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Revue des marques : numéro 79 - juillet 2012
 

La vente aux enchères Vogica un coup d'essai à confirmer

La vente aux enchères s'inscrit dans une tendance de développement de la valorisation des droits de propriété intellectuelle en France à une époque où les actifs immatériels se matérialisent de plus en plus.

par Marina Cousté* et Gaëlle Bousson**


Marina Cousté
Marina Cousté

La propriété intellectuelle est clairement devenue un élément essentiel de la valorisation d'une entreprise.
De plus en plus consciente de la valeur de leurs actifs de propriété intellectuelle, les entreprises franchissent le pas de la financiarisation : nantissement, titrisation de créances futures (1), licence, cession ou encore vente aux enchères. Ce dernier moyen retiendra toute notre attention, la vente aux enchères récente des marques et noms de domaine de la société Vogica ayant marqué l'actualité de ces derniers mois. La simplicité du procédé annonce certainement son succès futur. En effet, il consiste, à l'image d'une vente aux enchères classique, après mise à disposition des informations relatives à des droits de propriété intellectuelle, à les mettre en vente au public, avec une mise à prix déterminée par le commissaire priseur. Certains pourraient s'étonner de ce qu'un droit de propriété intellectuelle puisse être vendu à la criée mais finalement, c'est avant tout un bien sur lequel on attend un retour sur investissement, et s'il faut en passer par là, pourquoi pas.

Précisons d'abord que ce phénomène nous vient des Etats-Unis et a concerné, en premier lieu, les brevets. En effet, depuis une dizaine d'années, les ventes aux enchères de brevets s'y sont multipliées par l'intermédiaire de spécialistes de ventes aux enchères, tels qu'ICAP Ocean Tomo ou encore Racebrook, pour les plus connus. ICAP Ocean Tomo, à l'époque Ocean Tomo (2), s'était illustré en 2006 avec la vente aux enchères de 78 lots de brevets pour un montant de 8,5 millions de dollars. Plus récemment en 2011, ce sont plus de 6.000 brevets de la société canadienne Nortel Networks qui ont été vendus pour un montant de 4,5 milliards de dollars. Mais la vente aux enchères ne se limite pas aux brevets et s'inscrit dans une tendance plus générale de développement de la valorisation des droits de propriété intellectuelle en France. En effet, en 2006, Ocean Tomo a procédé, à New-York, à une vente aux enchères portant sur des lots composés de brevets, marques, copyrights, droits musicaux et noms de domaine, les vendeurs étant notamment, IBM, Motorola, Siemens AG, Kimberly Clark… Plus récemment, Racebrook a procédé à la vente aux enchères de 150 marques américaines renommées de distribution et de produits grand public.
 

La vente aux enchères ne se limite pas aux brevets et s'inscrit dans une tendance plus générale de développement de la valorisation des droits de propriété intellectuelle en France.

En France, la société Vogica, placée en liquidation judiciaire, a procédé à la vente aux enchères de cinq lots, chacun composé de plusieurs marques et noms de domaines lui ayant appartenu. Le premier lot, composé de quatre marques Vogica et de trois noms de domaine, a été mis à prix à 60 000 euros, et finalement adjugé pour 550 000 euros, de quoi rentabiliser la valeur de ces droits.

La tendance française à recourir à la vente aux enchères peine encore quelque peu à se confirmer mais elle s'inscrit bien dans cette mouvance. En témoigne le rapprochement récent entre la Caisse des dépôts et l'Etat pour créer une société de valorisation des brevets, France Brevets (3), à la suite de l'échec des négociations avec Ocean Tomo, qui visaient à mettre en place une société de vente aux enchères. France Brevets entend s'imposer en tant qu'intermédiaire significatif entre les différents acteurs de la propriété intellectuelle et c'est parce que sa vocation n'est ni le marchandage ni la spéculation, que sa démarche ne saurait s'apparenter à celle des patent trolls (4), beaucoup plus agressifs.

Components of S&P 500 Market Value

L'intérêt pour une entreprise de passer par une vente aux enchères réside dans la volonté de valorisation de son portefeuille de propriété industrielle, à une époque où les actifs immatériels se matérialisent de plus en plus. Cette pratique permet d'abord de mettre en relation les inventeurs et les industriels. En effet, un inventeur n'a pas forcément les moyens d'accéder à un réseau adéquat pour développer son invention. Il n'a pas toujours non plus la notion de la valeur financière de sa propre création. La vente aux enchères permet justement d'attribuer une valeur réelle, liée directement à l'offre et à la demande, que l'inventeur ne peut contester. L'exemple de Vogica nous enseigne que des titres peuvent se vendre à une valeur différente de celle estimée par les professionnels du milieu. La théorie d'Adam Smith s'applique ainsi naturellement et dans la transparence la plus totale, ce qui apporte un certain dynamisme dans un marché où les transactions se faisaient jusque là dans la plus parfaite discrétion.

Parmi les heureux bénéficiaires de ces ventes réalisées, pour l'instant, pour la plupart aux Etats-Unis, on trouve ainsi, outre les inventeurs, les petites et moyennes entreprises, des grands groupes, des agences fédérales et gouvernementales, des institutionnels et des fonds d'investissements, tous réunis sur un marché unique réservé aux titres de propriété industrielle. Bien que, pour certaines sociétés les actifs immatériels représentent jusqu'à 80 % de leur valeur (5), leur conversion en valeur immédiatement monnayable n'est pas aussi aisée et rapide que pour les actifs matériels (6). La mise en place d'un tel marché ne peut que faciliter cette conversion et optimiser la valeur de leurs actifs, notamment à travers la vente aux enchères.

Ainsi, l'acquisition de titres de propriété industrielle "clés en mains" est un atout pour une société qui souhaite bénéficier d'un portefeuille de droits ayant déjà fait ses preuves : une société peut ainsi espérer un retour sur investissement rapide. Le groupe Parisot manquait d'une marque forte lui permettant une visibilité du public. En acquérant les marques Vogica, 100 % Deco, Cuisiland, il s'est immédiatement approprié leur notoriété (au niveau national et international), leur ancienneté (depuis 1976) et une solide image (les marques de la société liquidée n'ayant pas pâti de la disparition de l'enseigne). Cela étant, réussir une telle vente aux enchères ne s'improvise pas : la vérification de la titularité et de la validité des titres proposés à la vente s'impose et doit être le fruit d'un travail sérieux pour éviter de mauvaises surprises. A cela s'ajoute qu'une telle acquisition, pour atteindre son objectif, devra aussi s'inscrire dans le cadre d'une stratégie globale visant à valoriser, dans son ensemble, un portefeuille de marques, dessins et modèles, brevets, etc… L'avenir appartient donc aux fins stratèges.

Notes

* Associée, cabinet Reed Smith
** Cabinet Reed Smith
(1) On citera les émissions de type "Bowie Bonds", nom donné en référence à la titrisation de droit de royalties à venir qu'avait menée David Bowie.
(2) L'activité de ventes aux enchères de Ocean Tomo a été cédée à IPAC.
(3) Celle-ci peut ainsi constituer un intermédiaire, à qui le titulaire du brevet confie la valorisation de son titre, à travers les redevances des licences qu'il percevra. France Brevets, a d'ailleurs conclu un partenariat avec l'Institut Telecom, en juin dernier, et avec l'Inria, au mois de décembre. La valorisation profite non seulement au titulaire du droit mais devrait permettre également de développer l'activité industrielle, France Brevets aidant aussi à l'obtention des licences de grappe de brevets appartenant à plusieurs titulaires.
(4) Sociétés spécialisées dans l'acquisition de brevets, ayant pour seul but d'en tirer un bénéfice maximal, en monnayant un maximum de licences et en menaçant de procès les potentiels contrefacteurs.
(5) Should you auction your IP rights ?, IP Review, Autumn 2006.
(6) Tels que les biens immobiliers, les équipements et les infrastructures.
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