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Revue des marques : numéro 78 - avril 2012
 

Pas de pétrole ? Bienvenue à la transformation innovation !

Nouvel impératif catégorique de la croissance : l'innovation sera collective ou ne sera pas. Et l'entreprise ne sera plus le seul lieu de création.

par Brice Auckenthaler


Brice Auckenthaler
Brice Auckenthaler
Directeur associé de Tilt ideas,
conseil en innovation, prospective et marque.
La cause est entendue : une entreprise ou une marque qui n'innovent pas, meurent. Ainsi UAP, ainsi Kodak, qui ont tardé à définir une vision pour leur innovation.
A contrario, comme il n'y a pas de fatalité dans le business, une marque mise à mal - Apple, Adidas, Nissan…-, peut retrouver le chemin de la croissance durable grâce à une mission forte incarnée dans des initiatives cohérentes. L'enjeu est d'admettre que l'innovation - plus que simplement des nouveaux produits ou des nouveaux services - c'est de la transformation, de la conduite du changement sans le dire. Pour que cette transformation réussisse, il est désormais nécessaire d'associer très largement les forces créatives internes et externes. Et ce, bien au delà des spécialistes R&D ou marketing, traditionnels pilotes de l'innovation ou des marques. En développant la Q.I (Qualité d'Initiatives), la marque reprend l'initiative sur son destin et ses concurrents. Et démontre à ses clients et actionnaires qu'elle anticipe.

Après le temps de l'Eurêka individuel, voici venu celui du collectif où la meilleure source d'innovation provient du collaborateur, du client, ou du partenaire. Son antienne paradoxale pourrait être : "Achetez mes produits… ce sont les meilleurs et ce sont ceux qu'il vous faut… car c'est vous qui les avez inventés !" Ou bien : "Votez pour moi, c'est vous qui serez au pouvoir créatif… !" Dans tous les cas de figure, cette invitation à participer ne sera pas un aveu d'impuissance - traduisant le malaise des élites dirigeantes - mais au contraire celui d'une nouvelle forme d'humilité salvatrice. Une nouvelle nation est en train de naître : celle des créatifs de tous bords, convaincus qu'avec le Web 2.0 - icône de la culture des réseaux propagateurs - vont poindre de nouvelles initiatives à 360° (services, produits, engagements, magasins, rituels relationnels…) émanant non pas seulement de la "cuisine" de l'entreprise mais également et surtout de l'extérieur de la boîte. Pour que cette belle énergie créatrice fonctionne, il est nécessaire que les vrais problèmes à résoudre ainsi que les règles de marché soient correctement identifiés et partagés au préalable. Car ils structureront et lanceront en quelque sorte l'ensemble du processus d'innovation collective.
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Dernier ouvrage paru
L'Occident (l'Europe notamment) pourrait d'ici dix à vingt ans perdre son leadership scientifique et technologique au bénéfice de l'Asie. Certains acteurs (1) et les pouvoirs publics français ont pris de nombreuses initiatives pour relancer l'innovation, mais les résultats ne sont pas encore là. Il faut aller plus vite et plus loin pour mobiliser toutes les ressources et redynamiser l'innovation. Peut être faut-il également rappeler qu'il est plus facile de gagner des parts de marché en période de crise (vos concurrents désinvestissent ? accélérez !) où, de surcroît, les cerveaux sont plus à même d'accepter la remise en question propice à l'innovation (quand tout va bien, pourquoi changer ?).

Partout on assiste à un réveil des envies de création. Soumises à pression concurrentielle, les entreprises veulent s'étonner de nouveau, sont gourmandes en nouveaux regards. Dans tous les domaines, la différenciation devient un atout maître. Designers, agences de publicité, entreprises conseil en management, grands groupes n'ont qu'une idée en tête, sous couvert de changement : inciter à la créativité. Et toutes les recettes sont bonnes : boîte à idées, brainstorming, ateliers de créativité, management par projet, comités d'innovation (2), intranet innovation pour trouver le mode d'emploi au seul processus qui ne repose justement sur aucune règle.
L'innovation - nouveau support de l'économie de service - est fondamentalement le facteur qui apporte un différentiel de compétitivité mais comme il n'existe pas aujourd'hui de modèle innovation qui corresponde à ce nouveau paradigme, l'incertitude, le complexe dominent. Face à ce désarroi, la tentation serait grande de laisser la main aux clients face à cette mode de la co-création, alors qu'il s'agit en réalité de leur donner la main pour se laisser inspirer, challenger par eux, en collaboration, sans jamais perdre sa propre posture d'expert.

7 conditions

Pour reprendre la main, sept conditions permettraient de réduire cette complexité :

1 Intimement connecté à l'ADN : un processus d'innovation collectif doit coller à la culture de l'entreprise, évidence qu'il faut rappeler en permanence. Avant d'initier le processus d'innovation, cette culture spécifique pose comme préalable de définir la vision prospective de l'entreprise (ie. son pari sur l'avenir) et son combat (ie. son positionnement au sens proactif du terme, résumable en un mot clé : son clou). Ces deux éléments permettront à la fois d'être un cadre pour la démarche innovation, et de doser le degré d'ouverture du processus collectif (tout ou partie des collaborateurs, tous les clients ou seulement les lead users, amateurs de nouveaux produits…), son type d'animation (faut-il un animateur responsable de l'innovation ou plutôt un community manager ?). Le degré d'ambition et de visibilité recherchés seront également des critères à prendre en compte.

2 Comme dans un slalom, c'est la porte d'entrée du processus qui fait souvent le succès à l'arrivée. Si les problèmes à résoudre sont mal posés au départ, le risque est que la solution ne traite qu'un des symptômes de la maladie et pas la maladie elle-même. Or l'innovation pose comme règles de combattre des habitudes, des idées reçues, des soi-disantes règles. Il faut débuter le processus par le DrDr© "Dérégler Des règles". Il vise à identifier avec l'aide des collaborateurs et des clients l'ensemble des règles du marché, puis à les questionner : est-il temps de remettre en question certaines d'entre elles qui sont jugées obsolètes ? A l'inverse, quelles sont celles qu'il faut absolument respecter au risque d'être hors sujet ? Si le sac d'aspirateur pose problème car les poussières aspirées en bouchent les pores, bloquant alors l'efficacité de l'aspiration, moi, Dyson, je le supprime et devient n°1 en Europe en osant challenger une règle en place. Par ailleurs, quel que soit le type d'innovation concerné (incrémentale, de rupture, technologique, sociale…), le premier obstacle d'un processus d'innovation est lié à la vitesse à laquelle le collectif de contributeurs va générer des idées vraiment innovantes qui soient connectées à un vrai problème à résoudre rapidement. Cela permet au passage de lever l'idée reçue qui veut que l'innovation s'inscrit plutôt sur du moyen/long terme. On le voit, l'innovation collective telle que décrite ici, c'est de la véritable conduite de changement. Ou plutôt de transformation silencieuse comme le dit joliment le sinologue François Jullien.

3 Il n'y a plus de frontières à l'innovation, elle doit s'entendre à 360°. Les enjeux du 3e millénaire sont de plus en plus de nature relationnelle. En interne, que faire pour motiver les collaborateurs à s'investir durablement dans l'entreprise, malgré restructurations et plans de sauvegarde de l'emploi (PSE) successifs ? En externe, comment accentuer à la fois la qualité et l'intensité du lien pour recruter et fidéliser ? Il paraît alors logique de questionner l'ensemble du parcours relationnel client, d'en identifier tous les maillons, d'en vérifier la force et la faiblesse, déterminant ainsi une première sélection de domaines à privilégier lors de l'investigation innovation. Ceci signifie qu'il faut assumer l'idée qu'il n'y a pas de limites aux sujets qui pourraient être traités par le levier de l'imagination collective. Le spectre des opportunités d'innovation s'en trouve élargi.

4 Collectivement, sinon rien ? Pour innover efficacement désormais, il faut embarquer large, car la transformation innovante doit être vue comme de la gymnastique collective par opposition à la danseuse du Comex. Pour innover, il faut ouvrir la "boîte" : selon Procter & Gamble, 50 % des innovations devraient provenir de l'extérieur de l'entreprise (contre 15 % seulement aujourd'hui). Apple serait probablement morte à nouveau si l'Appstore n'avait pas été initié, ouvrant l'eco-système de la pomme à la créativité extérieure de développeurs.

5 Finement managée : puiser à la source inspirante de la foule en la faisant brainstormer. Ainsi est né le crowdstorming© (3), néologisme qui consiste à permettre à une communauté constituée de certains des plus créatifs ou des plus early-adopters parmi vos collaborateurs, clients ou partenaires de concevoir eux-mêmes les produits et services qu'ils achèteront par la suite. Au passage, ils toucheront, en plus, une prime pour leur contribution. En agissant ainsi, non seulement vous challengez vos équipes internes pour qu'elles fassent encore mieux, mais vous identifierez peut être votre prochaine innovation de rupture. Une des premières initiatives de crowdstorming fut Innocentive (www.innocentive.com), un site initié par le laboratoire pharmaceutique Elli Lilly qui permet à des chercheurs de tous bords d'identifier des solutions à des problèmes soumis on-line… par d'autres entreprises partenaires du site. Pour éviter l'effet du soufflé qui retombe, il est opportun d'effectuer régulièrement des référendums innovation auxquels seront conviés collaborateurs et clients, pour un effet miroir salutaire. Lequel relancera la démarche via de nouveaux stimuli identifiés.

6 Pour infuser l'innovation collective, rien de tel que le web… mais le web ne suffit pas : Solvay, entreprise intervenant dans le domaine de la chimie, a été précurseur avec son programme intitulé Innoplace, sorte de plateforme d'innovation à laquelle tout collaborateur pouvait participer ou réagir. Ce programme a été récompensé par le prix Intranet organisé par Cegos, Les Echos et le magazine Entreprises & Carrières. Cet exemple démontre combien le net devient incontournable comme ossature d'un programme fédérateur d'innovation collective. Goldman Sachs de son côté a lancé un programme de réseau social, SelectMinds, pour repérer et suivre les plus créatifs de ses collaborateurs. Mais, en parallèle, il faut impérativement qu'il y ait aussi des réunions physiques, dans le monde réel ; de vrais trend tours dans de (vrais) magasins en dur, des débats dans de (vrais) ateliers. La visioconférence facilite les échanges certes, mais elle dématérialise aussi trop. Intranet, lieu de collecte et de partage d'idées, restera encore longtemps paralysant pour beaucoup de collaborateurs. Il faut des réunions, des rencontres, où l'on transpire ensemble, où l'on sort des placards des études trop rapidement lues ou des idées enterrées…

7 Un processus d'innovation collectif déplace la création de valeur vers le client : comme dans le cas du fonctionnement d'Ikea, l'utilisateur final est impliqué très en amont, c'est lui qui fait une partie du travail de créativité traditionnellement dédié aux spécialistes internes de l'entreprise. Etant co-auteur, il s'en trouvera gratifié et propagera l'idée neuve autour de lui, en tant qu'ambassadeur. Comme dans le cas de l'initiative Unleash your inner artist d'American Express, qui incite à participer grâce à la création d'une toile sur une application Facebook à la prochaine publicité de la marque.

L'Eureka collectif par l'exemple

Faîtes la foire aux bonnes idées : comment optimiser l'agilité et la performance d'un groupe de 90.000 salariés, fortement décentralisé et soucieux de matérialiser sa différence ? Réponse de Danone : développer la networking attitude. Autrement dit inciter l'ensemble des collaborateurs à échanger des bonnes pratiques pour accélérer la capacité d'innovation du Groupe.

Enfermez-les dans une innovation room : un groupe de onze employés de Samsung a spontanément demandé à être quasiment enfermé dans une innovation room pendant six semaines consécutives. Ces planners produits, designers, programmeurs, et ingénieurs rejoignaient le Value Innovation Program Center de Samsung. Nom de code du projet : Bordeaux (?!). Ils étaient mêlés à des designers et des artistes extérieurs qui stimulaient les réflexions et contribuaient activement à l'identification de solutions. En associant des équipes multifonctionnelles dès le départ de ce processus, Samsung a plus d'opportunités de créer la différence à l'arrivée. Petit détail qui fait toute la différence : tous les managers des différents départements de Samsung ont signé un engagement qui stipule que les participants ne retourneront pas à leurs fonctions habituelles avant d'avoir terminé leur mission innovation !

• Cultivez l'insatisfaction divine : en anglais the culture of divine discontent, expression de Jeff Bezos, président d'Amazon. Cela stimule de façon constructive. Osez ainsi demander à vos clients de râler, à une seule condition : qu'ils apportent eux-mêmes une solution constructive à leur plainte ! C'est ainsi qu'est né le Championnat de France des Râleurs chez l'assureur Maaf.

Pour impliquer l'interne, valoriser l'innovation collective en communication : c'est ainsi qu'a procédé la SNCF depuis 2005. Le processus d'innovation collective a été un formidable prétexte pour annoncer aux contributeurs internes que leur implication fera l'objet non pas d'une communication parmi d'autres émises par cette grande institution, mais du thème principal ! "Donner au train des idées d'avance" a en effet été la résultante de tout le travail mené à tous les niveaux hiérarchiques pour démontrer aux clients de la SNCF que l'entreprise avait l'ambition de gagner leur préférence.

Même la Chine s'y met ! Ainsi, HP souhaitait devenir la marque d'ordinateurs préférée des jeunes en Chine. Via une campagne de quatre ans en trois phases, offrant à tous ces enfants gâtés d'user de leur influence par le biais de la création et de la participation. De quoi les jeunes chinois manquent-ils vraiment ? d'un espace interactif qu'ils puissent s'approprier afin d'exprimer leur créativité. Le site My computer. My stage, hpmystage.com sera cet espace. Promesse : exprime ton talent artistique, expose toi. Mieux, choisis la discipline artistique qui t'intéresse le plus. Le trio gagnant de la consultation ? Design, Musique et Cinéma. HP est la première marque de sa catégorie à avoir préempté l'approche user generated et le branded content, et à avoir permis aux jeunes de créer, brainstormer et networker dans tous ces registres.

Avec le crowdstorming©, le Think outside of the Box devient réalité pour le meilleur des mondes ! Avec l'imagination collective, l'innovation dépasse ses rôles purement stratégique ou économique pour devenir politique. Pour faire enfin taire dans notre vieux pays l'adage qui dit que : … "Il n'est pas bon que l'imagination vienne à un peuple quand il est trop vieux…"(4). L'imagination collective est une formidable façon de créer la croissance et les emplois de demain, de garantir la cohésion sociale, de protéger l'environnement et ainsi de mieux préparer l'avenir.

Notes

1 Ainsi le livre "8 priorités pour dynamiser l'innovation en France" (Editions Armand Colin) présente de nouvelles pistes originales, fondées sur une enquête terrain à laquelle ont participé plus de 1100 Centraliens, dont près de la moitié travaillent dans l'industrie et 20 % résident à l'étranger.
2 Le Comité d'Innovation et ses Tiltdays est la méthodologie mise au point et utilisée par Tilt ideas depuis 1995.
3 Le crowdstorming est une déclinaison que ce que le chercheur américain Eric von Hippel appelle la "user-centered" innovation. Ici, le crowdstorming© , néologisme que nous avons inventé en 2011, est piloté et géré par une seule entreprise qui commercialisera les idées neuves.
4 Le Rivage des Syrtes, Julien Gracq, p.235. Ed. José Corti, 1951
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