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Revue des marques : numéro 85 - janvier 2014
 

Generations Opportunites et enjeux pour les marques

En mobilisant les différentes facettes du concept de génération, les marques peuvent s’inscrire dans le patrimoine culturel des consommateurs. Elles se créent ainsi de nouvelles opportunités, mais doivent réfléchir à leur responsabilité lorsque, par leurs offres et leurs communications, elles contribuent à façonner les relations entre générations.

par Margaret Josion-Portail


Margaret Josion-Portail
Margaret Josion-Portail
Enseignante-chercheuse en marketing
et membre de la chaire Marques & Valeurs de l’IAE
de Paris – Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

Les segmentations « générationnelles » : de quoi parle-t-on ?

À l’heure où les marques découvrent les besoins spécifiques des séniors, cherchent à séduire les 18-30 ans, ou à s’inscrire dans une continuité de consommation familiale parent-enfant, le concept de génération apparaît très souvent mobilisé en marketing. Génération X ou Y, marketing générationnel ou transgénérationnel, des termes aux contours souvent flous fleurissent… Ils s’appuient en réalité sur différentes facettes du concept de génération (1) : la génération comme groupe d’âge, la génération comme cohorte, et la génération comme filiation.
 

L’âge chronologique : un critère de segmentation établi, mais insuffisant.

Sur le plan démographique, une génération se conçoit généralement comme un groupe d’individus appartenant à une tranche d’âge donnée ; les membres d’une même génération partagent alors des caractéristiques biologiques ou cognitives, engendrant des besoins identiques liés à leur âge « chronologique ». Ce critère est aujourd’hui fréquemment utilisé pour segmenter les marchés : ainsi, la marque de dentifrices Signal distingue-t-elle les enfants de 2 à 6 ans de ceux de 7 à 13 ans, et répond à leurs besoins spécifiques par un dosage en fluor adapté ; la gamme Age Perfect de L’Oréal Paris, conçue pour les peaux matures, prend en compte les effets du vieillissement cutané ; certains modèles de téléphones de la marque Philips possèdent des touches larges et un son plus soutenu que les modèles classiques, en réponse aux déficiences visuelles et auditives des consommateurs âgés. Si le critère d’âge chronologique est souvent utile pour segmenter les marchés, il nécessite de la part des marques une réflexion approfondie sur la définition des groupes d’âge pertinents, qui peuvent différer d’une catégorie de produits à une autre. De même, il reste insuffisant s’il ne s’accompagne pas d’une prise en compte d’autres critères, comme l’âge subjectif ou le cycle de vie familial. L’âge subjectif, qui correspond à l’âge auquel un individu s’identifie, est généralement moins élevé que l’âge chronologique. Cette tendance au « rajeunissement » s’accroît avec les années : ainsi, une étude (2) a montré que les 50-59 ans, souvent classifiés comme « séniors » en marketing d’après leur âge biologique, ont le sentiment d’avoir onze ans de moins que leur âge réel ; comment peuvent-ils alors s’identifier à des offres pour quinquagénaires, faisant explicitement référence au terme « sénior » ? Le cycle de vie familial est également une variable à considérer : l’arrivée d’un enfant ou le départ en retraite surviennent à différents âges selon les individus et peuvent avoir un impact important sur les comportements de consommation de certaines catégories de produits.
 

Marketing générationnel : s’adresser à des groupes de consommateurs issus du même contexte socio-historique.

danette
La chanson On se lève tous pour Danette,
composée dans les années 1980,
a contribué à inscrire la marque dans le
patrimoine émotionnel des Français
(source : www.danette.fr)
Une génération peut également se concevoir comme un ensemble d’individus nés dans un même contexte socio-historique : partageant une « histoire » commune, ils peuvent avoir été marqués par les mêmes événements, les mêmes marques emblématiques, les mêmes pratiques de consommation en matière de médias. Il n’existe toutefois pas de consensus quant aux contours précis de ces différentes générations ; selon les sources, la génération X pourra ainsi être définie comme celle des individus nés entre 1965 et 1985, ou, de façon plus restrictive, entre 1965 et 1975. Plus que les contours précis, ce sont les événements marquants, pertinents pour la marque ou la catégorie de produits, qu’il faut rechercher pour construire une segmentation générationnelle.
Les adolescents d’aujourd’hui, nés au début des années 2000, grandissent avec l’ordinateur portable, le téléphone mobile et les médias sociaux : les Pokémon, les tablettes tactiles, Facebook font partie de leur univers familier, et le monde digital constitue pour eux un marqueur générationnel fort. Les cinquantenaires actuels, nés au début des années 1960, ont connu L’Île aux enfants, émission pour la jeunesse emblématique, ou la purée Mousline et son petit volcan « pour mettre du jus dedans ». En mobilisant ce patrimoine commun, généralement issu de l’enfance et de l’adolescence, les marques peuvent actionner le levier nostalgique, et favoriser l’attachement.
La nostalgie (3) peut être définie comme une préférence pour des produits qui étaient populaires lorsque le consommateur était plus jeune ; elle est souvent ressentie pour des marques culturelles ou alimentaires. Une étude récente du cabinet Nomen (4) montre que Nike, Adidas et Kinder arrivent en tête des marques « nostalgiques » pour les 18-29 ans ; pour leurs aînés, âgés de 30 à 40 ans, Nutella, Lego et Kinder occupent les trois premières places. Dans la stratégie des marques, la nostalgie peut être prise en compte dans le développement d’offres « générationnelles », comme les tournées « Années 80 », ou « Âge tendre et tête de bois », qui connaissent actuellement un grand succès commercial. Elle peut également nourrir les stratégies de communication des marques ; ainsi, en réutilisant, dans un film publicitaire sorti en 2010, le scénario et la musique de son film historique, tout en adaptant la situation et le texte à un contexte plus actuel, la marque Mousline a joué sur les connexions nostalgiques pour regagner des parts de marché.
 

Marketing transgénérationnel : inscrire la marque au coeur des relations familiales.

kinder
La marque de chocolat Kinder incite
les familles à partager leurs « délicieux moments »
via son site Internet (source : www.kinderchocolat.fr)
Une troisième façon d’appréhender le concept de génération consiste à le définir comme une position déterminée au sein de la lignée familiale. Plus que l’âge, c’est ici la place dans la filiation qui définit l’appartenance à une génération donnée. Les marques transgénérationnelles (5) se distinguent en ce qu’elles s’adressent simultanément à différentes générations, en s’affranchissant à la fois de la temporalité et des clivages intrafamiliaux. La permanence de la marque, à travers le temps, est assurée via la transmission, comme le montrent les campagnes du parfum Chrome d’Azzaro, ou de la marque Kinder, qui jouent sur la complicité entre parents et enfants. Dans le monde du luxe, la filiation peut constituer un levier d’initiation à l’univers exclusif d’une marque ; les montres Patek Philippe se positionnent ainsi comme des objets symboliques de la lignée familiale, construite de père en fils. Une marque transgénérationnelle peut également remplir une fonction de cohésion familiale, en rassemblant les générations ; ainsi, IKEA met en scène, dans une campagne récente, un père de famille recomposant son salon à la manière d’un arbre généalogique pour offrir une place à tous les membres de la famille élargie. Enfants, parents, et grands-parents se trouvent ainsi rassemblés grâce à la marque. Le géant suédois adopte encore l’angle transgénérationnel pour accompagner sa montée en gamme, illustrée par sa nouvelle collection de meubles Stockholm. En affirmant que l’usage fait par leurs acheteurs ne pourra que les embellir en attendant que les générations futures en profitent à leur tour, il justifie un prix plus élevé par une durée de vie qui s’étend au-delà de la génération actuelle.
 

Marketing et générations : opportunités et responsabilités pour les marques

pub-evian
Génération… moi !
Quand Évian fait dialoguer le consommateur
avec sa propre enfance (source : evian.fr)
En utilisant des marqueurs forts et en jouant sur des codes de communication spécifiques, comme la marque Converse dans sa dernière campagne « Shoes are boring, wear sneakers », les marques peuvent s’installer dans le patrimoine « culturel » d’une génération et bénéficier d’une préférence face à des concurrents au profil plus généraliste. Cette stratégie implique toutefois de décrypter et de maîtriser parfaitement les codes de la cible visée. Elle peut également s’avérer risquée si, dans le cas d’une stratégie d’extension, la marque souhaite toucher d’autres tranches d’âge ; il lui faudra alors s’affranchir de ces codes, et créer une rupture dans sa communication.
Certaines marques adoptent l’humour pour jouer sur le clivage entre générations, comme Samsung qui montre dans une campagne récente la « revanche » d’une jeune femme tenant enfin tête à sa mère en lui démontrant l’efficacité du lavage à froid grâce à son lave-linge Eco-Bubble. Si cette stratégie « générationnelle » offre de nombreux avantages, elle induit également des responsabilités pour les marques ; au travers d’offres ciblant spécifiquement des groupes d’âge ou des générations données, ou de campagnes à marqueurs générationnels forts, elles peuvent accroître le fossé entre générations, notamment au sein des familles, voire diffuser des stéréotypes. Le positionnement transgénérationnel, plus consensuel, offre à l’inverse la possibilité d’étendre la marque sur plusieurs cibles d’âges différents ; il présente toutefois le risque de présenter une image trop lisse de la famille contemporaine, et de mettre en avant des valeurs de complicité ou de partage qui peuvent être préemptées par plusieurs marques, n’offrant pas d’élément de positionnement suffisamment fort. Pour s’engager dans une approche transgénérationnelle, les marques doivent revisiter en profondeur leurs connaissances des relations intrafamiliales : elles peuvent tout d’abord élargir leur vision au-delà de la famille traditionnelle ; elles doivent ensuite s’intéresser aux différents modes de transmission entre générations (des aînés vers les plus jeunes, mais également des plus jeunes vers les aînés) ; enfin, elles doivent chercher à dépasser le cadre de la famille nucléaire, en prenant en compte d’autres acteurs familiaux, comme les grands-parents, qui sont aujourd’hui nombreux, actifs, et impliqués. Quel que soit l’angle adopté par les marques, le marketing n’a pas fini de jouer avec les générations, comme en témoigne la dernière campagne de la marque Évian… En faisant dialoguer avec humour, par-delà le miroir du temps, un adulte et son double, enfant, la marque invente… la « génération moi » !
 

Notes

(1) Pour une revue de littérature sur le concept de génération en marketing, voir Bourcier-Béquaert (Bénédicte) et de Barnier (Virginie), « Toward a Larger Framework of the Generation Concept in Marketing », Recherche et applications en marketing (English Edition), 2010, vol. 25(3), p. 115-134.
(2) Voir Guiot (Denis) « Tendance d’âge subjectif : quelle validité prédictive ? », Recherche et applications en marketing, 2001, vol. 16 (1), p. 25-43.
(3) Le concept de nostalgie ne fait pas l’objet d’une définition consensuelle ; nous adaptons ici la définition proposée par Holbrook et Schindler – Holbrook (Morris B.) & Schindler (Robert M.), « Echoes of the Dear Departed Past : Some Work in Progress on Nostalgia », Advances in Consumer Research, 1991, vol. 18 (1), p. 330-333.
(4) Les 18-40 ans : profils, rapport aux marques et attentes, Nomen Research, 2013.
(5) Pour une réflexion approfondie sur ces marques, voir Heilbrunn (Benoît), « Les marques transgénérationnelles », Décisions marketing, 1999, vol. 18, p. 81-84.
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