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Revue des marques : numéro 87 - juillet 2014
 

Le drive, concept d’avenir ou mirage ?

Innovation conceptuelle singulière du commerce depuis les dix dernières années, le drive semblerait se conjuguer au pluriel, induisant une stratégie spécifique pour les marques.

par Jacques Dupré


Jacques Dupré
Jacques Dupré
Directeur Insights France IRI
En tout début d’année 2014, IRI a publié un premier « livre blanc » consacré au drive. Cette investigation, réalisée dans le cadre des Ateliers du drive, comportait trois volets distincts : une exploitation de nos bases de données sur les dix premiers mois de l’année 2013, assortie d’une comparaison avec la même période de 2012 ; un point particulier sur les magasins ayant ouvert un drive accolé ; des interviews de clients. À l’époque de ce premier diagnostic, tout en considérant le drive comme l’un des événements majeurs de la grande distribution au cours des dix dernières années, son succès apparent n’évitait pas de poser déjà les questions de son avenir à moyen terme.
En effet, pour les magasins, après des prises de part de marché sur les magasins physiques concurrents, les transferts se faisaient ensuite principalement avec le magasin mère. Sur les drives les plus récents, le phénomène de cannibalisation semblait dès le départ plus élevé que sur les premières générations. Les gains de trafic des binômes (drive + magasin mère) s’effectuaient surtout sur certaines catégories, mais parfois avec une perte d’activité sur les autres familles. Chez les gros utilisateurs du drive, les parts respectives des achats consacrées au drive et aux magasins physiques semblaient en voie de stabilisation. Sur l’ensemble des catégories, la croissance du drive en termes de part de marché se faisait de manière relativement uniforme, en fonction de son poids initial. Ceci traduisait donc une faible capacité à conquérir de nouveaux territoires-produits, à l’image de ce qui s’était passé pour le hard-discount, vingt ans plus tôt.
 

Actualisation des investigations précédentes

Dans le cadre de cet article, il nous a semblé intéressant de procéder à une actualisation de nos premières exploitations. En effet, nos conclusions initiales étaient basées sur un historique relativement court et donc un peu fragile. Nous disposons aujourd’hui de six mois supplémentaires d’observation, ce qui est bien sûr important sur un concept (ou un produit) en lancement. Parallèlement, le discours ambiant sur le drive semble avoir un peu évolué.
Nous sommes progressivement passés de l’enthousiasme à une vision simplement positive (« un phénomène incontournable  »), puis aux interrogations, voire au doute pour certains des acteurs ou observateurs.
Sur les différents aspects, les chiffres sur les six derniers mois confirment les inquiétudes et interrogations.
• Le format continue à gagner 0,7 point de part de marché, à un an, et semble avoir du mal à franchir le cap des 3 % dans nos bases de données.
• Les gains de part de marché du drive sur les différentes catégories sont toujours aussi uniformes.
• Contrairement à ce qui se passe en magasin, les marques de distributeurs voient leur part d’offre et leur part de marché progresser. On ne constate pas de renforcement significatif des petits intervenants.
• La part du drive dans le couple « magasin + drive » se stabilise dans les magasins les plus anciens. Pour les magasins plus récents, elle plafonne rapidement autour de 5 %.
• Enfin, en dehors de nos propres données, d’après les informations récentes publiées (Linéaires, mai 2014), les performances du drive sont encore plus limitées pour les enseignes (principalement de supermarchés) qui ont adopté le « picking magasin », puisque son poids est alors de l’ordre de 2 à 3 %.
 

Comportement des acheteurs sur le drive

Les dernières enquêtes réalisées auprès des « shoppers » nous apprennent trois choses. Premièrement, les achats en drive sont de plus en plus routiniers. Les listes de courses se généralisent (60 %), soit sous la forme traditionnelle (30 % de support papier), soit sous une forme plus en adéquation avec l’utilisation du support (liste enregistrée sur le site ou sur le micro-ordinateur). Le format serait donc ainsi en phase de banalisation. Deuxièmement, le processus d’achat se rapproche de celui observé en magasin : même niveau de prédétermination sur la marque, même niveau de lecture du prix, même temps passé à réaliser l’achat. Enfin, le drive joue de plus en plus un rôle de complément, à la fois sur le type de produits achetés (catégories différentes), mais également sur les moments d’achat (semaine plus que week-end).
 

Investigations sur les marques dans le drive

Dans le cadre de cet article, nous avons cherché à voir l’impact du drive sur la dynamique des marques. Les résultats sont assez clairs sur les quelque mille marques retenues dans nos analyses. Celles qui étaient déjà installées dans le drive en 2012 ont vu leurs performances globales progresser plus rapidement que les autres. Elles affichent, entre 2012 et 2014, une croissance de leur chiffre d’affaires de 2,5 % contre 2,1 % pour les autres. Certes, leur croissance dans les magasins physiques a été moindre : 1,2 % contre 2,2 %, mais le développement de leur activité dans le drive a fait mieux que compenser. Si, pour affiner l’analyse, nous observons au sein des mêmes catégories des marques « fortes » ou « faibles » en drive, il se confirme que les premières se développent plus rapidement que leurs concurrentes, avec même un phénomène accélérateur sur les ventes en magasin. De la même manière que le drive fidélise au magasin, la présence dans le drive améliorerait donc à moyen terme les performances des marques.
 

Deux drives

Selon nous, et sans chercher le jeu de mot, ce concept nouveau n’a pas encore trouvé ses marques. Deux formes de drive cohabitent aujourd’hui :
• Un drive « canal historique », assez bien représenté par les enseignes initiatrices. Il a une vocation « utilitaire » et de complément au magasin physique. L’offre est limitée et centrée sur les produits essentiels de fond de placard ou de fond de frigo, avec une nette surreprésentation des marques de distributeurs. On pourrait évoquer, à partir de ces caractéristiques, l’analogie avec une forme de soft-discount (incarnée il y a de nombreuses années par ED), ou avec les supermarchés Mercadona.
• Un drive « étendu », une forme de dévoiement souvent opportuniste du format, tentant de se positionner de manière très défensive contre le concurrent drive nouvellement installé sur la zone de chalandise. L’offre est alors plus étendue, pouvant couvrir l’ensemble de l’offre classique du magasin. Le concept apparait comme un substitut potentiel aux magasins physiques. Il rencontre alors les mêmes contraintes que le magasin : clarté de l’offre, problèmes logistiques (taux de service, gestion des ruptures, par exemple). Au vu des résultats, et pour le moment, le duel tourne clairement à l’avantage du drive canal historique. S’agit-il d’un avantage d’antériorité (premiers entrants), de lenteur dans les changements d’habitudes des consommateurs français ? En tout cas, selon le système qui deviendra dominant, les conséquences seront très différentes pour les marques.
• Le drive comme complément du magasin… Si le drive devait se limiter à sa version canal historique, tout l’enjeu des magasins serait de « ré-enchanter » le point de vente. Si le « shopper » est débarrassé de ses courses routinières/corvées, la fréquentation du point de vente sera plus ludique : achats plaisir et visite de découverte. Les distributeurs viseront alors à la différenciation et à la théâtralisation des magasins :
- Réaffectation des surfaces et réallocation des linéaires.
- Limitation de l’offre frontale de produits similaires avec les concurrents.
- Développement de la place (assortiments et linéaires) réservée aux PME.
- Généralisation des animations thématiques calquées sur le principe des opérations promotionnelles sectorielles (OP beauté par exemple) ou des foires aux vins, la semaine du chocolat, promotions libres sur le rayon droguerie, etc.
Les produits et marques à très forte rotation seraient bien sûr présents à la fois sur les deux types de commerce. Mais avec, à terme, une moindre visibilité en magasin et une potentielle dégradation de leur statut et de leur image (banalisation).

• Le drive comme alternative aux magasins physiques. Les intervenants distributeurs n’échapperont pas alors à ce qui a été pour l’heure occulté : la facturation du service, qu’elle soit sous la forme de majoration des prix de chaque article ou sous celle d’un coût fixe par commande. Le terrain de communication des enseignes pourra alors être fondamentalement modifié. Le positionnement prix laisserait place au positionnement prix/service, avec un accent mis naturellement sur le confort et la vitesse des courses : ergonomie du site, délais de mise à disposition (moins de trois heures…), temps d’attente – au drive comme aux caisses en magasin –, taux de service (absence de ruptures). Les marques pourraient être progressivement libérées de la pression sur les prix, à laquelle se substituerait une pression sur la qualité du service (approvisionnement, conditionnement prêt à vendre ou à livrer) et sur l’excellence opérationnelle.
 

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