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Revue des marques : numéro 89 - janvier 2015
 

Ne pas se tromper sur le choix de sa marque

La marque en tant que signe distinctif porte également une forme de responsabilité vis-à-vis du consommateur.

Emmanuelle Hoffmann*


Emmanuelle Hoffmann
Emmanuelle Hoffmann
Par essence, la marque exerce pour le consommateur une fonction de garantie d’identité ; elle atteste que les produits ou services commercialisés sous ce signe ont bien une même origine commerciale. La marque de fabrique établit donc un lien de confiance avec le consommateur. De ce fait, elle ne doit pas être trompeuse, non seulement pour ne pas nuire aux intérêts des consommateurs, mais également pour ne pas fausser le jeu de la concurrence. Le Code de la propriété intellectuelle fait écho à cette exigence à travers plusieurs articles sanctionnant le caractère trompeur d’une marque. L’article L. 711-3 du Code de la propriété intellectuelle dispose tout d’abord que :

« Ne peut être adopté comme marque ou élément de marque un signe :
[…]
c) De nature à tromper le public, notamment sur la nature, la qualité ou la provenance géographique du produit. »
Les marques de nature à tromper le public peuvent ainsi faire l’objet d’une annulation en justice. De plus, l’article L. 714-6 du même code dispose quant à lui que :
« Encourt la déchéance de ses droits le propriétaire d’une marque devenue de son fait :
[…]
b) Propre à induire en erreur, notamment sur la nature, la qualité ou la provenance géographique du produit ou service. »

Il s’agit ici de sanctionner non pas le caractère trompeur de la marque telle que déposée, mais le caractère trompeur de la marque devenue, par l’usage et le temps, trompeuse.

Nullité de la marque trompeuse

Hero confi pure
La jurisprudence offre de nombreux exemples permettant de définir plus précisément ce qu’est un signe « trompeur », que ce soit sur la nature, la qualité ou la provenance géographique du produit ou service.
Tromperie sur la nature ou la qualité du produit.
Il est tentant pour une entreprise de choisir pour désigner un produit ou un service un signe très (trop) laudatif. À cela s’ajoutent des impératifs marketing qui poussent à opter pour des jeux de mots ou des formulations originales afin de se démarquer sur le marché. Toutefois, le signe choisi ne doit pas suggérer que le produit ou service serait doté de qualités qu’il ne possède pas. Il faut donc prêter grande attention à la fidélité de la marque choisie au regard des qualités et caractéristiques intrinsèques du produit.
Pour une illustration récente de ce propos, on peut se référer à l’affaire Confi’pure (cf. Revue des marques n° 87), ayant opposé la société Andros à la société Hero France – cette dernière ayant déposé la marque Confi’pure pour désigner des produits à base de fruits (confitures notamment).
La société Andros avait sollicité en justice l’annulation de cette marque, estimant que la marque Confi’pure, assortie de la mention « confiture fraîche », était de nature à tromper le consommateur. La société Andros prétendait notamment que ce signe était « trompeur pour le consommateur moyen normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, qui sera enclin à considérer que les produits revêtus de cette marque sont parés d’une prétendue qualité, leur pureté, que n’auraient pas les produits concurrents et à leur conférer une supériorité fictive. » La cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 20 juin 2012 (1), a confirmé la première décision du tribunal de grande instance de Paris, qui avait débouté la société Andros de toutes ses demandes. La cour d’appel a en effet rejeté le caractère trompeur en ces termes :

« s’il doit être reconnu que le néologisme « CONFI’PURE » pris dans son ensemble, est fortement évocateur des produits qu’il désigne, en particulier les « gelées, confitures et marmelades à base de fruits », il n’a pas pour effet de souligner la prétendue pureté du produit mais de conférer au dit signe un caractère arbitraire par rapport aux produits visés dans l’enregistrement des marques mises en cause ; que l’élément figuratif qui accompagne le néologisme « CONFIPURE » dans les deux marques contestées, renforce le caractère arbitraire des marques litigieuses en ajoutant une dimension de fantaisie. […]
Considérant par ailleurs que le consommateur moyen normalement informé et raisonnablement attentif et avisé n’ignore pas que la confiture est composée de fruits et de sucre, et que, pour les besoins de sa conservation, une confiture vendue dans le commerce ne contient aucune bactérie tant qu’elle n’est pas ouverte ; que dès lors il ne saurait être trompé… »

Le caractère trompeur avait donc été exclu et le signe Confi’pure validé. Il convient également de faire attention à la diversification d’une offre de produits sous une même marque. Ainsi, s’agissant d’un exemple ancien, la marque Evian avait été annulée en ce qui concerne les sirops, le consommateur pouvant être amené à penser que ces sirops contenaient de l’eau d’Évian (Paris, 14 octobre 1981 (2)). Une même marque pourra donc difficilement être utilisée pour une grande diversité de produits ne comportant pas les mêmes caractéristiques.
Il en va de même pour les slogans, souvent déposés à titre de marques, qui peuvent se voir annulés s’ils contiennent des informations inexactes. Par exemple, la marque constituée du slogan « Libre à vous de dépenser plus » avait été contestée en justice par un concurrent, mais validée par les tribunaux. La Cour avait jugé que ce slogan ne signifiait pas nécessairement que les services visés étaient moins chers que ceux proposés par des sociétés concurrentes (3).

Tromperie quant à la provenance géographique du produit.
L’hypothèse la plus fréquente de marque « trompeuse » concerne la provenance géographique du produit ou du service. L’un des exemples les plus emblématiques et les plus actuels est celui de la marque Laguiole. Cette marque a ainsi été déposée par un particulier pour de nombreux produits ou services qui ne sont pas nécessairement fabriqués ou élaborés sur le territoire de la commune française de Laguiole. Le 4 avril 2014, la cour d’appel de Paris a refusé de reconnaître le caractère trompeur de la marque Laguiole (4), en statuant selon ces termes :

« Le risque de confusion doit être apprécié en considération du consommateur moyen et à condition « que l’on puisse retenir l’existence d’une tromperie effective ou d’un risque suffisamment grave de tromperie du consommateur.
La commune de Laguiole n’apporte pas la preuve qu’il existe un « risque grave » que le consommateur moyen, pour qui le nom de la commune pourra évoquer le couteau ou le fromage sur lequel elle s’est forgé une réputation, mais dont il n’est pas vraisemblable qu’il puisse envisager que les multiples produits et services concernés proviennent de cette commune, se trompera sur leur origine et qu’il se déterminera, lors de son acte d’achat, sur la croyance erronée qu’ils proviennent de la petite commune de Laguiole. »

Pour que la marque soit annulée, il doit donc être prouvé que le consommateur se trompera effectivement sur l’origine du produit lors de l’acte d’achat.
Par exemple, dans un autre jugement récent, le tribunal de grande instance de Paris a estimé que la marque « Amsterdam Poppers », désignant des stimulants sexuels qui ne provenaient pas d’Amsterdam, était bien trompeuse, puisque le public pouvait être amené à penser que ces produits provenaient d’Amsterdam, cette ville restant « très connue pour sa grande ouverture à l’égard de la communauté gay » (5).

Déchéance de la marque devenue trompeuse

Une fois la marque déposée, il convient de veiller à ce que ce signe demeure cohérent au regard des conditions dans lesquelles il est exploité. Cette problématique est illustrée par la célèbre affaire Inès de la Fressange. Inès de la Fressange avait créé une société à son nom et déposé, par le biais de celle-ci, différentes marques reprenant les termes « Inès de la Fressange ». La société a ensuite été rachetée par un tiers, qui en a également repris les marques, prenant la décision peu après de licencier la fondatrice. Inès de la Fressange a alors saisi la justice en sollicitant notamment la déchéance des marques « Inès de la Fressange ». Cette dernière estimait en effet que ces marques étaient devenues trompeuses, puisque le public était porté à croire que les produits lui étaient toujours liés, alors qu’elle ne faisait plus partie de la société.
Le tribunal de grande instance et la cour d’appel de Paris firent droit à cette demande (6), considérant que la marque était devenue trompeuse pour le consommateur.
Cette jurisprudence a cependant été contredite au niveau européen peu de temps après, la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) ayant jugé dans une affaire similaire que la marque n’était pas trompeuse de ce seul fait, en l’absence d’un argument de vente faisant croire faussement au consommateur que la personne au nom de laquelle la marque correspondait participait toujours à la fabrication du produit alors qu’elle n’avait en réalité plus de lien avec la société (7).
Il n’en demeure pas moins que ces situations génèrent de nombreux conflits. La marque doit demeurer, en tout état de cause, un « instrument loyal d’information du consommateur » (8) et les titulaires de marques se doivent de garder à l’esprit cette exigence, tant au moment du dépôt qu’au cours de la vie de leur marque.

Notes

* Avocate à la Cour, vice-présidente de l’UNIFAB
1 - TGI Paris, 10 septembre 2010, n° 08/10881 ; CA Paris, 20 juin 2012, n° 10/19925 ; Pourvoi rejeté par Cass.com. du 21 janvier 2014, n° 12-24959.
2 - CA Paris, 14 octobre 1981, ann. propr. ind. 1982.125 ; pourvoi rejeté par Cass.com. du 17 janvier 1984, n° 81-16491.
3 - CA Paris, 6 avril 2007, PIBD 2007 III 389 ; pourvoi rejeté par Cass.com. du 1er juillet 2008, pourvoi n° 07-15840.
4 - CA Paris 4 avril 2014, n° 12/20559.
5 - TGI Paris, 26 avril 2013, RG n° 10/03063.
6 - TGI Paris, 17 septembre 2004 ; CA Paris, 15 décembre 2004, n° 04-20120 ; cassé par Cass.com. du 31 janvier 2006, n° 05-10116 sur le fondement de la garantie d’éviction.
7 - CJCE, 30 mars 2006, C259/04, Elizabeth Florence Emanuel/Continental Shelf.
8 - Expression utilisée par la cour d’appel de Paris dans l’arrêt du 31 janvier 2006 précité.
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