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Revue des marques : numéro 82 - avril 2013
 

D'un marketing de masse à une communication participative

Sur fond de révolution digitale, les marques doivent composer avec des consommateurs opportunistes. Le salut passe par une communication personnalisée, fondée sur des contenus de marque forts.

par Pierre Gomy Directeur marketing Millward Brown France


Pierre Gomy
Pierre Gomy
Darwin avait raison : les marques fortes s'adapteront pleinement à la révolution digitale. Depuis vingt ans, la globalisation de l'économie a favorisé l'émergence de modèles économiques innovants, et de nouvelles marques puissantes se sont imposées. La révolution digitale a entraîné des changements profonds auxquels les marques historiques et les instituts d'études s'adaptent progressivement, avec, il faut l'admettre, un certain retard par rapport à la réalité du quotidien des consommateurs. En effet, face à ces mutations, les évolutions du monde du marketing ont été proportionnellement assez lentes : la TV est toujours le média dominant, les organisations des marques et des agences sont encore majoritairement gérées en silos, le big data est encore davantage un concept qu'une réalité… Cette lenteur du monde professionnel nous paraît particulièrement importante à souligner en parallèle de l'évolution des individus. La génération Z, née dans les années 1990, après la chute du mur de Berlin, et qui frappe aujourd'hui à la porte des marques pour vivre sa première expérience professionnelle, est digital native. Tous les consommateurs, particulièrement en France, vivent au quotidien avec les outils du digital, et non simplement les générations les plus récentes. Les baby-boomers se sont véritablement transformés en papy-boomers et naviguent sur Internet avec aisance pour être connectés, acheter ou s'informer… Nous avons souhaité revenir sur les tendances lourdes des deux dernières décennies et les prolonger pour mettre en avant les principaux défis des marques dans les prochaines années. Bien sur, ces tendances sont susceptibles d'être affectées par des innovations disruptives : qui, en 2000, pouvait prévoir l'avènement des réseaux sociaux, des smartphones et des tablettes ? Mais gageons que la prolongation des tendances structurelles du passé récent nous éclaire, au moins partiellement, sur les grands enjeux des marques dans les dix prochaines années.
 

Impérative mutation

iphone
Les marques fortes devront savoir muter et s'appuyer sur une différenciation porteuse de sens pour répondre aux nouvelles aspirations des consommateurs et justifier leur valeur. Selon notre base de données BrandZ Top 100, la valeur financière cumulée des cent marques les plus puissantes au monde a augmenté de plus de 50 % au cours des cinq dernières années. Mais rien n'est acquis. De nouveaux acteurs sont apparus, issus du monde technologique (ces marques occupent désormais huit des dix premières places) et des économies émergentes (actuellement au nombre de vingt dans le classement 2012). À l'inverse des marques digital natives, naturellement adaptées à leur milieu, certaines marques iconiques n'ont pas su muter et ont disparu (Kodak ou Atari par exemple).
Les marques puissantes ont un point commun : elles s'attachent à répondre au consommateur, à savoir sa personnalité, ses attentes, ses émotions, ses valeurs ou ses souvenirs les plus intimes. Cela leur permet de pratiquer des prix premium, dans un contexte où les marques milieu de gamme s'affaiblissent, voire disparaissent, principales victimes des marques low cost. Sous l'effet d'une prise de conscience des conséquences écologiques (réchauffement climatique, OGM…) et éthiques (délocalisations, conditions de travail dans les pays émergents, obésité…) du développement économique, le consommateur cherche un modèle alternatif de consommation. Il souhaite maintenant connaître les apports de la marque en terme de valeur non marchande : culturelle, équitable, éthique. Certes, il est hésitant : il s'intéresse au développement durable, mais s'en détourne encore fréquemment pour préserver son pouvoir d'achat. Toutefois, il y a fort à parier que ces dimensions prendront davantage d'importance dans les années à venir et qu'elles seront un élément de justification déterminant s'adapde la valeur ajoutée des marques. Cette tendance favorisera également l'émergence de marques locales fortes, très légitimes pour porter ces valeurs.
Nouvel enjeu pour les marques : savoir engager un consommateur versatile opportuniste et conscient de l'être par une communication personnalisée, intégrée et participative.
Après la frénésie de consommation ostentatoire des années 1980, le consommateur est devenu méfiant, voire défiant vis-à-vis des marques, sous l'effet d'une crise durable et d'une prise de conscience des effets néfastes du développement économique global. Le culte de la marque éternelle a ainsi été remis en cause par les modèles low cost dans tous les secteurs (distribution alimentaire, transport aérien, téléphonie mobile…) et par des mouvements de contestation du modèle capitaliste prenant le marketing et les marques pour cible (No logo, Greenpeace…). Face à ces remises en question, le consommateur ne s'est pas détourné des marques, mais il est désormais versatile et opportuniste, alternant au gré de ses intérêts entre le nécessaire et le superflu, les produits hard discount et les produits de luxe, les produits locaux éthiques et les biens importés de l'autre bout du monde à forte empreinte carbone. Dans un contexte de stagnation du pouvoir d'achat, le consommateur réalise, qui plus est, des arbitrages entre catégories : les budgets consacrés aux marques de technologie et aux loisirs détournent par exemple les jeunes générations de l'automobile dans leur recherche de liberté.
 

Vers une communication personnalisée et intégrée mobile centric

Les marques devront donc savoir séduire un consommateur qui n'est jamais là où on l'attend. Pour ce faire, elles devront passer d'un marketing de masse, encore largement dominant, à une communication personnalisée qui repose sur la connaissance des individus, permettant de s'adapter à leurs besoins, leurs contraintes et leur état d'esprit du moment. Cette démarche est désormais rendue possible par l'exploitation de données passives (navigation sur Internet, géolocalisation, cartes de fidélité, cartes bancaires, réseaux sociaux…) qui permettront d'adapter la communication des marques au-delà d'objectifs purement transactionnels encore principalement poursuivis sur cette base en 2013, source de la méfiance des consommateurs. Ces données pourront en effet être mises à profit pour créer des expériences uniques avec la marque, en s'appuyant sur une palette de points de contact permettant désormais d'interagir avec le consommateur tout au long du parcours d'achat. L'orchestration des points de contact au sein de mécaniques relayant la stratégie de la marque sera la clé de voute des communications du futur. Le mobile, encore très peu activé par les marques (moins de 1 % des dépenses des annonceurs), sera selon toute vraisemblance au coeur des dispositifs, tout simplement car il est omniprésent dans nos vies, permet une interaction en temps réel avec les consommateurs et est un lien commun avec l'ensemble des autres contacts (TV, presse, QR codes, passbooks, applications…). La créativité sera toujours le gage de la qualité de l'expérience et donc de l'acceptation d'une telle démarche par les consommateurs, et devra s'illustrer dans un continuum et en complémentarité sur chacun des points de contact. Les marques et les agences vont devoir maîtriser les nouveaux codes de la création, qui doit savoir s'adapter aux spécificités de chaque contact.

Vers une communication participative

En s'appuyant sur les réseaux sociaux, les marques fortes de la prochaine décennie devront fédérer, animer et engager des communautés autour de contenus spécifiques porteurs de la différenciation de la marque. Le community manager, qui favorisera les interactions, sera une courroie essentielle du lien de la marque aux consommateurs. Les contenus devront favoriser le partage et le bouche à oreille, contact toujours parmi les plus puissants dans nos études. En ce sens, les marques devront dépasser leur statut d'offreurs de produits et de services et deviendront des médias à part entière, ce qui nécessitera pour elles d'en maîtriser les clés du succès (mise en place de lignes éditoriales…). La marque devra par ailleurs être à même de susciter des conversations avec et entre les consommateurs (qui pour le moment restent assez pauvres sur la majorité des réseaux sociaux de marque). Nos analyses récentes montrent que le consommateur accepte de converser avec les marques sur les réseaux sociaux s'il se sait écouté et retrouve ses remarques, idées ou votes dans des décisions concrètes de la marque : le consommateur doit être considéré comme un actionnaire à part entière de la marque.

Big data pour un big bang du market research

Nouveau défi pour les marques : intégrer un flux de données massif et disparate pour générer des insights utiles à des prises de décision efficaces et rapides. Depuis dix ans, les instituts d'études ont principalement intégré le digital par le biais des modes de recueil, qui ont permis de baisser le coût de la donnée. Par ailleurs, Internet produit un océan de données (web analytics, e-réputation…) très souvent gratuites, dans lequel il est aisé de s'égarer, voire de se noyer ; même Google, Facebook, Amazon ou Apple restent pour le moment très prudents dans leur utilisation ; la big data est peut-être bien le big challenge des marques dans la prochaine décennie. Mais toutes les informations n'ont pas la même valeur : il y a de grosses différences de méthodologie qui donnent souvent différentes versions de la vérité. Les instituts devront donc développer une capacité à les trier, les hiérarchiser et les intégrer dans des modèles et des plateformes qui produisent un flot maîtrisé, source de valeur pour les marques. Un tel système permettra d'exposer les responsables de marques simultanément à différents types d'information, leur permettant d'envisager un problème sous différents aspects. Les instituts devront être capables d'organiser l'information dans des librairies interactives structurant les données en fonction des questions business. La visualisation des données sera également un enjeu majeur pour faire face à cette abondance, aidant l'intégration, la confrontation et le story stelling. Au final, l'interaction constituera une nouvelle forme de persuasion et de consensus pour les prises de décisions. Un tel système permettra de profiter des données que l'on a et de chercher celles que l'on n'a pas, afin de mieux cibler les besoins en études classiques. Les données d'études classiques devront, en outre, permettre aux marques de piloter leurs actions en temps réel : par exemple connaître les réactions du consommateur quand on lance une campagne pour pouvoir adapter les créations et le plan média. Enfin, les études classiques porteront moins sur des questions posées et davantage sur l'observation (neurosciences, ethnographie…). Si les grands défis de la prochaine décennie sont assez clairement identifiés, les enjeux organisationnels chez les annonceurs, les agences et les instituts freinent encore cette marche en avant : les silos devront être brisés. L'enjeu des ressources humaines sera également une clé d'adaptation déterminante, avec la nécessité de constituer des équipes pluridisciplinaires (statisticiens, informaticiens, ethnologues, journalistes…) et d'intégrer de nouveaux métiers. La capacité des organisations à s'adapter à l'accélération digitale sera, pour elles, un gage de survie : Darwin avait, somme toute, raison.

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