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Revue des marques : numéro 85 - janvier 2014
 

Voici venu le temps des mascottes

Face à l’incertitude du monde actuel, la mascotte vient apaiser, sécuriser, rassurer. Les marques ne l’ignorent pas, qui sont nombreuses à créer la leur.

par Jean-Claude Boulay


Jean-Claude Boulay
Jean-Claude Boulay
sémiologue et qualitativiste
De manière générale, le phénomène de « mascottisation  » s’illustre dans le monde contemporain (1). Les raisons de ce déploiement ont des causalités diverses, qui tiennent à notre vécu existentiel actuel et sont comme des réponses ou des ancrages temporels – mais pérennes dans leur fonctionnement – à ce que Zygmunt Bauman a appelé la société liquide. Nous vivons ainsi aujourd’hui dans un monde protéiforme où l’antique solidité de la pierre, le référent majeur, a disparu. Dans ce monde d’antan – pas si lointain que cela d’ailleurs –, des traditions se perpétuaient et offraient, à travers une consistance, une interprétation plus ou moins univoque du monde. Celui-ci avait un sens relativement stable et la durée/continuité était de mise. Des bouleversements historiques ont modifié le regard que nous portions sur le monde et nous-mêmes. Aujourd’hui, le « principe d’incertitude » préside à nos perceptions, et concerne pratiquement tous les secteurs de notre vie. On est ainsi passé de la métaphore traditionnelle de la pierre, sécurisante, stable, fixe, totémique, ancrée, à celle de l’eau, mouvante, fuyante, différente, volubile, dynamique. En caricaturant un peu, on pourrait dire que c’est la revanche d’Héraclite, philosophe de la mouvance inhérente des choses, sur Parménide, chantre de la stabilité de l’Être. Ces transformations dans la manière d’appréhender le monde peuvent engendrer chez les contemporains une certaine « intranquillité », et ceux-ci cherchent alors dans cette diversité permanente un type d’objet qui offre un certain apaisement et une sorte de refuge psychique. Donc, confronté à une incertitude intérieure – doute de soi, interrogations multiples quant à sa propre identité – et face à un monde incertain où tout se modifie constamment, le sujet contemporain cherche un objet stable et rassurant qui le réconforte. Cet objet semble la mascotte. Les mascottes sont ces petits êtres qui se présentent « spontanément » à nous et que l’on peut aborder à partir de trois dimensions différentes et complémentaires. Le concept : un objet qui sorte de la « dangerosité » ou de la négativité du monde, qui ne soit pas conflit mais baume. Le percept : un objet relativement doux, accueillant, simple, qui contrecarre la rugosité des choses quotidiennes. L’affect : un objet avec lequel « je » puisse entretenir une relation projetée sans ambiguïté et sans méfiance. Le déferlement actuel de toutes sortes de mascottes dans la vie contemporaine serait ainsi la conséquence d’un monde difficile où l’on doit souvent être sur ses gardes. Certaines marques proposent ainsi des mascottes afin de profiter de ces mécanismes psychosociologiques bénéfiques pour les sujets en général.
 

Les quatre éléments

michelin
L’utilisation de mascottes dans le domaine du marketing renvoie à un dispositif sémiotique ancestral. Quatre éléments fondamentaux sont en jeu et s’emboîtent : réel, marque, mascottes et « sujets » destinataires. Ces quatre entités sont toujours en relation, qu’elle soit explicite ou implicite, mais l’accent sera porté en majeur sur une des entités selon les cas.
La relation marque/réel : la marque interprète le « réel » (qui ne dit rien particulièrement) et le promeut.
Elle donne une vision du réel (en fait une réalité du produit). Elle le construit et le propose packagé pour tous types de réalités/produits/services. C’est un monde simple, sans duplicité. La marque le charge de sens et l’offre secondairement à des destinataires/clients/désirants. Elle est ainsi une interface entre le « réel » et le « sujet », qui peut lui aussi bien évidemment avoir une vision/impression de ce « réel ». Réel (objets/factualités/ choses) qui ne dit rien en soi et donc « inter-prétation » des marques et des « sujets » à son endroit. Le réel est donc doté de sens par l’autre. La marque propose son enrobage, son encodage du réel aux supposés destinataires qui le partagent ou pas (sont en adéquation ou pas). On est déjà dans une re-présentation d’une chose ou d’un objet.
Relation réel/mascotte : la mascotte est l’incarnation d’un réel anthropomorphisé.
vache qui rit
Devant ce réel à promouvoir, la marque peut en outre s’adjoindre une interface supplémentaire, qui va venir s’adosser à la fois à la marque et au réel. Soit une mascotte qui incarne ce réel, l’anime, le personnifie, le fait vivre : c’est un réel anthropomorphique, presque vivant. Le réel « parle » et agit : il se comporte comme s’il avait une âme (anima). Ce n’est déjà plus un réel anonyme, sans identité et sans sens finalement. C’est un réel « mascottisé » qui évolue et s’adresse aux « sujets ». Le réel devient parlant et agissant… Il s’agit ici d’une domestication certaine, d’un processus d’hominisation. Exemples : Bibendum de Michelin, M&M’S, La Vache qui rit, La Laitière…
Relation marque/mascotte : la mascotte est une extension vivante de la marque.
Mais une mascotte, c’est la marque qui la supporte et la promeut, c’est elle qui tisse et connote ce réel à travers cette incarnation symbolique ou arbitraire présentée. La marque est le « créateur » de la mascotte comme incarnation de ce réel. Elle s’identifie et se projette dans sa mascotte : elle est une sorte de démiurge. Cette mascotte lui permet d’associer des qualificatifs/prédicats à elle-même et à ce réel, étranger sur le fond. Ainsi la marque parle-t-elle implicitement d’elle-même et du réel de manière synchrone. En fonction des typologies de mascottes (puisées dans l’imaginaire anthropologique et mimétique multiséculaire), elle va implicitement infléchir et définir sa posture. La marque est à la fois le démiurge de sa mascotte – et par là s’en distingue – et son identité même (identification/équation). La mascotte possède dans cette relation une double fonction (paradoxale) : création et incarnation effective (processus théologique christique). La marque devient, via la mascotte, plus tangible, personnalisée et interactionniste. Elle devient d’une part plus vivante, et fait vivre le réel sur lequel elle s’adosse d’autre part. Exemples : Cetelem, 118 218, Mr Propre.
vache qui rit
Relation mascotte/« sujets » : la mascotte est l’être proxémique du consommateur.
Les sujets associent la mascotte à la marque et au réel qu’elle indique. La mascotte est en position tierce entre la marque et le « sujet-destinataire ». « Mascotte » est une lisibilité qui renvoie à l’incarnation personnifiée de la marque, devenant alors plus humaine et vivante… Une relation anthropologique peut alors s’instituer entre la mascotte et le destinataire, dans laquelle les affects et les projections diverses peuvent se mouvoir. « Mascotte » devient le lieu d’un jeu de représentations, qui s’offre dans une certaine immédiateté et évidence, à l’instar de personnes concrètes au sein de l’entourage social. Il y a création de facto d’un lien direct entre la mascotte et le destinataire en une condensation unifiée de percept, de concept et d’affect. La mascotte « évolue » et « vit » dans l’entourage du destinataire et devient le lieu d’un lien. Exemples : Butagaz, Caisse d’épargne, Alice.


m & ms
 

Bénéfices de la marque dotée d’une mascotte.

Grow
La marque, de par l’existence de sa mascotte, crée de multiples liens avec son destinataire. Liens dont les qualificatifs majeurs sont l’immédiateté de la perception, l’identification et la personnalisation de la marque (comme une âme), la proximité et la complicité entre marque et consommateurs, l’animation et la vivacité de la marque (anthropologisation), la dédramatisation du réel (sécurisation dans la désaltérisation de l’Autre) et la réassurance dans la régression psychique (le lieu du même). Le monde, le « réel », devient ainsi moins cru et cruel, la marque possédant une stature démiurgique tant envers le réel qu’envers sa mascotte, et favorisant un lien tant intrapsychique que social.
 

Notes

(1) cf. le Cercle Frédéric Mistral, premier club des annonceurs à mascotte
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