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Revue des marques : numéro 88 - octobre 2014
 

La « réinternalisation intelligente »

Le phénomène d’accélération du temps impose aux entreprises de conforter leur singularité en raccourcissant les délais de fabrication et de diffusion de leurs images.

par Thierry Maillet


Thierry Maillet
Thierry Maillet
Historien, vice-président d’Ooshot
et président du think tank Image & Digital
Accélération. Une critique sociale du temps (1). Dans un livre remarqué, paru en 2010, le sociologue allemand Hartmut Rosa voyait dans l’Internet la suite naturelle à l’accélération du temps, dont il situait le commencement avec la révolution industrielle.
La forte croissance du mobile, et plus particulièrement du m-commerce (+ 25 % de croissance par trimestre en 2013) (2), confirme l’accélération des prises de décision d’achat par les consommateurs. Cette accélération du temps n’est pas propre au commerce. Pour David Carr, le chroniqueur médias du New York Times, si la guerre du Vietnam faisait l’actualité dans le salon des Américains tous les soirs dans les années 1960, les conflits ukrainiens et proche-orientaux nous sont connus dans la seconde, grâce à Twitter, sur nos téléphones portables (3). Ce phénomène de l’accélération du temps est indéniablement lié à la diffusion des nouvelles technologies. Le succès du téléphone mobile (7 milliards d’utilisateurs dans le monde, taux de pénétration supérieur à 75 % dans les pays développés) entraîne automatiquement cette accélération de la décision de l’acte d’achat. Les entreprises et les organisations doivent adapter leurs structures internes comme leurs modes de collaboration avec leurs prestataires à cette nouvelle contrainte spatio-temporelle.
 

Amélioration des écrans et diffusion des objets connectés

La technologie ne cesse d’améliorer la qualité des images et du son : télévisions à écrans incurvés, smart TV, écrans de smartphone et de tablettes adaptés au multi-usage Pro-Am (professionnel et amateur). Ce flux continu d’enrichissement des écrans impose des dépenses de R&D croissantes aux marques qui font la course en tête (Apple, Samsung, LG). Celles-ci doivent chercher de nouvelles ressources via les plateformes de distribution (iTunes, Android, etc.). De nouvelles opportunités sont offertes par la mise en place des réseaux 4G, et bientôt 5G, qui permettent en réponse la diffusion de programmes culturels, mais aussi commerciaux de meilleure qualité. En réalisant ces investissements, les opérateurs de réseaux espèrent une hausse de leur revenu par client, à défaut d’accroître leur parc d’abonnés. Enfin, la forte hausse de l’offre d’objets dits intelligents ou connectés conforte la palette d’une offre technologique qui raccourcit de plus en plus le délai entre la présentation du produit ou service et son éventuelle acquisition. Ce délai, traditionnellement long avec la publicité « classique », ne cesse de se réduire, voire de quasiment disparaître avec les bannières interactives intelligemment postées à même votre recherche en ligne.
 

Hausse du nombre d’images publiées

Ces progrès technologiques entraînent une hausse conséquente des images publiées ou postées sur les réseaux : 800 milliards en 2014 (4). Or, les entreprises et les organisations ne semblent pas encore avoir pris la mesure de ces évolutions majeures en termes de modalité de fabrication de ces images. C’est regrettable, car en adoptant une meilleure réactivité, les entreprises pourraient tendre vers l’adoption du statut de marques « chaudes », c’est-à-dire réactive et proche à la fois (5). Cette évolution conforte aussi la stratégie dite de l’alignement, qui insiste sur la recherche d’une meilleure convergence entre les marques et leurs consommateurs. Cette tendance est d’ailleurs requise par la recherche de la consommation collaborative par 50 % des consommateurs français (6). La mobilisation d’outils collaboratifs permettrait donc aux entreprises de ré-internaliser leur création pour ainsi se rapprocher de leurs consommateurs (7).


La réinternalisation intelligente

La « réinternalisation intelligente » permet aux entreprises de substituer à un circuit d’externalisation – qui forcément ralentit les délais de réactivité – une meilleure proximité avec des consommateurs qui ne demandent que cela. La forte attente d’une consommation locale et proche est donc aujourd’hui atteignable en modifiant les circuits de fabrication et de diffusion des outils de communication. Ce phénomène de réinternalisation des activités marketing et communication arrive une dizaine d’années après celui de réindustralisation (8), connu aux États-Unis sous le nom de « reshoring » (9).
La diffusion de la médiation par Internet (software médiation) (10) fait évoluer les frontières de la répartition des tâches entre entreprises et prestataires. Au fur et à mesure que des tâches hier externalisées peuvent être réalisées en ligne, la question de leur réinternalisation risque de se poser de manière de plus en plus pressante, pour s’adapter aux contraintes de proximité et de réactivité exigées par des consommateurs de plus en plus collaboratifs. Des premiers exemples sont déjà visibles : des entreprises américaines, dont Apple, ont commencé à rapatrier une partie de leur budget publicitaire pour améliorer leur réactivité (11). Cette exigence est aussi anticipée par les plus grands groupes publicitaires : Publicis a signé un premier partenariat avec Facebook, pour anticiper une nouvelle répartition des rôles avec leurs clients-annonceurs (12). Enfin, selon le baromètre Limelight 2013, les régies devraient évoluer à la demande de leurs clients-annonceurs pour « qu’elles deviennent de véritables partenaires marketing » (13). L’accélération du temps est ainsi en train de devenir un critère central dans la nouvelle répartition de la valeur entre annonceurs et prestataires.


Le marketing revalorisé

Cette évolution est très prometteuse pour le marketing : la fonction va retrouver un rôle central dans la relation avec le consommateur et être revalorisée. Le marketing pourrait ainsi reprendre possession des outils qui hier étaient externalisés. Les entreprises vont être amenées à réduire l’écart spatio-temporel dont elles pâtissent avec leurs consommateurs, en intégrant la fabrication d’images et de sons, c’est-à-dire les éléments de leur communication au coeur de leurs stratégies de marques, pour associer un haut degré de désidérabilité avec un réel halo de proximité. Cette évolution devrait conduire simultanément les agences à imaginer des services qui seront ensuite gérés directement par les clients pour être plus réactifs, voire par des équipes communes. Dorénavant, les entreprises ont donc les moyens d’adopter pour leur communication les codes de l’Internet. C’est la « réinternalisation intelligente ».
 

Notes

(1) Hartmut Rosa, Accélération. Une critique sociale du temps, Paris, La Découverte, 2010.
(2) Baromètre du marketing mobile, réalisé avec comScore, GfK et Médiamétrie, décembre 2013. En savoir plus sur http://frenchweb.fr/m-commerce-25-de-croissance-chaque-trimestre-en-france
(3) David Carr, « At Front Lines, Bearing Witness in Real Time », New York Times, 27 juillet 2014.
(4) Étude Yahoo, 2014.
(5) Benoît Heilbrunn, « Fidélité chaude ou froide ? », La Revue des marques n° 71, juillet 2010.
(6) « La consommation “ collaborative ” séduit près de la moitié des Français », Les Échos, 14 novembre 2013.
(7) « Nouveaux modes de consommation face à la crise, nouveaux modèles économiques », Les Échos Études, mars 2014.
(8) Odile Esposito et Marie-Annick Depagneux, « Réindustralisation : la machine est en marche », La Tribune, 4 décembre 2013.
(9) « Coming home. Reshoring Manufacturing », The Economist, 19 janvier 2013.
(10) Jaron Lanier, Who owns the future, Simon & Schuster, New-York, 2013.
(11) Capucine Cousin, « Apple, un pied dedans, un pied dehors », Stratégies, 19 juin 2014, p. 21.
(12) Capucine Cousin, « Mariage de raison avec les réseaux sociaux », Stratégies, 19 juin 2014, p. 36.
(13) Amaury de Rochegonde, « Il s’agit de nourrir la marque de manière astucieuse », Stratégies, 3 juillet 2014, p. 26.
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