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Revue des marques : numéro 77 - janvier 2012
 

Consommateurs engagés versus l'engagement du consommateur : hiatus sémantique ?

Depuis que le Marketing Book existe (1995), un glissement progressif vers un rapport plus sobre à la consommation s'observe qui correspond, pour les uns, à un engagement ; pour les autres... à un désengagement. La crise vient exacerber ce mouvement qui met en lumière une vraie fracture sociétale.

Babette Leforestier


Babette Leforestier
Babette Leforestier
A l'évidence, "l'engagement" du consommateur n'est pas du même ordre que celui que l'entreprise entend comme étant "l'engagement du consommateur".
Pour le premier, il s'agit de la progression d'un sentiment de responsabilité citoyenne ; pour le second, cela se résume d'abord au nombre de like sur une page Facebook.

Le consommateur plus responsable

D'après le Larousse, l'engagement désigne "un acte par lequel on s'engage à accomplir quelque chose : promesse, convention ou contrat par lesquels on se lie". Pour le dictionnaire Robert, l'engagement est "un acte ou attitude de celui qui prend parti". Citons enfin l'étymologie du mot responsable (respondere en latin) : "répondre de, se porter garant". La montée de la sensibilité des consommateurs à l'environnement ne date pas d'hier, elle émerge au début des années 1990.

Marketing book 2011
Mais il faudra les crises environnementales, alimentaires et économiques successives pour qu'ils considèrent qu'il y a quelque chose qui "cloche" ; que le progrès technologique ne fait peutêtre pas le bonheur des individus. Que la planète est "vivante" et qu'il est de leur responsabilité de la transmettre à leurs enfants, en moins mauvais état, au mieux, dans le même état.
Au travers de tous les sondages, on constate qu'ils sont plus prompts à en assumer cette responsabilité que les entreprises elles-mêmes et prêts aussi à en prendre leur propre part. Bien sûr, ce ne sont pas des parangons de vertu. Selon ces mêmes sondages, on constate que leur premier (et parfois le seul) acte écologique est le tri de leurs déchets. Certains ont tôt fait de penser qu'ils se dédouanent, à peu de frais, de leurs devoirs (d'autant qu'ils en sont souvent contraints).
Institutions et entreprises n'ont d'ailleurs de cesse - avec force campagnes de publicité - de leur répéter que tout cela est de leur faute : le gaspillage alimentaire ? C'est bien évidemment le consommateur qui en est le premier responsable quand il achète moins cher des formats économiques ou des lots de deux promotionnels dont il va jeter la moitié. En quoi l'entreprise peut-elle en être jugée responsable ? Les suremballages ? Mais ce sont les consommateurs qui les demandent, au nom de la praticité. Au reste, les marques ne sont-elles pas contraintes de faire figurer tellement d'informations nutritionnelles ("La consommation collaborative", "La consommation collaborative"...) qu'elles ont pas le choix. Les conditionnements individuels ? "Quand vous êtes en randonnée en montagne, des biscuits en conditionnement individuel, qui ne s'écrasent pas, c'est vraiment bien pratique", répondait un jour - sans rire - un responsable d'une organisation dont la mission est de limiter au mieux les emballages... Mais emportés par la crise, les mouvements se radicalisent. Les premiers s'engagent, au premier sens du terme, un contrat qu'ils signent avec eux-mêmes. Ils prennent parti.

Le consommateur plus militant

Ces consommateurs sont certes encore minoritaires et font l'objet de tous les quolibets, "bobos" étant le plus amène d'entre eux. Alors qu'aux Etats-Unis, les associations de consommateurs et autres cabinets d'avocats poursuivent sans relâche les entreprises, les Français restent réservés dans leurs actions face aux entreprises, vieux respect peut-être des "institutions" auxquelles on les associe parfois. Le boycott ? Difficile culturellement quand, justement, les entreprises font partie du tissu social de leurs régions et sont garantes de l'emploi de leurs proches ou d'euxmêmes. Mais quand la crise s'installe et, avec elle, les licenciements, leur regard s'en trouve modifié. Et il est un boycott, sans pancarte ni revendication, beaucoup plus efficace - pervers - diront certains : le boycott implicite. On décide un jour, pour une raison ou une autre, de refuser d'acheter telle marque, de fréquenter telle enseigne de distribution ou de restauration... et on perd l'habitude. On oublie même qu'elles ont existé.

Pourquoi les Amap inquiètent-elles les distributeurs ? Elles ne sont que 1 400 en France, un chiffre d'affaires négligeable. Elles font partie, avec l'approvisionnement chez les producteurs ou les marchés locaux, de ces circuits alternatifs, plus courts, de "la fourche à la fourchette" qui cumulent tous les avantages : écologique, citoyen et nutritionnellement sain. Aux Etats-Unis, temple de l'agro-business et de la nourriture industrielle, une loi, soutenue par le président Obama, pourrait être votée, favorisant les petits producteurs et ces mêmes circuits. Les consommateurs militants quittent les villes. Pour vivre plus simplement. Au nom de la décroissance. Aujourd'hui, épiphénomène, mais demain ?

Le consommateur plus rebelle

Dans une interview au Journal du Dimanche, le 4 décembre 2011, Michel-Edouard Leclerc ne mâche pas ses mots : "Je vois beaucoup de rancoeur et un sentiment d'injustice en France comme dans le reste de l'Europe". Et de conclure : "ce sont les citoyens qui en font les frais [de la crise]. Je crains pour le cycle économique et pour la paix sociale. Il y a une révolte à mener !" Rebelles. Contraints ou volontaires. Au-delà du militantisme précédemment cité, il est deux réactions auxquelles les entreprises doivent prendre garde. Une rébellion qui n'est plus politique. Juste d'abandon.

La consommation collaborative : premier signe de réaction ?
Difficile de se fier aux chiffres, entre les données internationales (trois millions de couchsurfers dans 235 pays, ces particuliers qui accueillent gratuitement les voyageurs) ; un million de nuits réservées sur Airbnb qui permet de louer chambres ou appartements à des particuliers dans le monde ; un million de membres inscrits sur le site de covoiturage.fr... le succès du site leboncoin.fr. Bref, quelle que soit la justesse de ces données, nous sommes loin de ces consommateurs seulement "malins". eBay et Priceminister sont parmi les sites de ventes les plus visités. Les sites d'échanges, de troc, de location d'outils entre particuliers, de ventes de plats préparés à la maison sont légion. Oubliés les "collections" de textile et le dernier modèle de lave-linge. Celui de l'année dernière y suffira bien, sans le nouveau bouton qui fait bip-bip, mais 30 % moins cher. Autant d'argent économisé pour payer son abonnement Internet.

C'est naturellement la généralisation de l'usage d'Internet qui nourrit ce mouvement, en favorisant une circulation de l'information sans précédent, ces réseaux dont vont se nourrir au quotidien des millions, des milliards d'internautes, d'échanges "peer-to-peer". Qu'ils soient naïfs, de conviction, opportunistes, saugrenus, même éphémères, des centaines de sites ont un même dénominateur commun "Co" : coworking, cohousing, colocation, colunching, cobooking (nous faisant regretter les bonnes vieilles bibliothèques), covacances, et communauté bien sûr... En somme, tout ce qui peut, à un moment donné permettre d'être ou de faire "avec" au sens étymologique du terme latin "co". Des milliers aussi de sites "solidaires", d'associations, dont l'objectif est de mettre en relation des gens les uns avec les autres. Le consommateur choisit des voies de contournement. Il s'organise. En dehors du système. Entre soi. Quant aux marques ? Oui, à la rigueur, mais elles seront moins chères chez le voisin que dans le magasin de déstockage ou, plus simplement, en les troquant.

La précarité, vers la rébellion ?
Les industriels et les sociétés de services l'ont déjà bien compris, leurs partenaires (agences, sociétés d'études...) ont du mal encore à l'intégrer. Et pourtant, cette stratégie a déjà un joli nom : "BoP", pour "Bottom of the Pyramid". S'adresser à ceux qui ont le moins de moyens. Il fut inventé comme cheval de Troie pour investir les pays émergents. Avec la crise, elle arrive avec force dans les pays occidentaux. L'enjeu de la "réussite" de ces stratégies est avant tout... moral. Jamais le volet responsabilité sociale de la RSE ne va prendre autant d'importance. Le "social business" à notre porte. Très cyniquement, institutions et acteurs économiques savent qu'ils ne peuvent en faire l'impasse. Qu'ils soient sociologues, économistes... voire distributeurs, tous s'en inquiètent.

Demander "l'engagement" du client : en échange de quoi ?

Pendant ce temps, les marques n'ont qu'une obsession : "Mettre le client au coeur de notre problématique" ; "répondre aux attentes de nos clients". Cela ne vous rappelle rien ? Cherchez bien... dans vos vieux manuels. Rien ne semble avoir changé sur la planète marketing : agences et annonceurs redécouvrent encore et encore le "client". Les technologies changent, les mythes restent et notamment le premier d'entre eux : la marque demeure convaincue que le consommateur lui appartient. Certes, depuis quelque temps, les équipes marketing ne comptaient plus sur une fidélité à vie et consentaient à quelques coups de canif dans un portefeuille de marques que le consommateur s'était constitué depuis belle lurette. Internet, puis Facebook sont arrivés... Et de la même manière que les patrons de CRM affichaient la taille de leur base de données en millions d'adresses, la course aux fans est lancée et les compteurs s'affolent : combien de milliers de fans d'une banque ? Bingo ! 200 000 de plus grâce à notre nouvelle opération promotionnelle. Comme si un individu pouvait être raisonnablement fan d'une institution bancaire, d'un hôpital ou d'un cabinet d'esthétique, à moins d'y être contraint... par la promo. Bien sûr, Coca-Cola a des millions de fans. Mais tout le monde ne s'appelle pas Coca-Cola.

Ce compteur est cependant devenu le nouveau radar de la mesure de "l'engagement" du consommateur. Les marques veulent encore y croire et certains célèbrent l'entreprise "conversationnelle" quand elle garde son site verrouillé. Quand, sur Facebook, les marques ne font que parler, sans écouter. Monologue toujours. Il est finalement peut-être un autre hiatus, bien plus profond : les marques semblent ne plus s'adresser qu'à ceux qui les "like" en oubliant les autres. Les consommateurs lambda, autrement plus nombreux et qui attendent autre chose.

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