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Revue des marques : numéro 85 - janvier 2014
 

Lorsque le créateur disparaît

Que faire quand la marque incarnée devient orpheline de son créateur ? Rester dans le sillon qu’il a créé.

par Davina Dauzet


Davina Dauzet
Davina Dauzet
Étudiante en master
Stratégie de marque,
à Sup de pub Paris
Un choc : devenir orphelin est un cap difficile qui reste pourtant, dans l’ordre des choses. Inéluctable, cette étape de vie est propre à l’état mortel de l’homme. « Nous vivons nos vies de la même manière que l’herbe traverse les saisons du printemps à l’automne », rappelle un dicton chinois. En revanche, oeuvre de l’homme, l’entreprise et la marque sont amenées à survivre à l’humain. Les deux se rejoignent néanmoins : pour la marque comme pour l’homme, perdre ses racines, ses fondements, ses référents est un grand bouleversement. En effet, cause de souffrance ou de conflit identitaire, la condition d’orphelin peut provoquer chez l’homme des dommages surmontables par la résilience (capacité à rebondir suite à des épreuves). Cependant, la marque dans sa fonction de repère ne peut se permettre de vaciller ; d’autant plus dans cette période où le déficit de confiance envers la société et ses symboles (dont la publicité) accentue un sentiment de non-retour. L’oeil pragmatique peut affirmer à raison que la marque n’a ni père, ni mère. Elle ne meurt pas au sens strict du terme puisqu’elle n’est pas un être vivant. La notion de « marque orpheline » est une figure de style qui consiste à personnifier la marque en lui conférant une caractéristique propre à l’homme : la potentialité d’être un jour orphelin de son créateur. L’analogie entre l’homme et la marque est présente dans de nombreux principes publicitaires : Jean-Noël Kapferer, dans son prisme d’identité, dote la marque d’attributs humains comme la personnalité, le physique, la culture ou la relation. Quant à l’agence Saatchi & Saatchi, elle défend l’idée de « Lovemarks », marques avec lesquelles les consommateurs entretiennent une relation quasi amoureuse. Evidemment, la marque n’a pas les mêmes caractéristiques que l’homme, toutefois elle commence à comprendre l’intérêt de s’humaniser. Aujourd’hui, les marques n’hésitent plus à s’engager en soutenant des associations, à se passionner de culture via du brand content, à discuter en direct avec les consommateurs grâce à Facebook.
Bien avant cet engouement, certaines marques ont fait office de précepteurs : Leclerc, Ford, Ricard, Breguet, Hachette, Lipton, Mc Donald’s, Peugeot, Lacoste, Larousse… L’idée est venue à des créateurs de donner leur nom à leurs entreprises, devenues marques, des marques dites « éponymiques » (Leur nom est une marque, Bernard Logié, Dora Logié-Naville, Eyrolles, 2002). Ces marques sont humanisées depuis leur création puisqu’elles dégagent confiance, proximité et accessibilité. Certes, tout ne peut reposer sur un nom, mais c’est par ce facteur que tout commence…
Des marques éponymiques audacieuses ont capitalisé sur l’atout qu’était leur nom en intégrant leur fondateur dans leur communication. Stratégie conférant humanité, proximité et attachement, elle fut utilisée par plusieurs marques de luxe comme Yves Saint Laurent, dont le créateur posa nu dans la presse, ou Marie Brizard, dont le visage s’affichait sur l’étiquette de sa liqueur. Ce phénomène est toujours d’actualité, notamment dans la mode, avec Karl Lagerfeld, Jean-Paul Gaultier ou Vivienne Westwood. Mais des marques d’autres secteurs s’y essayent avec succès : Alain Afflelou (optique), Franck Provost (coiffure), Michel et Augustin (alimentaire).
Michel et Augustin une marque éponymique audacieuse
Michel et Augustin
une marque éponymique audacieuse

Ce positionnement publicitaire a souvent porté ses fruits pour ces marques qui ont gagné en capital sympathie. Bien que séduisante, cette stratégie induit des aléas : c’est inéluctable, le fondateur est amené à se dissocier de sa propre marque. Pour ancrer sa marque dans le temps et la rendre intemporelle, il est indispensable à la marque orpheline de gagner en indépendance vis-à-vis de celui par qui tout a commencé, d’autant plus si le fondateur s’affiche dans la communication. Apple, qui n’est pas une marque éponymique d’origine, a aussi joué avec ces codes en mettant en avant son fondateur Steve Jobs, notamment lors des célèbres présentations Keynote. Omniprésent dans la communication, Steve Jobs est presque devenu aussi populaire que sa marque. À sa disparition, en 2011, beaucoup se sont interrogés sur le devenir d’Apple. Près de deux ans après, la marque a perdu de son hégémonie : en plus de son déclin en Bourse, la marque se fait rattraper par la concurrence et notamment par Samsung.
La principale force (à court terme) et aussi faiblesse (à long terme) de la marque incarnée – c’est-à-dire la marque mettant en avant son fondateur dans sa communication –, c’est d’externaliser l’humanité de la marque pour l’attribuer à son fondateur. La relation qui peut s’établir entre la marque et le consommateur passe par le fondateur, souvent considéré comme un « surhomme ».
Si la dualité entre la marque et le fondateur est difficile à gérer pour celui-ci, elle l’est d’autant plus pour le consommateur, qui fait un lien direct entre les deux. Christian Dior affirmait lui-même : « il y a deux Christian Dior, moi et l’autre, de plus en plus nettement séparés ».
steve-jobs
Steve Jobs
Il est nécessaire aux marques et à leurs fondateurs d’établir cette distinction pour gérer l’après, lorsque la marque incarnée devient orpheline. Bien sûr l’identité de la marque est indissociable de son créateur, les deux sont interdépendants. Cependant, le fondateur, qui n’est que le serviteur de la marque, ne doit pas prendre le dessus. Comme celui d’un parent, le rôle du fondateur est d’aider la marque à grandir, de l’éduquer pour ensuite la laisser s’envoler et prendre son indépendance. Et puis, comme un père vieillissant qui refuse son âge, le fondateur n’acceptant pas ses limites peut nuire à sa marque en la faisant passer pour « ringarde ». Le fondateur ne doit pas agir comme un père abusif. Il doit pouvoir se détacher de la marque tout en assurant la continuité dans le management, en choisissant son successeur mais aussi en pérennisant l’identité de la marque par l’établissement d’une charte d’identité. Cette charte a pour but de définir les « gènes » de la marque afin de ne pas dévier de la raison fondatrice lui donnant tout sens et cohérence. Si le fondateur et son histoire sont hors normes, il peut être opportun de les faire entrer dans le mythe de la marque et de l’entretenir par des expositions, des anniversaires, des ambassadeurs de marque, des rééditions d’anciens produits phares… Le challenge de cela est de ne pas paraître « has been ».
Malheureusement, comme pour l’éducation d’un enfant, il n’y a pas de science exacte, étant donné la multiplicité des situations externes possibles, d’où l’absolue nécessité de l’écoute, c’est-à-dire de la veille.
 
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