialoguer, c’est-à-dire
au préalable les écouter. Et leur répondre quand ils l’interpellent.
Ensuite, que l’entreprise ne peut plus ériger des
« lignes Maginot » entre ses différentes parties prenantes
(clients, actionnaires, salariés, pouvoirs publics…), qu’elle
ne peut « saucissonner » et « adapter » sans structure son
discours, ses valeurs de marque et ses valeurs corporate en
fonction de ceux auxquels elle s’adresse. Impossible en effet,
à l’heure de la conversation, de tenir un discours quant à
son identité de marque qui ne soit pas, en même temps, en
concordance avec les valeurs qui sous-tendent la conduite de
toute l’entreprise et de ses collaborateurs. Cela reviendrait à
faire comme si les valeurs étaient interchangeables – tantôt
valeurs de marques, tantôt valeurs éthiques – alors qu’elles sont au coeur de l’identité de l’entreprise et permettent de
créer du lien tant en interne qu’en externe !
C’est par là même à un vaste effort de cohérence que sont appelées les entreprises. Adosser la marque à l’entreprise, et
l’entreprise à sa marque ; comprendre et intégrer que l’image de l’entreprise dépend in fine des opinions exprimées, en permanence
et de toutes parts : sur ses produits et ses services, sur son management et ses projets, sur sa manière de communiquer. Et, à rebours, ne jamais perdre de vue que les opinions sont tributaires de l’image de la marque ou de l’entreprise, de ses produits et de son dirigeant.
Arrêt sur l’image
L’image renvoie au registre de l’émotion, de l’affect, de l’intuitif et du sensoriel. Une image mentale qui dépend de
l’identité et des codes de communication, qui s’inscrit dans le champ de la perception. L’image, c’est ce que perçoivent les publics. Les religions, pour la plupart d’entre elles, l’ont d’ailleurs compris depuis longtemps, en proposant
à la dévotion des fidèles des images pieuses, des portraits édifiants,
des icônes inspirantes, des vitraux instructifs, etc. Et les « iconoclastes », avant d’être des anticonformistes,
étaient étymologiquement des « briseurs d’images », des
adversaires de l’image, c’est-à-dire de la représentation
sensible des réalités divines, par nature suprasensibles.
Pendant longtemps, l’image a dominé la conceptualisation
des approches de communication. La communication
d’image a servi la propagande politique : pas de dictature
sans images du leader et du peuple radieux à ses côtés et
sans représentations sensibles et visuelles du culte du chef.
L’image et la personnalité de la marque ont souvent été
préemptées par la publicité. L’image est une représentation
visible, une figuration d’une chose ou d’un concept, mais
sa formidable puissance réside aussi dans le fait qu’elle est
le support sensible de l’intellect. « Jamais l’âme ne pense
sans image », écrivait Aristote dans son Traité de l’âme. Il
signifiait par-là que l’acte de réflexion n’est pas désincarné,
et a des origines sensibles. La raison en est que la pensée
s’appuie sur les sens.
Mais aussi que l’image permet de déborder du simple cadre
de la pensée : elle la sort d’elle-même, elle l’arrache à sa contingence.
Elle lui permet d’entrer dans un ordre à la fois sensible
et rationnel : l’imaginaire. Un ordre auquel la publicité aspire
toujours, car l’imagination est terre de désir et de rêve.
L’expression « image de marque » prend alors toute sa
signification. Aucune marque n’est forte si elle ne dispose pas d’une image forte. Si quand on prononce son nom, ou quand on pense à elle, des images ne surgissent pas, qui la décrivent et la dépeignent avantageusement. Apple et la pomme croquée mais aussi une image de simplicité ergonomique et raffinée, Marlboro avec son triangle rouge et le Grand Ouest américain, Nespresso avec son ambassadeur charismatique et son image de club VIP en constituent des illustrations parlantes, parmi bien d’autres exemples connus. L’identité d’une marque, d’un produit, d’une entreprise, est indissociable des images que cette marque [que ce produit ou cette entreprise] « dégage ». Et qui non seulement disent ce qu’ils sont, mais aussi et surtout libèrent l’imagination à leur propos.
Des nids d’opinion
Grande est aussi la force des opinions. Elles peuvent être tellement hasardeuses qu’on en interdit parfois l’expression même : on parle alors de délit d’opinion !
L’opinion, c’est ce que les publics pensent et ce qu’ils disent. On est là davantage dans le champ du raisonné, du réflexif, de l’intellect, même si, au coeur de toute opinion, il y a l’image perçue. L’opinion relève donc du champ du jugement, de l’appréciation, de l’évaluation, de la mise en perspective. Et donc de la critique. Ou de l’éloge. Autrement dit : des jugements de valeur (y compris, cela va de soi, pour juger les valeurs des entreprises). Elle forge les convictions. Positives ou négatives. Bienveillantes ou hostiles. Elle n’a pas forcément prétention à dire la vérité, mais à exprimer un point de vue, que l’on souhaite souvent faire partager. Bref, c’est une manière de penser et de l’exprimer. C’est la manifestation, subjective mais rationnelle, de l’idée qu’on se fait d’une chose, d’une personne, d’une communauté, etc. L’opinion n’est donc jamais synonyme de science ou de connaissance parfaite.
Platon parlait de « doxa » pour l’opposer précisément à la science. L’opinion peut néanmoins être mesurée (comme dans les sondages… d’opinion) ou alertée. Et l’une des finalités de la communication consiste à agir sur l’opinion. Cela est vrai d’une opération d’influence, qui vise à agir directement dessus. Mais aussi d’une opération d’image, qui impacte l’opinion (raisonnée) à partir de supports sensibles.
La cohérence, mère de toutes les batailles (victorieuses)
Communication corporate ou marketing ? Communication de séduction ou stratégies d’influence ? Affects ou analyses ? Émotions ou jugements ? Image ou opinion ? Réponse : tout à la fois. Mais de manière construite et harmonisée. À l’heure où réel et virtuel s’entremêlent, où les réseaux bruissent d’opinions qui se propagent sans répit, influant toujours davantage sur l’image de marque des organisations, une nécessité se fait jour : savoir bâtir des stratégies alliant image et opinions sur des territoires communs.
Cette « synergie » est devenue la clé de voûte d’une communication aboutie. Les marques qui réussiront demain seront celles qui orchestreront capital de marque, données, expérience client, écrans et contenus au sein d’un écosystème vertueux et vivant. Celles qui seront à même d’orchestrer leur communication d’image et d’opinions simultanément. Quitte néanmoins, selon les cas, à en actionner l’une des deux avant l’autre. En agissant d’abord, par exemple, sur la communication d’image pour installer leur marque sur un marché, toucher un nouveau public, faire évoluer l’image de leur entreprise ou de leur produit… Ou, pour surmonter un déficit de confiance ou un problème de visibilité médiatique, corriger des idées reçues ou prévenir une crise potentielle, en favorisant d’abord une stratégie d’opinion.
Pour construire et défendre leur image – qui repose sur des signes et des affects – en tenant compte des opinions, pour « gérer » les opinions, les aider à se formuler, à se diffuser… en soignant son image, pour faire que logos et perception, émotion et raisonnement aillent de pair, pour emporter la conviction, il était nécessaire de disposer de nouveaux outils, d’une nouvelle démarche. Nous l’avons baptisée Origami System®.
Origami System
Une plateforme de communication pour construire l’image et gérer les opinions
Pourquoi « Origami » ? Parce que cette démarche évoque, comme dans l’art ancestral du pliage né en Chine puis
exporté au Japon, le papier que l’on déplie et qui révèle la construction.
L’Origami System est une approche, matérialisée par une architecture de communication triangulaire, dont les
trois « sommets » sont :
- • la mission : tout démarre d’elle et elle est la justification de tout ;
- • l’image : tout part ou revient vers elle ;
- • les opinions : tout passe, à un moment ou à un autre,
par elles.
Les valeurs au coeur de la plateforme de communication
L’opposition entre une vision marketing et une vision éthique des valeurs n’a aucun sens. La cohérence des valeurs, en amont de la concordance entre l’image et les opinions, est une des clés essentielles d’une communication réussie.
Qu’est-ce en définitive qu’une valeur ? Ce qui donne de la valeur (à l’entreprise, à la marque, à l’action…). Un lien social légitime qui donne envie de travailler pour autre chose que soi-même et qui donne plus de sens. Les valeurs sont à l’épicentre de la vie de l’entreprise et au coeur de son potentiel de communication. Nous avons constitué un groupe « expert », destiné à mener une réflexion sur les valeurs d’entreprise et
les valeurs de marque, et lancé un ensemble d’études comme, depuis 2003, l’Index international des valeurs corporate® et le Marketing Brand Values Index®, afin de mieux appréhender les démarches réalisées par les entreprises en la matière.
L’Index international des valeurs corporate® (étude actualisée tous les trois ans) a permis de dégager huit familles de
valeurs, procédant des champs suivants :
- • la compétence (exemple : l’efficacité) ;
- • l’esprit de conquête (exemple : l’esprit combatif) ;
- • la conduite (exemple : l’authenticité) ;
- • les valeurs sociétales (exemple : le développement durable) ;
- • l’épanouissement (exemple : le plaisir) ;
- • les valeurs relationnelles entre les personnes (exemple : la confiance) ;
- • le lien social tissé avec son environnement, mais aussi avec la société en général (exemple : le patriotisme) ;
- • l’angle moral (exemple : la loyauté).
Les résultats observés permettent d’énoncer que les valeurs donnent du sens ; structurent la communication et permettent de gagner notablement en lisibilité et en cohérence ; construisent la réputation d’une organisation grâce à la valorisation conjointe de ses dimensions
identitaire et éthique. Les valeurs ne sont pas des normes abstraites, des idées purement théoriques : elles sont la source des principes d’action qui guident et donnent sens. Qui orientent et rassemblent. Qui éclairent et clarifient.
Surtout quand leur correspondent de bons contenus, qui donnent de la « chair », de la substance à la mission de l’entreprise.
Assurer la cohérence de la communication.
De toutes les communications.
L’Origami System® est le pivot autour duquel se déploient les différentes natures de communication, en fonction
de la typologie des publics à toucher, de leurs attentes spécifiques et des problématiques en jeu. Par exemple
la communication marketing en direction des clients, la communication sociétale en direction de la société civile
et des associations militantes, ou la communication corporate, qui
s’adresse à tous les publics dont, notamment, les actionnaires, les collaborateurs et la société civile.
Au coeur de la communication d’image et des stratégies d’opinions,
l’Origami System® fait le lien entre l’ensemble des champs de la communication (communication
corporate, communication marketing, communication d’influence…) dont les outils, qu’il s’agisse de
campagnes publicitaires, d’opérations digitales ou de relations publics constituent la traduction
opérationnelle.
L’efficacité en communication à l’heure du digital occupe une place centrale et ne peut se concrétiser
sans valeurs clairement formalisées et déployées sur l’ensemble des registres de communication et
en direction de l’ensemble des parties prenantes.
Notes
* Fondateur de l’agence Wellcom, auteur de Les Valeurs : Donner du sens, gérer la communication, construire la réputation, Eyrolles, 2009, réédité en 2011 ; et de L’Entreprise en 80 valeurs, avec J.-F. Claude, Éditions Liaisons, 2011.
1 - L’École de Palo Alto, du nom de la ville de Palo Alto en Californie, est un courant de pensée et de recherche né au début des années 50, notamment à l’origine des thérapies familiale et brève. L’une de ses originalités majeures est l’utilisation de l’approche systémique dans le domaine des relations humaines.
Le Code de la propriété intellectuelle n'autorisant, d'une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privée du copiste et non destinées à une utilisation collective, et d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayant cause est illicite. Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle