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Revue des marques : numéro 75 - juillet 2011
 

Le symbolique, nouvel horizon

La communication doit retrouver ses lettres de noblesse en plaçant la marque au coeur des priorités stratégiques des entreprises et en oeuvrant sur le long terme.

Entretien avec Laurent Habib, président d'Euro RSCG C&O et directeur général d'Havas en France *


Laurent Habib
Laurent Habib

Quelles sont les idées vaines que vous dénoncez ?

Laurent Habib : Les idées que les marques ou les entreprises ont commencé à promouvoir quand la communication est devenue centrale dans la société, quand tout est devenu communication et quand, parallèlement, l'incapacité d'action des autorités s'est révélée, ainsi que celle des marques, à offrir une vraie différence.
Les idées vaines résultent de l'écart entre la parole et la réalité, les promesses du style "pour vous", "ensemble", "les demain meilleurs qu'aujourd'hui", "rien ne compte plus que vous", ces discours génériques sans effet et sans valeur.

La communication devient une abstraction en elle-même, qui aurait sa propre logique et avec laquelle onpourrait faire n'importe quoi.

Quand seraient-elles apparues et qui les auraient lancées ?

Laurent Habib : Les idées vaines sont lancées par les autorités en situation de discrédit et par les marques qui doutent de leur capacité de différenciation et de leur utilité réelle. En période de crise, certaines marques ne semblent plus indispensables, ne créent plus d'attachement, quand d'autres parviennent à rester incontournables comme les marques de luxe. Les marques dites moyennes ou milieu de gamme sont en danger car les consommateurs vont de plus en plus "dualiser" leur consommation entre des marques qui ont une très forte valeur symbolique et pour lesquelles on accepte de payer le prix et des non-marques ou des marques low cost associées à une consommation rationnelle, utile et économique. La promesse doit être soit symbolique soit d'utilité.

Pourquoi la crise du politique est-elle à la racine du mal que vous dénoncez ?

Laurent Habib : La politique correspond à une représentation synthétique et symbolique de la dissociation entre la parole et l'action. Le politique est le lieu où s'exprime le pouvoir et se crée la culture du pouvoir. En France, le chef de l'Etat est en même temps le chef de l'exécutif, celui qui a le pouvoir d'agir et aussi celui qui a le pouvoir de représenter. Cette forte concentration des pouvoirs a créé une certaine conception du chef de l'Etat et de son rôle et un désir de leadership qui se sont disloqués avec la perte progressive de pouvoir réel.

La marque c’est de la pure valeur. Le risque considérable aujourd'hui est de tirer de la valeur de court terme et non de long terme.

De quoi la communication serait-elle coupable ?

Laurent Habib : La communication joue un rôle néfaste quand elle fait croire qu'elle peut sauver sans être associée à l'action. Dans ce cas, elle est un instrument de destruction de la légitimité, elle fait le lit de la désespérance sociale qui touche, aujourd'hui, particulièrement la France. Le sentiment que les problèmes - retraite, chômage, école, inégalités, etc… - sont finalement immuables est catastrophique. Si la parole est dissociée de l'action, alors les autorités sont impuissantes et tous les maux demeurent. La société est fossilisée.

Est-elle seule responsable de la destruction de valeur ?

Laurent Habib : Non, bien sûr. J'identifie quatre phénomènes de destruction de valeur. Le premier est celui de la division internationale du travail qui détruit la valeur travail dans les sociétés occidentales. Le deuxième porte sur la désintermédiation dans tous les marchés avec, pour conséquence, que les sources de création de valeur vont de plus en plus vers le producteur, souvent basé dans des pays étrangers. Le troisième phénomène est celui de la gratuité, la destruction de valeur de tout ce qui est numérisable. La culture de la gratuité est très forte chez les jeunes qui considèrent que les choses produites par l'esprit n'ont pas de valeur. Avec ce principe, une idée, une chanson, une oeuvre, n'appartient à personne. Enfin, dernier phénomène, le raccourcissement du cycle de vie des produits technologiques : l'obsolescence ou la copie d'une innovation technologique est si rapide qu'elle ne crée plus de la valeur de façon suffisante pour financer le prix de l'innovation. On ne fait donc que des innovations secondaires et factices.

Accuser la communication, les marques… n'est-ce pas prendre la partie pour le tout ? La personnification n'induit-elle pas une responsabilisation mal attribuée ? La crise des marques (comme la crise de la communication) n'est-elle pas d'abord la crise des hommes qui les gèrent ?

L.H. : Mon analyse de la marque est économique. La marque constitue un patrimoine, elle est un potentiel de création de valeur. Elle est le réceptacle d'investissements, créateurs de richesses à l'instant t et elle est une potentialité de création de valeur à l'instant t+1 par projection de la marque dans des champs nouveaux. La marque, c'est de la pure valeur. Le risque considérable aujourd'hui est de tirer de la valeur sur le court terme et non sur le long terme. Il y a là une responsabilité évidente des gestionnaires de marque : une marque surexploitée, surexposée, pour laquelle on fait trop de franchises, trop de développement de produits, trop de sous-marques ou de segmentation de produits, est condamnée à créer de la recette immédiate au détriment de la valeur à long terme. Je dénonce les marques "en vrac", cette logique de la distribution qui consiste à privilégier la mise en vrac de toutes les marques sans créer d'univers d'expérience de marque spécifique et qui est destructrice de valeur ; elle profite aux marques distributeurs et aux marques low cost, ou bien aux marques qui échappent à ce système en créant leur propre modèle, comme Nespresso.

La crise touche-t-elle toutes les marques ? (L'Eau de mélisse des Carmes Boyer est toujours là depuis quatre siècles, la moutarde Maille depuis 1747, Paille d'or depuis 1905...

Laurent Habib : Quand la frénésie nous frappe, quand le monde s'agite, ce qui garde de la valeur, c'est ce qui vient de loin. En dix ans, on dénombre deux fois plus de dépôts de marque et un dépôt sur deux est une marque morte au bout de deux ans. L'accélération des cycles de production des marques, de rentabilisation, aboutit à beaucoup d'échecs, peu de valeurs réelles créées. Les marques qui s'inscrivent le plus dans la stabilité, la pérennité, la durée, avec des stratégies de long terme, s'en sortent le mieux.

Définir la marque "totale" uniquement à partir du capital immatériel, n'est-ce pas réducteur ? Quid de la matérialité ?

L.H. : La valeur se construit moins à présent sur la dimension fonctionnelle des produits, aujourd'hui uniformisée, que sur le symbolique, l'imaginaire, donc l'immatériel.

Pourquoi suggérez-vous de ne plus distinguer marque commerciale et marque d'entreprise ?

Laurent Habib : Si la marque est "totale", comme je l'indique, "agrégateur des actifs immatériels de l'entreprise", la marque tire sa force aussi bien de l'histoire de l'entreprise, des modes de production, du mode de management, du capital de confiance du patron, de la qualité de la réputation de la relation avec les fournisseurs… Le Brand extensive value (BEV), notre outil d'étude propriétaire, analyse et mesure toutes les dimensions de la marque. Si le champ fonctionnel a sa relative importance, même si toutes les marques produisent les mêmes avantages fonctionnels, en revanche les aspects de réputation et de dimension sociétale de la marque prennent une importance très grande dans l'évaluation de la marque, la préférence et le price premium. Aujourd'hui, le fonctionnel est la base et le symbolique, la clé. Aujourd'hui, des marques peuvent naître du symbolique et peuvent en souffrir comme American Apparel, marque associée à son concepteur et à un état d'esprit californien, pénalisée par la mauvaise réputation de son créateur et d'un management discutable. La marque Method est, elle aussi, née du symbolique, construite sur une promesse environnementale dans l'univers des produits d'entretien. On peut donc aujourd'hui construire une marque uniquement sur une dimension sociétale. Dans l'univers du luxe, les marques sont davantage dans l'univers de la réputation, de la position sociale. Même chose dans l'univers de l'automobile où toutes les voitures se ressemblent plus ou moins : c'est la dimension symbolique, le système de valeurs de la marque qui fait la différence. Dans l'univers des produits de grande consommation, la dimension fonctionnelle demeure, il est vrai, plus importante. Les grands succès des dernières années sont liés à des innovations packagings (lait, boissons…). Pour autant, plus une marque est basée sur le fonctionnel, puis elle est fragile face aux marques distributeurs et low cost. Si un produit n'est pas aujourd'hui porté par une marque entreprise très forte (Danone, par exemple), il ne pourra pas empêcher la montée des produits génériques.

Que préconisez-vous pour sortir de la crise ? Comment définissez-vous la "communication transformative" ? Comment la conduire ?

Laurent Habib : La communication transformative se donne pour objet de dire le projet d'entreprise ou de la marque dans sa globalité, de le rendre lisible pour l'interne comme pour l'externe et de construire la singularité de la marque sur la base de ce projet. Il ne s'agit pas de créer de l'acceptation ou du consensus mais de mettre en scène le but, de bien cerner les difficultés pour l'atteindre, le rôle de chacun pour y parvenir. Cette communication cherche à établir un contrat avec les parties prenantes, elle s'inscrit dans le long terme et ne demande pas aux gens d'aimer la marque par principe mais au nom du projet qu'elle construit.

Dans l'entreprise, n'est-il pas temps de créer un gardien du temple, gardien des valeurs, des fondamentaux de la marque (un brand manager) ?

Laurent Habib : Il faut changer le rôle des communicants pour la création de valeur. Il faute mettre la communication au centre de l'entreprise en onnant au directeur de la communication un rôle plus central qui tient compte du rôle transversal de la marque, nourrissant les stratégies RH, marketing, financière, recherche. La marque doit être placée au point central de l'entreprise irriguant toutes ses dimensions. Le communicant doit devenir un stratège pédagogue qui crée une dynamique collective au sein des comités exécutifs. Il est l'un des gardiens de la valeur immatérielle qui représente aujourd'hui plus de 60 à 70 % de la valeur des entreprises.

Notes

(*) Auteur de La communication transformative, pour en finir avec les idées vaines, Puf, 2010.
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