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Revue des marques : numéro 94 - avril 2016
 

Ces marques qui abolissent les frontières...

Culture globalisée ou culture diffusée, les marques font la différence…

par Maria Di Giovanni et Céline Grégoire



Maria Di Giovanni,
Directrice associée, Sorgem
et Céline Grégoire,
Directrice du développement, Sorgem

De Shanghai à New York, de Paris à Londres, de Tokyo à Moscou ou Rio… les mêmes marques, les mêmes signes, les mêmes logos accompagnent désormais nos voyages digitaux ou aériens. À Omotesando, rue Oscar-Freire à Sao Paulo ou ailleurs, on passe désormais sans surprise et peut-être même avec un certain sentiment de confort d’un magasin Bang & Olufsen à un Apple Store, d’une boutique Chanel à un corner Burberry, d’un H&M à un McDonald’s, d’un mégastore Louis Vuitton à un caffè latte dégusté à la terrasse d’un Starbucks.
Immersion dans des sensations et des repères qui nous viennent désormais tout à la fois de partout et de nulle part… C’est à peine si les 12 heures d’avion qui nous séparent de Tokyo ou de Sao Paulo, à l’architecture et la langue près, nous donnent le sentiment d’être « ailleurs »… Pourtant, tous ces témoins urbains d’un monde globalisé – qui semblent consommer les mêmes produits, avoir les mêmes désirs, arborer la même mode et se repaître des mêmes hamburgers – ont-ils exactement le même statut ?

Marques internationales ou marques globales, une relation différente à la culture

Notre hypothèse est que si ces marques sont toutes très visibles et parfaitement identifiées à travers un certain nombre de traits communs dans tous les pays du monde, elles relèvent de modèles et de stratégies différentes, qui nous amènent à distinguer stratégie internationale et stratégie globale. Les marques comme Chanel ou autres relevant de ce que l’on appelle couramment le « luxe à la française », mais également une marque comme Volkswagen, par exemple, apparaissent comme des cas assez typiques de ce type de stratégie qui nous semble impliquer une relation spécifique à leur culture d’origine, fonctionnant ici comme un élément structurel de leur reason to believe. La francité ou la germanité sont d’emblée encodées dans le déploiement de leur écosystème sémiotique en tant que valeur exportable. À ce titre, elles diffusent une culture plus qu’elles ne captent ou expriment des archétypes culturels supposés déjà partagés.
Tout différent nous paraît le jeu positionnel international de marques telles que Apple, HSBC, McDonald’s ou Starbucks. Ces marques dont la plupart, il est vrai, sont d’origine américaine (mais pas seulement), et en tant que telles « pénétrées » de modèles comportementaux, relationnels, émotionnels et de valeurs assez nettement ancrés culturellement, ne construisent pourtant ni le même rapport à leur origine, ni la même mécanique de positionnement international.

Plasticité culturelle des marques globales

Les marques globales captent des aspirations et prospèrent sur une culture qui s’inscrit déjà dans une forme de partage où la question de l’origine s’efface. L’extrême plasticité culturelle des marques globales et leur capacité à capter, à saisir et à répondre à des aspirations partagées dans la plupart des pays développés, de la Russie à la Chine, provient précisément d’une hyper-culture globalisée. Celle-ci ne s’entend pas comme une origine, mais comme un écosystème fait de valeurs, de symboles et de croyances partagées, lui-même intégrateur d’un grand nombre de cultures. Bien sûr, ce type de stratégie a ses vecteurs comme l’universalisation de l’anglais et des modèles et valeurs occidentaux, ou l’envahissement du quotidien par le digital, etc. Le « territoire » où les marques globales, comme Apple, puisent et construisent leurs insights et leurs bénéfices – esthétique et technologie de pointe, performance et « récréativité », interfaces intuitives en phase avec une vision de la communication fluide, instantanée, instinctive, créative, etc. – s’entend non pas comme directement lié à un ensemble culturel (américain en l’occurrence) construisant un idéal de communication performante, inspirée et heureuse, mais se nourrit d’aspirations issues d’un style de vie urbain mondialisé concernant la plupart des sociétés économiquement développées.
C’est donc à ce niveau et à partir d’un substrat relevant d’emblée de cette hyperculture que la marque déploie son positionnement destiné aux « élites éclairées » du monde entier, aspirant à être reconnues dans leur différence et leur modernité : « Think Different! » On pourrait ainsi parler d’« applelisation » du monde, au même titre que dans le domaine de la restauration la « mcdonaldisation » s’est imposée. Aujourd’hui, de façon concomitante à ce modèle, l’uberisation prend le relais comme archétype de la marque globale.
À l’inverse, lorsque Volkswagen signait « Das auto ! », même si la présence internationale de la marque peut à bien des égards être comparée à celle d’Apple, on est en présence d’une mécanique complètement différente – et d’ailleurs fréquente pour les marques internationales d’origine européenne.

Mise en valeur des origines par les marques internationales

Les marques internationales exportent une culture, se déploient à partir d’archétypes attachés à leur origine et construisent une part importante de leur reason to believe sur cette base. Qu’il s’agisse de dire la solidité, la puissance et la robustesse attachée à la tradition automobile allemande ou l’élégance, le raffinement et une certaine vision – très aristocratique – de l’élite et de la création véhiculée par les marques du luxe français, les marques internationales mettent généralement en mouvement toute une économie sémiotique dont la pierre angulaire est étroitement liée à une origine géographique, culturelle, historique. Le cas du luxe français (tout autant qu’italien ou anglais d’ailleurs) est à cet égard exemplaire… mais nous pourrions également évoquer des marques d’eau minérale (Evian), de pâtes (Barilla), de scooter (Piaggio)…
Le luxe français fascine par son mystère et sa capacité à susciter un imaginaire et des archétypes ancrés dans l’histoire. Son association fréquente à une forme d’arrogance dominatrice reste perçue comme liée à un idéal français élitiste et aristocratique. Il s’inscrit dans une vision qui ne fonctionne qu’à travers une métaphysique du créateur, et ses points d’appui symboliques relèvent souvent de tout un storytelling d’inspiration historique et culturelle, où se retrouvent certaines figures mythiques de notre histoire comme toute une alchimie mêlant pouvoir, politique, privilège et luxe. Il suffit pour s’en convaincre d’observer à quel point Versailles – particulièrement la galerie des Glaces – a servi de référence et de décor aux films publicitaires récents de J’Adore de Dior… La clientèle internationale aime aussi le luxe français pour sa capacité à susciter ces images, ces références et avec elles tout un roman culturel… qui a cependant ses limites, semble-t-il, si l’on observe que l’un des derniers films publicitaires pour ce même produit met en scène une « ascension » à travers les voûtes de Versailles vers un extérieur aux buildings scintillants dans la nuit de Shanghai ou d’une grande mégalopole du même type.
La mise en scène visuelle de ce passage d’un lieu mythique de l’histoire de France connu dans le monde entier à un espace anonyme mais emblématique d’un univers urbain mondialisé donne à réfléchir : Dior souhaite-il mettre en scène la capacité de la marque à s’émanciper des références ou valeurs qui forment le socle du luxe français, ou la marque nous suggère-t-elle qu’elle en est l’ambassadrice, le relais dans un mode globalisé ? Les deux peut-être…

Marques globales : quelles sont les limites au modèle ?

Ces deux modèles stratégiques – globalisation et diffusion d’un modèle national – reposent sur des mécaniques très différentes. Il n’en demeure pas moins qu’ils sont incarnés et portés par des marques puissantes qui ont, dans leur ADN et leur histoire, la capacité à déployer une culture globale ou locale à un niveau international, sans chercher à s’adapter aux cultures d’accueil. Ou alors très à la marge, au niveau des produits plus que de la marque elle-même. Mais le monde est-il encore un terrain de jeu dans lequel les marques pourraient agir, s’exporter librement, sans chercher à s’adapter voire s’intégrer ?
Les marques de l’économie numérique interrogent le modèle des marques globales. Quand Uber et Airbnb agissent comme des acteurs économiques qui font fi des règles de marché locales et refusent explicitement, voire revendiquent ne pas vouloir céder aux pressions des institutions des pays dans lesquelles elles s’exportent, elles affirment leur puissance de marques globales qui créent la disruption. « We change the world »… oui, mais jusqu’à quel point ?
Les récentes manifestations contre Uber en France, mais aussi au Maroc ou en Russie… montrent peut-être les limites d’un modèle quand il touche la dimension « citoyenne » des consommateurs. On peut alors se demander si ces marques n’atteignent pas une frontière qui, si elle était franchie, pourrait les tirer vers la « zone d’ombre » que toutes les marques redoutent tant elle est un frein à l’attachement. La zone d’ombre des marques étant constituée de tous les « manquements », le manque de transparence notamment, les abus, les mensonges, petits ou grands, voire les trahisons… qui menacent la confiance qu’elle a construite ou tente de construire avec les consommateurs. Et pas de confiance, pas d’attachement.

Faire émerger une alternative ?

Certaines marques font le choix de l’intégration. Ce n’est pas un aveu de faiblesse, c’est au contraire une force que de savoir s’intégrer à la nouvelle culture d’appartenance. C’est le cas d’Hermès, en Chine, qui fait un travail subtil, en cohérence avec son identité et sa conception d’un luxe discret et raffiné. D’ailleurs, Pierre-Alexis Dumas, directeur artistique de la marque, le revendique : « Nous ne sommes pas “global”, nous sommes “multilocal” ». En 1997, au moment du lancement de la marque en Chine, celle-ci conçoit avec le conservateur du musée Guimet une exposition dans la Cité Interdite, signe fort de sa volonté d’adaptation. En 2006, la création de la marque Shang-Xia, qui valorise les savoir-faire locaux, renforce cette stratégie. Au point qu’Hermès est devenue « la plus chinoise des marques de luxe françaises ». Qu’en est-il maintenant des marques qui amorcent ou repensent leur stratégie d’exportation dans des cultures internationales ? Elles doivent d’abord opérer un regard introspectif sur elles-mêmes : quel est le modèle qui leur convient ? Global ? ont-elles la puissance interne suffisante pour se globaliser ? Exportation d’un modèle national ? intégration ? comment activer l’origine dans leur storytelling ? sera-t-elle un levier puissant ? La question pour ces marques est la suivante : comment s’adapter sans perdre ses fondamentaux ?
Beaucoup de questions sur les marques internationales, dont les éléments de réponses sont à chercher à deux niveaux, en plus du niveau du marché :

  • au sein de la marque elle-même et de son ADN : la marque devrait, en toute logique, mener une démarche d’introspection avant d’initier sa stratégie ;
  • dans les cultures d’accueil, en allant chercher les insights, les tensions consommateurs et humaines que la marque peut résoudre.
 
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