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Revue des marques : numéro 83 - juillet 2013
 

La marque, un engagement juridique et marketing

Le dépôt et l'usage d'une marque impliquent obligatoirement un engagement de son titulaire envers sa clientèle

par Corinne Allard-Dornaletche et Pierre Charrier,
Conseils en propriété industrielle, membres de la Compagnie nationale des conseils en propriété industrielle


Corinne Allard-Dornaletche
Corinne Allard-Dornaletche

Pierre Charrier
Pierre Charrier

La marque, selon sa définition juridique, est un signe distinctif qui permet au consommateur de différencier les produits ou services d'une entreprise de ceux proposés par les entreprises concurrentes. Sur un plan marketing, Jean-Noël Kapferer, professeur à HEC, écrit que la conception classique de la marque repose sur l'équation suivante : « 1 marque = 1 produit = 1 promesse » (Les Marques, capital de l'entreprise, Éditions d'organisation, p. 130). L'engagement est, selon les dictionnaires consultés, un acte par lequel on s'oblige à accomplir quelque chose, il peut être, selon une certaine acception, synonyme de promesse. Ainsi, juridiquement, le fait de solliciter une marque par le dépôt d'une demande et l'apposition de cette dernière – à l'instar d'une signature – est générateur d'obligations, et donc d'engagements : un engagement du titulaire qui l'appose sur son produit, et un engagement de ce titulaire envers sa clientèle – titulaire qui fait face à sa responsabilité. D'un point de vue marketing, le terme d'engagement signifie également de nos jours que la « marque » (et donc, derrière elle, l'entreprise) n'est pas là que pour vendre, ou à tout le moins pour vendre, mais avec une éthique et même pour rendre ce monde meilleur : la marque s'engage à ne pas exploiter le travail des enfants, à faire travailler les petits producteurs, à ne pas vendre de produits contenant des pesticides (le « bio »), à ne pas exploiter les producteurs des pays en voie de développement (le commerce équitable), à ne pas polluer (la production et la distribution responsable)… Force est de constater qu'en termes d'engagement, le juridique et le marketing se rejoignent et que finalement, la marque est un engagement juridique et marketing. Le « candidat à la marque » pourrait donc souscrire à la déclaration suivante :



Moi, déposant d'une demande de marque,

je m'engage :
• à déposer un signe distinctif, par rapport aux produits ou services que ma marque désigne – art. L.711-2 du CPI –, afin de ne pas monopoliser un signe dont mes concurrents auraient besoin et qu'ils ne pourraient plus utiliser ;
• à ne déposer aucun signe contraire aux bonnes moeurs et à l'ordre public, ou de nature à tromper le public – art. L.711-3 du CPI –, sur les qualités ou les caractéristiques de mes produits. Ainsi, selon une jurisprudence ancienne, mon produit ne peut pas s'appeler Beurrax si c'est en fait de la margarine ;
• à déposer un signe disponible, et je m'engage donc à effectuer des recherches d'antériorités préalables, puisque l'INPI ne procède pas à l'examen de cette condition – art. L.711-4 du CPI.
L'examen de disponibilité effectuée par les administrations des pays dont la législation le prévoit est effectué a minima (il ne porte en règle générale que sur les noms de marques). Alors qu'un signe peut également être indisponible en raison de l'existence de nombreux autres droits antérieurs, tels qu'une dénomination sociale, un nom commercial, un nom de domaine… Cet engagement est d'autant plus important que le fait d'effectuer le simple dépôt d'une demande d'enregistrement de marque équivaut ni plus ni moins à un acte d'appropriation. Le dépôt d'une demande d'enregistrement n'est pas anodin, il constitue un acte juridique susceptible d'entraîner pour les tiers un certain nombre d'effets et éventuellement de préjudices. À cet égard, la jurisprudence française a toujours considéré que le simple dépôt est susceptible de constituer un acte de contrefaçon. Ainsi, la cour d'appel de Paris a considéré dans un arrêt rendu le 17 février 2006, opposant la marque L'Express à une marque Sexpress, que, même en l'absence d'usage, le simple dépôt d'une marque reproduisant ou imitant une marque antérieure constitue un acte de contrefaçon (CA Paris, 4e ch., section B, DR Groupe Express-Expansion).

 

Moi, titulaire d'une marque enregistrée,

je m'engage :
• à exploiter ma marque pour tous les produits et services revendiqués au dépôt sous peine de déchéance.

En effet, la marque est un droit d'occupation et non un droit de création. Or, dans l'intérêt général, selon l'article L.714-5 du CPI, une marque non exploitée pendant une durée de cinq années à compter de la publication de son enregistrement devra être rendue à la collectivité pour que d'autres acteurs économiques puissent en bénéficier. Certes, la déchéance n'est pas automatique en France, il faut en effet qu'elle soit demandée en justice par « un tiers intéressé ». Mais il y a néanmoins un engagement à exploiter. Engagement pris dès le dépôt de la demande de marque. D'ailleurs, un tel engagement est concrétisé aux États-Unis par la signature d'une déclaration par laquelle le déposant atteste de son intention d'utiliser la marque.
 

Moi, exploitant,

je m'engage :
• à ce que les produits ou services distribués sous ma marque présentent une qualité constante.

Pour cette raison, il est communément admis que la marque est le signe de ralliement de la clientèle. En achetant le produit portant telle ou telle marque, le consommateur s'attend donc à retrouver la qualité y afférente. Au niveau du marketing, la marque est définie comme étant un contrat. Toujours selon Jean-Noël Kapferer (op. cit.) : « Par l'obstination et la répétition, la marque devient crédible. Avec le temps, le programme de la marque l'engage. Créateur de satisfaction et de fidélité, il oblige la marque à être à la hauteur du quasi-contrat qui la lie au marché. En échange elle bénéficie d'un a priori favorable de la part de ce dernier en ce qui concerne les futurs produits à venir ». Il s'agit alors d'un contrat « économique » et non pas « juridique  ».

Mais, là où véritablement la conception juridique de la marque rejoint sa conception marketing, c'est dans le cas de la marque collective. Et l'on peut véritablement parler d'un engagement au sens juridique du terme (notion d'obligation) et également au sens « marketing » (notion de promesse). Selon l'article L. 715-1 du Code de la propriété intellectuelle, « la marque est dite collective lorsqu'elle peut être exploitée par toute personne respectant un règlement d'usage établi par le titulaire de l'enregistrement ».

L'utilisateur de la marque collective souscrit donc à ce règlement d'usage et à l'engagement double qui en découle ; engagement vis-à-vis du consommateur, qui s'attend à retrouver, dans le produit marqué, les caractéristiques énoncées dans le règlement d'usage, mais également vis-à-vis des autres utilisateurs de la marque collective, car l'apposition de celle-ci sur un produit ne répondant pas aux normes de qualité énoncées par le règlement d'usage portera préjudice à l'ensemble de ses utilisateurs. L'autre catégorie de marque collective prévue par le Code est la « marque collective de certification  » : « la marque collective de certification est appliquée au produit ou au service qui présente notamment, quant à sa nature, ses propriétés ou ses qualités, des caractères précisés dans son règlement » (article L.715-1). Le droit d'apposer une telle marque est contrôlé de manière drastique, le produit marqué devant répondre à des normes très strictes, particulièrement dans le domaine de l'alimentation ; l'apposition d'une telle marque constitue donc un engagement de respect de conditions très précises, puisqu'elle certifie que le produit répond à ces conditions. D'ailleurs, l'organisme certificateur Afnor a créé une certification nommée « engagement de service ». Il s'agit d'un véritable engagement de celui qui l'appose, un engagement « pénalement  » contrôlé, et non plus uniquement moral et « marketing  », comme pour une marque dite simple.

Le TGI de Paris a estimé, concernant la marque NF, qu' « en captant la confiance du public et des consommateurs par l'utilisation délibérée de la marque de certification pour promouvoir ses produits sans respecter la procédure de certification imposée à ses concurrents, la société s'est ainsi affranchie des règles édictées par l'Afnor pour bénéficier sans investissement aucun de la valeur de la marque collective, ce qui risque d'entraîner une perte de confiance du public et des professionnels dans cette marque » (TGI Paris, 29 juin 2012, marque NF). Ainsi, le dépôt et l'usage d'une marque impliquent obligatoirement un engagement de son titulaire, un engagement au sein duquel se mêlent le juridique et le marketing, on peut dès lors se demander si les titulaires de la fameuse marque « NON MAIS ALLO QUOI » en sont bien conscients.
 
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