Comment s’affranchir de ces clichés pour intégrer concrètement la RSE dans les marques ? Un préalable : garantir la pertinence des enjeux ou des engagements de la marque et identifier les « bons » enjeux, qui vont résonner avec elle. La question de la complexité et de la transversalité des enjeux RSE d’une marque peut assez simplement s’aborder par le prisme de la matérialité (encore un gros mot du « jargon » DD). Dit plus simplement, cela consiste à identifier les enjeux sociaux, sociétaux et environnementaux les plus importants et les plus pertinents pour une marque, ses produits et ses activités. Ce premier exercice va permettre de répondre à deux objectifs majeurs de ce type de démarche.
Premièrement, celui de s’assurer que la marque n’a pas de « trou dans la raquette » sur la prise en compte de ses enjeux sociétaux et environnementaux susceptibles de décrédibiliser tout son discours responsable et d’entacher plus ou moins gravement sa réputation. Les exemples sont nombreux de marques ayant développé des campagnes marketing sur leurs engagements sociétaux ou environnementaux, et qui se sont fait rattraper par la patrouille avec des conséquences plus ou moins désastreuses et durables sur leur image. Car les ONG traquent à juste titre (c’est leur rôle) la cohérence dans les engagements, de sorte qu’une marque qui s’engage sur un sujet social ou environnemental s’expose à être interpellée sur tel ou tel autre sujet sur lequel elle ferait moins entendre sa voix. Pour ne prendre que deux exemples et autant de contre-exemples, quand Dove lança en 2008 son excellente campagne contre le harcèlement que constituent les messages destinés aux adolescentes sur leurs caractéristiques physiques (répondant à de vrais enjeux de société sur l’anorexie, la boulimie ou l’automutilation), portée par sa fondation Dove pour l’estime de soi, elle avait juste « oublié » de s’occuper par ailleurs du fait que ses produits étaient réalisés avec de l’huile de palme non certifiée participant à la déforestation des forêts primaires d’Indonésie. Le film de Greenpeace pastichant celui de Dove connut un tel succès (plus de 1,5 million de vues sur YouTube) qu’il obligea le président du groupe Unilever, auquel appartient la marque, à faire amende honorable et à s’engager dans un programme de certification de son huile de palme pour tous les produits du groupe. À l’inverse, la campagne de Body Shop sur le même sujet de l’estime de soi, dix ans auparavant, reste historiquement l’une de celles qui aura le plus contribué à la connaissance de la marque et à la reconnaissance de son engagement, sans « retour de flamme » cette fois, puisqu’il avait été précédé d’un travail de fond sur les conditions sociales et environnementales de fabrication de ses produits.
Deuxièmement : celui de prioriser les enjeux sur lesquels il sera vraiment intéressant d’étudier le lien avec les attributs
de la marque pour pouvoir les nourrir et les enrichir.
Sur ce point, qui vaut pour l’ensemble des réflexions liées à l’intégration de la RSE dans une marque, il est important
de bien distinguer marque corporate et marque produit.
Si la marque est une marque corporate, l’exercice se fond dans l’analyse de matérialité de l’entreprise, dont l’objectif
est avant tout d’atteindre un niveau minimal d’engagement, un « socle commun » valable pour toutes les marques
produits et qui permette de prévenir les risques de crise d’image, notamment. Si la marque est une marque de produits
ou de services différente de la marque corporate, il sera nécessaire de faire un exercice complémentaire de l’exercice
corporate, pour cerner les enjeux spécifiques que la marque souhaite porter, comme un étendard pouvant pousser plus
loin le bouchon, pour miser sur la différenciation plus que pour simplement prévenir les risques en matière d’image.
Patagonia a lancé ses Footprint Chronicles, dans lesquelles elle présente la traçabilité de ses vêtements.
Croiser ces enjeux les plus pertinents avec la mission de la
marque pour identifier les « pépites » qui vont enrichir sa
désirabilité. Une fois cette première étape franchie et cette
première objection de la complexité levée, attachons-nous
au coeur de l’exercice marketing, à savoir comment faire de la RSE un atout supplémentaire de la désirabilité ou a minima
de l’attractivité d’une marque. L’objectif majeur de cette étape va cette fois être de croiser les enjeux les plus « matériels »
de la marque, identifiés précédemment, avec les insights consommateurs issus des études marketing, les attributs
de la marque et sa « reason to believe ». La réalisation de ce second exercice va ainsi permettre d’identifier les deux ou
trois « pépites » (au grand maximum) qui vont résonner avec les valeurs de la marque et qui vont montrer en quoi la RSE
peut apporter une réelle plus-value à son capital de marque.
Sur ce point, il est important de bien comprendre que les enjeux et les actions de la marque concernant le développement
durable peuvent servir le discours de marque sous deux angles : celui de la réponse aux préoccupations des consommateurs
(qu’ils soient d’ordre sanitaire, nutritionnel, sociétal ou environnemental) et celui visant les aspirations de ces
mêmes consommateurs sur les mêmes dimensions.
Pour illustrer ce point, prenons l’exemple de Côte d’Or lançant, en Côte d’Ivoire, un programme de replantation de
fèves de cacao destiné à répondre aux besoins croissants de son marché. Concrètement, un grand nombre d’actions
économiques (gain de salaire pour les petits producteurs, amélioration des rendements), sociales (campagne d’audits
pour s’assurer du respect des droits sociaux fondamentaux, construction de nouvelles écoles et soutien à la
scolarisation, programme dédié aux femmes agricultrices, etc.) et environnementales (programme de formation à
l’utilisation optimisée des produits phytosanitaires, réintroduction d’espèces en voie de disparition…) vont potentiellement
pouvoir s’inscrire dans son discours de marque.
À la fois pour répondre à des préoccupations (en montrant, par exemple, comment ce programme permet de lutter
efficacement contre le travail des enfants), mais aussi à des aspirations (en montrant comment il permet l’émancipation
et l’autonomisation de femmes entrepreneures). Un choix facilité par les insights issus des études consommateurs montrant que 90 % de ses consommateurs étaient en fait des… consommatrices. CQFD !
On voit bien avec cet exemple comment cette seconde étape permet de répondre cette fois à l’objection du côté culpabilisant et antimarketing des démarches de développement durable inexplorées jusque-là.
Travailler à un plan de valorisation qui va nourrir et renforcer son positionnement. Dernière étape, celui de la valorisation des
éléments RSE qui vont être intégrés à la marque. Sur ce point, il est là aussi intéressant de voir et de comprendre que l’intégration
d’attributs RSE dans une marque va être l’occasion de réfléchir à différents niveaux, avec différentes modalités.
Premier niveau possible, celui qui répond au souhait du consommateur d’être simplement informé sur les actions de la marque. L’une des modalités possible pourra, par exemple, être une information on pack interpellant le client. Dans notre exemple de la marque de chocolat, cela pourrait être un logo Rainforest Alliance lui garantissant des conditions de production respectant les droits de l’homme, et en particulier les réglementations concernant le travail des enfants. Autre exemple, la communication d’Innocent lorsqu’elle a travaillé sur la réduction de l’impact environnemental de ses étiquettes… Le « Baa code » en ligne de la marque néozélandaise outdoor Icebreaker (qui permet de garantir une traçabilité totale de la seule matière première, pour remonter du sous-vêtement technique en laine mérinos jusqu’à l’élevage local où cette laine a été produite) ou encore la mise en oeuvre sur les emballages de l’Alterecomètre, donnant quelques indicateurs clés pour apprécier la façon dont l’engagement de commerce équitable est mis en oeuvre sur le produit AlterEco concerné, sont d’autres exemples intéressants de ces pratiques.
Deuxième niveau, celui de la valorisation de l’acte d’achat. Il pourra cette fois être abordé via un « web doc » présent sur le site de la marque, diffusé via ses comptes sur les réseaux sociaux. Toujours pour notre exemple, ce sera un mini documentaire sur l’histoire d’une des agricultrices ayant bénéficié du programme pour agrandir ses terres et mieux les exploiter, montrant ainsi à ma cliente qu’elle participe indirectement à l’émancipation des femmes en Côte d’Ivoire. De la même façon, l’exemple déjà donné du site Chronique de notre empreinte, chez Patagonia, propose en ligne des reportages sur les pratiques des fournisseurs de la marque, produit par produit.
Dernier niveau, celui des consommateurs et consommatrices, qui sont les plus impliqués et prêts à s’engager personnellement dans les actions sociétales ou environnementales de la marque. Ici, la forme d’intégration des attributs développement durable pourra se traduire par un témoignage direct d’expériences vécues reprises sur les réseaux sociaux. Dans notre exemple, un jeu-concours aura été organisé par notre marque de chocolat, avec à la clé un voyage en Côte d’Ivoire pour rencontrer des agriculteurs et agricultrices, la marque ayant créé un blog dédié sur ses comptes Facebook et Twitter pour que la gagnante puisse raconter en direct son expérience et ses rencontres. Dans le même esprit, la récente campagne #venezverifier, menée par Fleury Michon sur son surimi, offre un cas intéressant de transparence conduisant à une augmentation des ventes sur un marché en baisse.
Cette dernière étape des différentes modalités d’intégration et de valorisation des actions RSE dans le capital de marque donne là encore une réponse concrète à notre dernière objection, portant sur le caractère anticréatif de la RSE. Les différents exemples prouvent qu’au contraire elle peut apporter une approche supplémentaire et complémentaire au discours d’une marque, voire en devenir un de ses attributs majeurs pour la nourrir et l’enrichir. Alors, direction marketing et direction RSE sont-elles définitivement fâchées et condamnées à s’ignorer ? Il semble clairement que non, car de même que la stratégie RSE nourrit et enrichit la stratégie business, elle peut tout à fait nourrir et enrichir une marque, qu’elle soit corporate, de produit ou de service. Au-delà, elle peut constituer un vrai levier pour concevoir et mettre sur le marché des offres innovantes basées sur de nouvelles formes de consommation plus fonctionnelles et collaboratives. Enfin, elle peut également être un moyen pour les directions marketing d’intégrer à leur métier et à leur vision cette complexité croissante des attentes des consommateurs, des moyens de communication pour parler à ses clients actuels et futurs et pour naviguer (plus ou moins) sereinement dans ce monde d’incertitude vers lequel nous allons. Mais tout ceci est une autre histoire, sur laquelle nous reviendrons…
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