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Revue des marques : numéro 82 - avril 2013
 

L'ère de la coproduction

De la conception de l'étiquette d'un produit au conseil appliqué au design, le rôle de l'agence de design s'est, depuis vingt ans, singulièrement enrichi, non seulement en France mais de plus en plus au niveau international.

entretien avec Patrick Veyssière


Comment a évolué la relation annonceurs-agences de design depuis les deux dernières décennies ?

Patrick Veyssière
Patrick Veyssière
Président-directeur général, cofondateur de Dragon Rouge,
en charge de la création.
Patrick Veyssière : J'observe deux changements majeurs. Le premier porte sur le processus de création. Quand j'ai débuté dans le design, chez Raymond Loewy, le marketing n'existait pas ou peu. En quarante ans, il a pris la place qu'on lui connaît aujourd'hui, chez les annonceurs, mais aussi dans les agences de design dans lesquelles il y a quasiment un homme de marketing pour deux créatifs. Aujourd'hui, les annonceurs attendent, en plus du design, des recommandations stratégiques pour leurs marques ou leurs produits : le rôle de l'agence s'est élargi et enrichi, il ne s'agit plus seulement de refaire l'étiquette d'un produit mais de réfléchir à son positionnement et son futur. Notre métier s'oriente donc de plus en plus vers le conseil appliqué au design. Le rôle du designer est de trouver des réponses justes à des questions qui sont souvent complexes, mais fondamentales pour la vie des marques. Pour cela, le designer doit résister à l'envie de tout changer pour satisfaire à la demande du client, il doit garder la tête froide, respecter le passé de la marque pour laquelle il travaille, conserver ce qui est la singularité de cette marque et s'il y a lieu, la faire évoluer progressivement et sans rupture. La proposition graphique doit être séduisante sans mentir, le packaging doit être attirant mais sans excès, ni trop beau, ni trop prometteur. Si le produit n'a pas la qualité promise sur le packaging, le consommateur, déçu, cessera de l'acheter. Le rôle du designer n'est pas de faire vendre une fois mais d'inciter au réachat. Une des grandes difficultés de notre métier est de conserver l'équilibre entre la création et la stratégie. Si on ne laisse pas au designer un espace de liberté ainsi que le temps nécessaire pour qu'il s'exprime (quitte à ce qu'il se trompe parfois : pour donner une bonne réponse il n'est pas rare de devoir en créer au moins cinq moins justes !), il ne pourra plus exercer efficacement son métier.
Aujourd'hui, les clients sont de plus en plus exigeants, et imposent pourtant une réduction quasi obsessionnelle des coûts. Réduire le temps de travail sur un projet conduit les créatifs à chercher la solution la plus simple, à éviter les erreurs qui sont pourtant souvent nécessaires à tout processus de création ! La réduction drastique des budgets joue contre la créativité. Le cadre marketing, souvent trop étroit, enlève parfois aux créatifs l'espace de liberté nécessaire pour répondre au mieux aux attentes des annonceurs.
 

Comment évolue l'implication des marketeurs ?

Bastogne
Patrick Veyssière : Si les formations marketing sont plus performantes aujourd'hui, les équipes marketing ont parfois du mal à comprendre le processus créatif. Des postes de responsabilité sont souvent donnés à des jeunes frais émoulus d'écoles de design, qui n'ont pas toujours l'expérience requise pour gérer les grandes marques qui leur sont confiées. Ils sont à la fois inquiets devant l'ampleur de la mission et curieusement péremptoires quant à leurs demandes à l'agence. Ils ont du mal à prendre en considération le travail de l'agence, son expertise. Néanmoins, nous avons la chance, chez Dragon Rouge, de collaborer avec des directeurs marketing seniors qui nous font confiance et avec qui nous avons réalisé, main dans la main, de beaux projets comme le re-design de LU, par exemple.
 

A quoi est-ce dû ? Ce moindre respect s'observe-t-il dans toutes les entreprises ?

Patrick Veyssière : L'outil ordinateur est sans doute en partie responsable de ce moindre respect. Nombre de nos clients pensent qu'il suffit d'appuyer sur quelques touches de l'ordinateur pour obtenir de nouvelles maquettes. J'en ai même connu qui s'essayaient à faire leur propre proposition de logo durant le week-end ! Pourtant l'ordinateur n'est jamais qu'un outil, une boîte de feutres améliorée, et ça doit le rester. Seul, un ordinateur ne saura jamais donner la meilleure réponse. Le vrai processus pour rechercher des idées ne peut pas changer… Le cerveau doit faire l'essentiel en prenant en compte toutes les données du problème, et restituer des propositions de concepts ou d'images très rapidement transcrits par la main sous forme d'idées/images. Depuis toujours, le bras, la main et le crayon sont le prolongement naturel d'un cerveau libéré de toute contrainte, alors que l'utilisation de l'ordinateur – et ses procédures complexes – mobilise une grande partie du cerveau. Travailler, réfléchir avec un crayon à la main, c'est libérer le cerveau de toute contrainte autre que la recherche d'idée. Heureusement pour les créatifs, l'ordinateur ne remplacera jamais leurs intuitions, et leur capacité à trouver des réponses ailleurs que là où on les avait imaginées.

Comment recruter les talents de demain ?

Vache qui rit

Vache qui rit
Patrick Veyssière : La France dispose de très bonnes écoles de création, reconnues dans le monde entier ; nous avons donc les talents, mais nous avons parfois des difficultés à les recruter, car ils sont souvent mal orientés.
Trop souvent, pour les diplômés d'écoles d'art appliqué, le fantasme absolu est de dessiner des flacons de parfum ou travailler sur des produits de luxe. Malheureusement (ou heureusement !…) notre métier ne se résume pas à cela. Les marques sur lesquelles nous travaillons en agence sont de plus en plus à vocation internationale, ce qui rend notre travail encore plus passionnant. Pour recruter les meilleurs créatifs, nous devons leur donner envie de rejoindre l'agence par la qualité de nos créations et l'ambition internationale du groupe Dragon Rouge. Pour accompagner nos clients, nous avons donc été amenés à créer un réseau de filiales, qui nous permet de couvrir les grandes zones du commerce mondial : Londres, Varsovie, Hambourg, Zurich, New York, Hong Kong, Shanghai et très prochainement Sao Paulo. Car si les annonceurs ont pu croire dans les années 1980 qu'ils auraient la possibilité de réduire leurs coûts en imposant une seule marque et un packaging uniforme dans tous les pays où ils étaient présents, ils ont vite compris qu'il y a souvent des spécificités et des particularités « régionales » qui ne peuvent pas être oubliées ou transgressées.
 

Comment ont évolué les méthodes de travail avec les autres acteurs de la chaîne ? Sommes-nous enfin à l'heure du « travailler ensemble » ?

Patrick Veyssière : Oui, je crois que le temps est révolu où l'agence de publicité et l'agence de design travaillaient dans leur coin, et parfois en opposition ! On est entré dans l'ère de la coproduction : client, agence de design et agence de pub autour de la même table, chacun apportant sa contribution à la recherche de la « grande idée », tout particulièrement lorsque l'on travaille sur un projet d'innovation. Reste que les équipes marketing, même si elles veulent innover, souffrent souvent de devoir être avant tout des gestionnaires, plutôt que des équipes « entrepreneuses ». Elles ont de moins en moins la liberté de faire des paris et de prendre des risques, pourtant le seul moyen d'envisager de vrais succès pérennes. Ce ne sont pas les consensus et l'hyperprudence qui font la réussite d'une marque.

L'agence de design n'est-elle pas la gardienne du patrimoine de la marque face au turnover chez l'annonceur ? Quel rôle joue le design dans la pérennité de la marque ?

Patrick Veyssière : C'est une évidence ! L'agence de design est très souvent ce que les anglo-saxons ont appelé le « brand guardian » et elle joue le rôle de garde-fou en empêchant des dérives préjudiciables à l'identité de la marque. Changer pour changer, cela n'a aucun sens. « Faire plus moderne, plus dynamique », peut être préjudiciable à la marque ! Le premier rôle du designer est d'entrer en culture de ce qui a été fait depuis la création de la marque ; il doit apprendre à vivre avec elle avant toute velléité de changement. Le meilleur moyen d'éviter les risques de rupture est l'évolution permanente, discrète. Les grandes marques sont des êtres vivants, à la fois très solides et terriblement fragiles, qui méritent toute notre attention, tous nos soins. Il faut du pragmatisme et du bon sens pour les faire fructifier, prendre du temps, observer, faire les bons choix pour les aider à aller toujours plus loin. C'est la vocation du designer.

N'est-ce pas frustrant pour un designer de ne pas signer ses créations comme un peintre ou un architecte signe son oeuvre ? (cf. le nouveau Schweppes Cola dont l'étiquette est signée Fred & Farid !!!)

Patrick Veyssière : Il me semblerait légitime que les agences de design qui créent de nouvelles identités signent leurs oeuvres comme les agences de pub signent leurs campagnes publicitaires, mais notre métier n'a pas su l'imposer !

L'agence de design du XXIe siècle ?

Patrick Veyssière : Celle qui développera de grandes marques sur le plan international et trouvera un nouvel horizon, un nouveau souffle, de nouveaux défis. Celle qui saura, comme les grandes marques, se remettre en question en permanence et être plus que jamais à l'écoute des consommateurs et de ses clients.

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