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Revue des marques : numéro 88 - octobre 2014
 

Le sondage, un élément de preuve de référence

Démontrer le risque de confusion ou l’atteinte à la renommée d’une marque semble rendu plus facile grâce aux sondages d’opinion exposés devant les tribunaux français.

par Vanessa Delnaud-Robine et Isabelle Leroux


Vanessa Delnaud-Robine et Isabelle Leroux
Vanessa Delnaud-Robine
Avocate à la Cour
Isabelle Leroux
Avocate associée cabinet Dentons
Quelle entreprise, quel juriste ou avocat n’ont jamais été confrontés à la difficulté de prouver le risque de confusion entre deux signes en conflit – en matière de contrefaçon de marques ou de concurrence déloyale – ou de démontrer qu’un tel risque est inexistant ou à tout le moins faible ? Mais encore, en matière d’atteinte à la renommée d’une marque, la protection conférée à son titulaire n’est pas subordonnée à la constatation d’un risque de confusion dans l’esprit public : il suffit que, du fait de la similitude entre les signes en cause, le public concerné établisse un lien entre le signe litigieux et la marque renommée, sans même qu’une confusion se crée. Mais, ici encore, comment démontrer l’existence ou l’absence d’un tel lien ?

Une solution unique à ces interrogations ? le sondage d’opinion… En effet, le sondage d’opinion apparaît, à ce jour, constituer l’outil le plus fiable et adapté pour établir, de manière objective, dans quelle mesure le public de référence (les personnes sondées) est susceptible ou non de réellement confondre les deux signes en présence, ou à tout le moins d’établir un lien entre eux. Ce risque apparaît en effet difficile à prouver par d’autres moyens, sauf à argumenter sans élément tangible de preuve (avec les limites que cela suppose). Le sondage permet en outre d’apporter la preuve « objective  » du degré de connaissance d’une marque sur le segment de marché concerné, laquelle est utile lorsqu’il s’agit de faire valoir la notoriété d’un signe à titre de facteur aggravant du risque de confusion, en matière de contrefaçon ou de concurrence déloyale ; ou même nécessaire pour démontrer la renommée d’une marque lorsque l’atteinte est tirée de sa reproduction/imitation pour des produits et services non visés à l’enregistrement.
 

Accueil positif

Bien que la libre administration de la preuve soit la règle consacrée par le droit français et la législation de l’Union européenne, il convient de s’interroger sur l’accueil réservé par les juridictions judiciaires françaises à ce type d’études. Une analyse de la jurisprudence révèle que les magistrats français encouragent les parties à communiquer de tels sondages. En effet, dans un grand nombre de décisions, les magistrats français n’admettent pas le caractère notoire ou renommé d’une marque, « faute pour le demandeur de rapporter la preuve objective, notamment par sondage, du degré de connaissance de la marque par le public concerné par les produits considérés » (1). Si évidemment le sondage ne constitue pas le seul moyen d’établir la renommée ou la notoriété d’une marque, il est cependant devenu un élément de preuve de référence pour les magistrats français. Il permet ainsi de compléter des éléments de preuve qui seraient insuffisants à eux seuls pour établir la renommée ou la notoriété du signe invoqué (2). Mais encore, les magistrats français vont parfois jusqu’à laisser entendre qu’un sondage serait apte, à lui seul, à établir le degré de connaissance d’une marque ou de tout autre signe distinctif (3). Les juges du fond n’hésitent pas non plus, pour décider s’il existe ou non un risque que le public confonde/associe les signes en litige, ou si le signe second évoque ou non le signe premier, à fonder leurs décisions sur des résultats de sondages (4).
 

La caution des instituts

Si la preuve par sondage est devenue incontournable, encore faut-il que les résultats de celui-ci, versés aux débats, soient fiables et impartiaux, afin de leur conférer une pertinence suffisante. C’est pourquoi le recours à des instituts de sondage et d’enquête spécialisés, rompus à ce type de contentieux, apparaît indispensable. En effet, les juges du fond apprécient souverainement la crédibilité des preuves versées aux débats, y compris la pertinence des résultats des sondages. Or, un sondage sera inévitablement considéré comme dépourvu de force probante en cas de conditions méthodologiques contestables ou non exposées (5). Il en sera de même lorsque l’échantillon de la population sondée sera considéré par les magistrats comme n’étant pas suffisamment représentatif au regard du marché en cause, ou encore si le panel des répondants n’est pas suffisamment identifié (6). On observe également, à la lecture de la jurisprudence, que certains sondages ont été écartés des débats, faute de pertinence (7), pour avoir porté non pas sur le signe semi-figuratif dont la notoriété ou la renommée devait être démontrée, mais uniquement sur son élément verbal – ou pour ne pas avoir précisé le signe concerné.


Critères de la preuve

La position des magistrats français rejoint d’ailleurs celle des juges de l’OHMI, qui ont clairement identifié les critères auxquels un sondage doit répondre afin que lui soit reconnu un caractère probant, à savoir notamment :
1. la réalisation du sondage par un institut indépendant et reconnu ;
2. le nombre et le profil (sexe, âge, profession, et formation) des personnes interrogées. Les personnes doivent être choisies de manière représentative parmi la classe de consommateurs en question ;
3. la méthode retenue et les circonstances dans lesquelles l’étude a été réalisée, ainsi que la liste complète des questions posées devant figurer dans le questionnaire ;
4. la manière et l’ordre dans lesquels les questions ont été posées, afin de déterminer si certaines questions peuvent ou non être qualifiées de tendancieuses ;
5. la précision que le pourcentage indiqué dans l’étude correspond au nombre total de personnes interrogées ou seulement à celles qui ont réellement répondu (8).

Les particularités et pièges du contentieux des marques et de la concurrence déloyale (ou parasitaire) imposent en conséquence de confier la réalisation d’un sondage à un institut ayant non seulement une expertise juridique, mais encore une connaissance spécifique du domaine de la propriété intellectuelle.

Mais, le sondage peut-il être réalisé à n’importe quel moment ? La question peut, en effet, se poser de l’utilité d’effectuer un sondage de notoriété postérieurement à la date du dépôt de la marque qui porterait atteinte à la renommée de la marque antérieure. Sur ce point, on rappellera la jurisprudence constante du Tribunal de l’Union Europénne (TPIUE) et de la Cour de justice de l’Union Européenne (CJUE) aux termes de laquelle la renommée d’une marque s’acquiert progressivement, de sorte que les documents portant une date postérieure à la date de dépôt de la demande contestée sont évidemment recevables et probants, puisqu’ils permettent de tirer des conclusions sur la situation telle qu’elle se présentait à cette même date (9). Il sera enfin précisé que le sondage est également un moyen de preuve efficace dans d’autres domaines du droit des marques, tels que l’appréciation de la dégénérescence d’une marque (10), ou encore la démonstration de son caractère distinctif (11).

Si les mérites et bénéfices du sondage d’opinion ne sont plus à démontrer, il convient néanmoins d’éviter les nombreuses chausse-trappes dans la réalisation de celui-ci en la confiant à des prestataires expérimentés, reconnus pour leur expertise, pour mettre en place de concert une approche méthodologique précise et adaptée à chaque situation juridique (déterminer le questionnaire, le profil et la taille de l’échantillon, etc.). En bref, pour que cet outil précieux soit parfaitement adapté à la problématique juridique.
 

Notes

(1) Voir notamment TGI Paris, 10 avril 2013, RG 12/09125 ; TGI Paris, 3e ch., 2e sect., 26 juin 2009, RG 06/11384 ; TGI Paris, 3e ch., 2e sect., 8 juin 2007, RG 06/12671 ; TGI Paris, 3e ch., 3e sect., 26 août 2009, RG 08/17160 ; TGI Paris, 3e ch., 4e sect., 27 juin 2013, RG 12/10715.  
(2) Tels que des attestations de salariés sur les quantités de produits de la marque vendus et l’étendue de leur réseau de distribution, cf. TGI Paris, 4 juillet 2013, RG 11/15752.
(3) Voir notamment TGI Paris, 3e ch., 1re sect., 28 novembre 2013, RG 12/12856 ; TGI Paris, 3e ch., 2e sect., 16 novembre 2012 RG 11/02738 ; TGI Paris 3e ch., 2e sect., 12 novembre 2010, RG 09/06831 ; TGI Paris, 3e ch., 3e sect., 29 octobre 2010, RG 09/07166.
(4) Voir notamment TGI Paris, 3e ch., 4e sect., 28 mars 2013, RG 11/07355 ; CA Lyon, 20 octobre 2011, RG 09/05130 ; TGI Paris, 3e ch., 3e sect., 4 juin 2010, RG 08/16306 ; CA Paris, 13 décembre 2006, RG 05/19242 ; TGI Paris, 3e ch., 2e sect., 2 février 2006, RG 04/09198
(5) Voir par exemple : CA Versailles, 26 février 2013, RG 11/06632 ; CA Rennes, 9 mai 2012, RG 09/02580 ; TGI Paris, 3e ch., 1re sect., 20 octobre 2009, RG 07/10356.
(6) Voir notamment CA Paris Pôle 5, ch.2, 4 avril 2014, RG 12/20559 ; TGI Paris, 3e ch., 1re sect., 20 octobre 2009, RG 07/10356 ; TGI Paris, 3e ch., 2e sect., 11 septembre 2009, RG 08/01454 ;
(7) CA Paris, Pôle 5, Ch 2, 6 décembre 2013, RG 11/18793 ; TGI Paris, 3e ch., 2e sect., 9 octobre 2009, RG 08/02846 ; TGI Paris 3e ch., 2e sect., 11 septembre 2009, RG 08/01454
(8) OHMI, n°1360/1999, Charm/Charms ; n°441/2002, Bebe/Bébé ; n°531/2001, Telethon/Teleon ; n°1082/2001, Kinder/Kinder EMEukal ; n°1272/2002 Tods/Tod’s
(9) Voir notamment TPIUE, 16 décembre 2010, Helena Rubenstein SNC et L’OREAL SA c/ OHMI ; Décision confirmée par CJUE, 10 mai 2012. CJUE, 17 avril 2008, Ferrero Deutschland c/ OHMI
(10) Voir par exemple TGI Paris, 3e ch., 3e sect., 16 mai 2014, RG 12/10245 ; TGI Paris, 3e sect., 2e sect., 14 mars 2014 ; CA Paris, 4e ch., 19 décembre 2008, RG 07/17455
(11) Voir par exemple TGI Paris, 3e ch., 2e sect., 2 novembre 2013, RG 13/07491 ; TGI Paris, 3e ch., 4e sect., 24 juin 2010, RG 09/02285
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