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Revue des marques : numéro 77 - janvier 2012
 

L'harmonie, nouvel horizon

L'heure n'est plus à la consommation effrénée. Elle est à la consommation raisonnée qui appelle un marketing empathique et sous-tend un vrai sens de l'intérêt général. Cap vers la troisième voie.

Entretien avec Serge Papin, PDG de Système U


La consommation dite engagée se singularise, en particulier, par sa contestation du marché et de l'un de ses temples : la grande distribution. Cet ostracisme vous parait-il justifié ? Ce type de consommation peut-il se passer du grand commerce ?

Serge Papin PDG de Système U
Serge Papin : Le commerce est, par essence, le reflet de la société.
Nous avons quitté la période dite des Trente glorieuses, celle de la recherche obsessionnelle de la productivité, du leadership sur le prix, des grands temples de la consommation qui proposaient le "consommer plus". Notre société évolue vers "le consommer mieux". Le "Je consomme, donc je suis" est derrière nous, les gens ne se projettent plus dans une quête effrénée de consommation. Le commerce s'adapte donc à cette évolution. La consommation dite "engagée" vise à retrouver une harmonie entre ce qui, hier, était opposé : la production, la transformation, la mise en marché et la consommation. Il faut, aujourd'hui, les rassembler dans l'intérêt de tous et, en particulier, du client-consommateurcitoyen. N'oublions pas que ce dernier peut voter avec son Caddie, changer aussi les choses en exigeant davantage de respect de l'environnement, de protection de la santé, de respect des producteurs, de défense de l'emploi, sans, bien sûr, oublier de défendre son pouvoir d'achat. Cette consommation engagée doit en faire la synthèse et ne peut se passer du grand commerce et ce dernier doit l'accueillir !

Les "Nouveaux commerçants" le sont-ils, en particulier, parce qu'ils tiennent compte de la "consommation engagée" et créent ainsi davantage de liens ?

Consommer moins consommer mieux
Serge Papin : Nous existons depuis 1894 et notre singularité repose, depuis le début, sur la relation avec les clients avant même la relation avec les produits. Le distributeur s'adresse au consommateur, le commerçant est tourné vers le client. Nous percevons très vite la demande de nos clients sur le plan de la consommation engagée et cela se traduit dans notre nouveau slogan "U, le commerce qui profite à tous". Il profite aux clients qui se méfient de plus en plus des produits controversés (aspartame, bisphénol, huile de palme, ...), les fameux CMR (Cancérigène, Mutagène, Reprotoxique). Soulignons que nous avons été les premiers à enlever le paraben, il y a trois ans, sans que cela n'impacte fortement les prix ! Ce que craignaient certains industriels ! Nous avons retiré le bisphénol de nos tickets de caisse et nous travaillons avec nos fournisseurs pour le substituer dans les boites de conserve ! Même chose pour l'huile de palme que nous remplaçons progressivement dans tous nos produits. Notre proximité avec les clients nous permet de tenir compte rapidement de leurs attentes en ce domaine et de réagir très vite.

La part des "consommateurs engagés" sur l'ensemble de vos clients est-elle plus importante que dans les autres enseignes ?

Serge Papin : Si l'on prend l'exemple du bio, nous pesons 14 % de part de marché alors que nous sommes à 9,5 % sur la moyenne de notre activité, cela signifie que nous sommes en avance dans ce domaine avec notre marque U. Notre enracinement dans les petites villes et le monde rural nous conduit à avoir des clients très sensibles aux questions liées à l'environnement et à l'emploi "au pays".

Nous accompagnons la démarche "Agri-confiance", modèle d'agriculture raisonnée qui illustre la troisième voie et dont Coop de France est à l'origine

La consommation "engagée", en générale, plus chère, est-elle une consommation pour les classes "aisées" et "cultivées" ?

Agri confiance
Serge Papin : Cessons cette dichotomie qui ne rend plus compte de la réalité. Essayons, ensemble, de trouver une troisième voie, en faisant mieux sans obligatoirement faire plus cher. C'est possible à condition de changer les états d'esprit et en se plaçant sur le plan de l'intérêt général. Citons le cas concret du vin de Buzet que nous vendons à la marque U, les viticulteurs qui le produisent ont remplacé les intrants chimiques par des intrants organiques afin de supprimer les traces de pesticides dans le vin. Plus globalement, nous accompagnons la démarche "Agri-confiance", modèle d'agriculture raisonnée qui illustre la troisième voie et dont Coop de France est à l'origine.
Récemment nous avons contractualisé avec la coopérative Bretonne Triskalia pour la fourniture d'haricots verts "Agri Confiance" dont le cahier des charges impose de diviser par deux les intrants. Cela ne coûte pas plus cher et c'est meilleur pour l'environnement et la santé ! Il faut que, tous ensemble, nous allions vers cette troisième voie. Méfions-nous de l'effet boomerang ! Il faut, pour certains produits, trouver une autre forme de croissance, renoncer au marketing débridé, guère attentif au recyclage des produits, à l'impact sur la santé, pour privilégier un marketing plus empathique avec notre société et bâtir les modèles gagnants de demain.

Quels sont les signes qui vous conduisent à penser que le consommateur change sa manière de consommer vers plus de responsabilité, d'éco-citoyenneté ?

Serge Papin : On le constate tous les jours dans nos enseignes quand les clients consomment, de nouveau, au bon moment, les produits de saison. Quand ces mêmes clients retournent dans leur cuisine, cela prouvent qu'ils changent leurs comportements. Observons, et c'est un paradoxe, que les hard-discounters perdent des parts de marché, les produits premiers prix n'ont plus l'attrait d'hier, leurs ventes baissent au profit de produits plus durables. Ainsi, à la rentrée des classes, les cartables plus chers sont néanmoins davantage vendus que les premiers prix car ils résistent à l'usure et donc, sur le long terme, coûtent moins chers car on ne les change pas tous les ans ! Un nouvel arbitrage se dessine : la qualité avec le prix.

Que faites-vous pour informer vos clients sur les règles à suivre pour être "éco-citoyen" ?

Serge Papin : Nous avons mis en place le programme "U éco-réseau" dans lequel figurent un certain nombre d'initiatives éco-responsables comme la construction de magasins aux normes HQE, le recyclage de nos déchets, l'éco-conception de nos produits, la disparition des produits controversés, le développement de nos produits bio.

De quelle manière s'exprime l'engagement U ? Engagement vis-à-vis des producteurs locaux (produire et consommer français ?), les circuits courts, le sourcing, ...

Serge Papin : En matière de produits locaux, nous avons créé, depuis deux ans, vingt "bassins d'appartenance" (U de Bretagne, U de Normandie, U de Savoie...) qui regroupent plus de 1 000 producteurs locaux et représentent suivant les régions entre 5 et 15 % des ventes de produits alimentaires. Nous avons avec eux des rapports de partenariats spécifiques, liés à leur taille, à leur particularité. Cette offre est incontournable car nos clients ont dans leur Caddie des marques nationales, des marques locales et des marques distributeurs.

Les fabricants de vos marques propres ont-ils accepté certains standards : la pêche (Marine Stewardschip Council), l'huile de palme (Roundtable on Sustainable Palm Oil), le cacao (Roundtable for Sustainable Cocoa World Economy)...

Serge Papin : Pas tous, aujourd'hui, mais tous sont informés de l'impérative nécessité de changer. Il faut leur laisser le temps pour adopter une nouvelle démarche.

Après les informations nutritionnelles, puis environnementales, doit-on s'attendre à afficher les informations sociales, des indicateurs sur le bien-être dans les entreprises ? Les droits sociaux pourraient-ils être demain des nouvelles caractéristiques marchandes, des nouveaux critères à inscrire sur l'emballage ?

Serge Papin : Tout d'abord, le packaging n'est peut être pas le meilleur des supports ne serait-ce que pour des raisons techniques d'encombrement et de lisibilité. Mais il n'est pas faux de dire qu'aujourd'hui, là aussi, la conscience du citoyen est en "alerte", par exemple en France. Le hard discount est certainement impacté dans ses performances économiques (PdM) du fait des récentes controverses sur les conditions sociales de ses collaborateurs.

Le commerce doit-il se faire l'écho des campagnes "achetez français" ?

Serge Papin : Sans tomber dans le populisme, ni le nationalisme, on peut vanter les mérites d'une certaine forme de patriotisme, comme le fait le commerce américain ou anglais avec le made in USA ou made in England. La tension sur l'emploi est telle que le "fabriqué en France" est un des ingrédients pour retrouver de la confiance et engager le processus de réindustrialisation. Je souhaite que l'on puisse un jour refaire du textile en France !
Pour notre part, et sur un autre secteur, la location de véhicules, nous accompagnons Mia/Heuliez dans la fabrication du véhicule électrique en en testant un pour une possible généralisation sur tout le territoire.

L'enseigne doit-elle éduquer le consommateur pour le conduire à adopter une valeur d'usage (location longue durée) au détriment de la valeur de propriété ? et si oui, comment ?

Serge Papin : Le commerce accompagne le mouvement mais n'a pas à se poser en professeur de morale !

Les Amap (1) et autres alternatives au marché peuvent-ils vous concurrencer sur certains produits ?

Serge Papin : Les Amap sont le Nespresso des agriculteurs ! On ne peut que s'en féliciter. C'est davantage un commerce complémentaire qu'une offre alternative car le client ne trouve pas tout et tous les Français ne pourront matériellement pas se servir auprès d'une Amap ! Ce système n'est pas généralisable à tous les produits de grande consommation.

Quel chapitre ajouteriez-vous à votre livre Consommez moins, consommez mieux, paru en 2009 et co-écrit avec Jean-Marie Pelt ? Quelles nouvelles formes de consommation engagée envisagez-vous ? Risque-t-elle de devenir "indignée" ?

Serge Papin : J'ajouterais volontiers un chapitre davantage orienté vers les questions politiques. Comment corriger nos erreurs, nos excès et raccorder la génération des Trente glorieuses à celle de demain, les moins de trente ans d'aujourd'hui. Quel monde allons-nous lui offrir ? Que souhaite cette génération ? La société actuelle ne repose pas sur la confiance, elle souffre d'une crise de ses représentants et la divergence est grande entre eux et la masse des clients-consommateurs-citoyens. Dans mon métier, je dois être à l'écoute pour créer davantage d'harmonie et agir pour la pérennité de notre société.

Notes

(1) AMAP : Association pour le maintien d'une agriculture paysanne
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