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Revue des marques : numéro 72 - Octobre 2010
 

Haro sur le faux

Hors la volonté politique européenne pour la juguler, la contrefaçon aura malheureusement encore de beaux jours devant elle. Au coeur du combat depuis longtemps, l'Union des Fabricants entend plus que jamais sensibiliser tous les acteurs, nationaux et internationaux, à ce fléau et plus particulièrement, les consommateurs.

Entretien avec Christian Peugeot, président de l'Unifab*
Propos recueillis par Jean Watin-Augouard



L'Unifab lance sa 12e campagne estivale "stop au faux", participe à la campagne avec la douane "les faux produits cachent de vrais dangers" pour la journée mondiale anti-contrefaçon, ainsi qu'à l'exposition "Contrefaçon, la vraie expo qui parle du faux" à la Cité des sciences… Les consommateurs perçoivent-ils mieux les enjeux aujourd'hui, qu'hier ? La "peur du gendarme" est-elle réelle ?

Christian Peugeot
Christian Peugeot
Christian Peugeot : Les campagnes que l'Unifab mène depuis quelques années commencent à porter leurs fruits car on assiste à un progressif changement de mentalité des consommateurs. Il est vrai que depuis que tous les secteurs - luxe mais aussi jouet, automobile, médicaments, parfum, électroménager… - avouent être touchés par ce phénomène, la prise de conscience s'est accélérée.
Les médias ont joué un rôle important dans ce processus et les politiques ont su donner l'impulsion nécessaire à cette évolution. Désormais les consommateurs préfèrent "consommer durable" et ne pas nourrir les organisations criminelles. Notre travail est encore long mais les premiers résultats sont encourageants. Quant à la peur du gendarme, elle est réelle, mais l'Unifab préfère expliquer et convaincre plutôt que de menacer.
La lutte anticontrefaçon est une cause dont les consommateurs doivent être convaincus pour stopper l'accroissement annuel des produits.

Pour lutter contre la contrefaçon, aujourd'hui phénomène international et mondialisé, quels sont les acteurs "mondiaux" ? La lutte contre la contrefaçon, combien de divisions ?

Unifab
Christian Peugeot : Tous les acteurs de la lutte anti-contrefaçon doivent avoir une action concertée.

Les partenaires essentiels de la lutte anti-contrefaçon pour les entreprises sont les pouvoirs publics. D'un point de vue répressif, la Douane qui chaque année saisit plusieurs millions de produits, dont près de 37 % étaient potentiellement dangereux en 2009, mais également la Police au niveau national, Europol, Interpol... en amont, les offices de propriété intellectuelle, à l'image de l'Inpi, mais, plus que tout, la volonté politique est le meilleur allié de la lutte anti-contrefaçon.

L'Unifab fonde beaucoup d'espoir dans le plan anti-contrefaçon que le commissaire européen Michel Barnier dévoilera à l'automne 2010.
"La lutte anti-contrefaçon est une cause dont les consommateurs doivent être convaincus pour stopper l'accroissement annuel des produits."

Depuis sa création, quels ont été les travaux engagés par l'Observatoire européen de la contrefaçon ?

Christian Peugeot : Réclamé depuis longtemps par l'Unifab, l'Observatoire européen de la contrefaçon a finalement été lancé en avril 2009 par la Commission européenne. Depuis, plusieurs groupes de travail ont été constitués pour faire état de la lutte anti-contrefaçon dans l'Union européenne dans ses différents aspects, législatif, statistique et communication. Les experts européens qui composent ces groupes, dont l'Unifab fait partie, ont rendu leurs premiers rapports lors de la réunion plénière qui s'est tenue à Madrid, en juin dernier. Ces premiers travaux devraient, nous l'espérons, ouvrir la voie à des propositions concrètes pour améliorer les moyens de lutte actuellement à disposition. L'Observatoire doit être un réel outil opérationnel, il ne doit pas se contenter de faire des constatations.

Qu'attendre du traité international Acta (Accord commercial anti-contrefaçon) pour l'heure encore à l'état de projet ?

Christian Peugeot : Le projet de traité ACTA a trois objectifs clairs :
• mettre en place des standards entre les pays signataires pour mieux protéger les droits de propriété intellectuelle contre la contrefaçon et le piratage,
• renforcer la coopération internationale en matière de lutte anti-contrefaçon,
• développer les pratiques et mesures permettant une bonne mise en application des droits de propriété intellectuelle.
Le but est de détecter les lacunes du système international et de mettre au point de nouvelles règles ou des mesures visant à améliorer les moyens en place en matière de procédures civiles et pénales, de sécurisation des frontières et de lutte contre la cyber-contrefaçon. L'Unifab soutient donc complètement ce projet. Les reproches formulés à l'encontre d'ACTA, notamment le manque de transparence dans les négociations, l'atteinte à des droits fondamentaux (liberté d'expression, vie privée sur internet), restriction de l'accès aux médicaments génériques, ne sont, pour nous, pas fondés. Ce projet, conforme aux droits et aux libertés fondamentaux, est compatible avec l'accord OMC relatifs aux droits de propriété intellectuelle liés au commerce (ADPIC) et à la déclaration de l'ADPIC sur la santé. Nous avons besoin d'une harmonisation urgente des pratiques dans le monde, pour faire face au fléau croissant de la contrefaçon, notamment sur internet.

"La cyber-contrefaçon est en explosion et les moyens pour l'endiguer semblent, aujourd'hui, insuffisants."

Le couple Hadopi/Loppsi II est-il un premier pas dans la mise en application du traité ACTA ?

Christian Peugeot : Les lois Hadopi et Loppsi II ont permis la mise en place de mesures destinées à améliorer la lutte contre la contrefaçon sur internet, notamment la riposte graduée et la circonstance aggravante pour cyber-contrefaçon. La contrefaçon sur internet est en augmentation constante et incontrôlée depuis ces dernières années et il est aujourd'hui indispensable de renforcer l'arsenal juridique pour préserver les droits de propriété intellectuelle dans l'environnement numérique et donc protéger le "cyber-consommateur". Le projet ACTA s'inscrit dans la même dynamique que ces textes.

Qu'est-ce que la cyber-contrefaçon apporte de nouveau dans la contrefaçon ? La fraude change-t-elle de nature ? La traque des faussaires sur eBay n'est-elle pas plus compliquée que dans le commerce physique ?

Christian Peugeot : Le développement de l'e-commerce a totalement bouleversé le respect des droits de propriété intellectuelle.
Auparavant le produit contrefait se rapportait de voyages et donc était accessible à un nombre restreint de citoyens. Désormais, chaque enfant, chaque adolescent, chaque personne, derrière son ordinateur à son domicile, à son bureau peut commander des produits de contrefaçon, peut télécharger illicitement des contenus numériques... La difficulté principale est de faire cesser la diffusion de toute l'offre de faux produits et il y a différents types de cas : les sites qui ne vendent que des copies et qui l'affichent, ceux qui vendent du faux en faisant croire que c'est du vrai, et les sites de ventes aux enchères qui ne font aucun contrôle avant la mise en ligne et dont les clients sont souvent victimes de contrefaçon car ils pensent acheter du vrai… Comme dans la vie réelle, l'essentiel du faux proposé sur internet est fabriqué en Chine, mais, à la différence des livraisons par conteneur, plus facilement saisissables par les douanes, la livraison par transport express est digne du trafic de fourmis et pose de réelles difficultés d'interception.

La décision rendue par la Cour de justice de l'Union européenne, le 23 mars dernier, relative au litige opposant notamment les sociétés Louis Vuitton Malletier à Google sur l'utilisation de marques comme mots-clés commerciaux sur internet, est-elle selon vous de nature à renforcer la protection des titulaires des droits de propriété intellectuelle contre les comportements illicites ?

Christian Peugeot : Nous estimons que cette décision est plutôt positive pour les titulaires de droits à plusieurs égards : elle admet en premier lieu la responsabilité d'un annonceur en ligne qui reprend une marque de manière identique sans l'autorisation de son titulaire ; elle retient comme possible la responsabilité d'un prestataire de service de référencement payant, ici Google, s'il a manqué à sa neutralité ; enfin la Cour précise que, si un prestataire d'un service de référencement sur internet ne peut être considéré comme l'utilisateur d'une marque comme mot-clé, en revanche, dans la mesure où il a permis à son client d'en faire un tel usage, son rôle et sa responsabilité doivent doit être examinés sous l'angle d'autres règles de droit national. Cette décision permet de clarifier la réglementation applicable en matière de publicité en ligne et de responsabilité des prestataires de services de référencement. Elle renforce la protection des titulaires des droits de propriété intellectuelle contre les comportements illicites sur internet ainsi que celle des consommateurs qui peuvent être induits en erreur sur l'origine des produits ou services proposés en ligne.

Que préconise la Charte anti-contrefaçon ?

La nouvelle exposition à l'Unifab
La nouvelle exposition à l'Unifab,
16 rue de la Faisanderie, sur les
dangers de la contrefaçon dans
la vie domestique, de septembre
2010 à septembre 2011.
Christian Peugeot : Une nouvelle fois, la Charte de lutte contre la contrefaçon sur internet répond à une réalité : la cyber-contrefaçon est en explosion et les moyens pour l'endiguer semblent, aujourd'hui, insuffisants. La coopération entre les titulaires de droits et les plateformes de e-commerce apparaît comme une solution pertinente et cette Charte démontre qu'une collaboration est possible puisqu'environ cinq cents parties ont accepté de la signer. Le texte prévoit, de manière générale, des mesures de détection du faux, l'impossibilité de vendre des médicaments en ligne, une meilleure information des cyber consommateurs, la définition des procédures de notification par les titulaires de droit de la présence de faux sur certains sites, le traitement par ceux-ci des offres de contrefaçons, la possibilité de plaintes de consommateurs, l'identification des vendeurs récidivistes de faux, ainsi que l'échange d'informations entre plateformes et titulaires de droit, la mise en place de méthodes et d'outils de détection. Nous plaçons beaucoup d'espoir dans la mise en pratique de ces mesures et espérons qu'elle inspirera d'autres Etats.

Comment analyser l'augmentation des saisies de contrefaçon sur fret express et que faire pour la juguler ?

Christian Peugeot : L'analyse est très simple : l'envolée de la vente de contrefaçons sur le net. La facilité avec laquelle le consommateur peut se procurer du faux engendre une démultiplication des ventes sur Internet. En plus, le consommateur, du fait qu'il commande chez lui la plupart du temps, se sent comme inaccessible ! Heureusement les douaniers font un travail remarquable sur ce front, et certains acteurs, comme la Poste en France, sont fortement mobilisés pour juguler ce phénomène. L'Unifab participe d'ailleurs à la mise en place par la Poste d'un module de sensibilisation à la lutte anti-contrefaçon destiné à tous leurs agents au niveau national. Un bel exemple à suivre pour les autres transporteurs...

Est-il possible de mesurer véritablement les conséquences économiques de la contrefaçon quand on sait son opacité ? Qu'est-ce que le rapport de l'Unifab intitulé L'impact de la contrefaçon vue par les entreprises en France, réalisé en avril 2010, apporte de nouveau dans la connaissance de la contrefaçon ?

Christian Peugeot : Par définition, la contrefaçon est une activité illicite, clandestine, dissimulée. Il est donc très difficile d'en mesurer précisément l'importance. Le rapport que nous avons remis à Madame Lagarde, en avril dernier, a catalogué l'ensemble des études nationales, sectorielles, internationales, sur le fléau et, même si les chiffres sont parfois disparates et quelque peu contradictoires, un seul constat s'en dégage : la contrefaçon n'a jamais été aussi importante qu'aujourd'hui et ses incidences économiques, sociales, et en terme de sécurité et de santé, aussi graves. Notre étude a ceci de nouveau qu'elle donne les résultats d'une enquête menée auprès des entreprises implantées en France sur l'impact qu'elles subissent du fait de la contrefaçon. Et les résultats sont pour le moins éloquents, que ce soit en termes de pertes de chiffres d'affaires, de pertes d'emplois ou de frein à l'innovation. Nous n'avons pas eu l'ambition de mesurer le phénomène avec précision, mais d'en avoir donné une image réelle telle que la vivent nos entreprises.

Parmi les cent propositions du rapport pour mieux lutter contre la contrefaçon, quelle sont celles qui sont prioritaires ?

Christian Peugeot : Les cinq volets que nous avons abordés dans nos propositions sont essentiels. Que ce soit l'amélioration de la coopération internationale, le renforcement des dispositifs juridiques internationaux, européens et nationaux, l'amélioration de la réponse opérationnelle, la sensibilisation des acteurs et de l'opinion, ou la cyber-contrefaçon, tous sont nécessaires pour construire un arsenal efficace contre le faux.
En particulier, il apparaît urgent d'harmoniser les législations pénales des 27 Etats membres de l'UE, de soutenir ACTA et de trouver des solutions sur internet.

Notes

* Diplômé d'HEC, Christian Peugeot a intégré Peugeot dès 1978 où il a exercé différentes fonctions en France et en Allemagne avant d'être nommé directeur de la stratégie de marque et de la communication PEUGEOT (2006) puis directeur central du marketing du groupe PSA en 2009.
L'Union des Fabricants possède depuis mars 2010 une page Facebook, ainsi qu'un profil Twitter, consultable aux adresses suivantes : page Facebook: ; profil Twitter:
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