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Revue des marques : numéro 71 - Juillet 2010
 

La fidélité, vertu relative & valeur d'avenir

Fidélité et fidélisation ou le mélange impossible de l'eau et de l'huile. Il n'y a de fidélité qu'à l'idée. Il n'y a de fidélisation qu'au produit.

Par Georges Lewi, Directeur du BEC-Institute (Centre d'expertise en Branding), g.lewi@wanadoo.fr



Georges Lewi
La philosophie nous apprend que la fidélité est une vertu relative : on peut se montrer fidèle et complètement ridicule, has been, voire dangereux. Seules les idées engendrent ce type de comportement fondé sur la fidélité. Les nostalgiques d'une idéologie extrémiste ne peuvent être loués de leur fidélité, fusse-t-elle durable, voire sincère. Il peut en être de même avec certaines marques : les nostalgiques du vélo-solex ne sont que des originaux aussi éloignés de la sécurité routière que de la réalité économique et environnementale. Ces deux comportements considèrent la fidélité comme une résurgence d'un passé révolu, comme une répétition, un hoquet de l'histoire collective ou individuelle. Ces comportements atypiques mais très visibles ont engendré le sentiment que fidélité rimait avec passé.

La fidélité, une valeur d'action

Or en consommation comme en politique, il n'en est rien. Les consommateurs comme les électeurs sont fidèles à l'idée qu'ils se font de leur avenir tout en conservant une cohérence personnelle. La fidélité est non seulement une vertu relative mais c'est une valeur d'avenir et d'action. La fidélité fait agir, acheter, voter, manifester… La fidélité est donc un des moteurs principaux de l'action. Elle représente la volonté d'être conforme à l'idée que l'on a de soi-même et nous incite à une recherche exigeante et rigoureuse. Mais cette action est menée non par l'entreprise mais par le consommateur lui-même. On l'a vu en politique, où bâtir son élection sur un bilan, fusse-t-il réussi, ne convainc pas. Les citoyens ne votent pas pour hier mais pour demain. Les consommateurs n'achètent pas des produits (sauf les "collectors" au nom significatif) pour les muséifier mais pour les consommer, demain, après demain...

Il n'y a de fidélité réelle et actuelle que de fidélité "qui en vaille la peine" pour l'avenir. Les aficionados ne sont fidèles qu'à l'idée même de l'idée et pas du tout à un monde réel de produits. La fidélité ne serait, somme toute, qu'une valeur virtuelle mais c'est bien elle qui fait "marcher" le monde. Les idées, les chimères et les idéologies développent les fidélités les plus fortes et ne sont peut-être que des rêves quelque fois discutables ; mais les hommes ont besoin de ces chimères pour vivre !

Les marques en profitent largement en exploitant leur "storytelling", récits d'un temps souvent lointain, quelque fois chimérique où les créateurs étaient tous géniaux et ingénus, les créatrices surdouées et visionnaires… Les consommateurs et les citoyens ont la nostalgie d'un monde où tout était simple, authentique, sans mensonges ni artifices. Ils savent aussi que la réalité n'a jamais été ainsi mais ont sans doute besoin de croire que ce monde-"là" a bien existé un jour. Dans ce couple entre idée imaginaire et consommation bien réelle, l'idée même de marque exprime cette rencontre impossible de l'idée et de la réalité. C'est ce qui fait son succès quelque soit le domaine marketing BtoC ou BtoB, luxe ou mass market.

Si l'on accepte le prémisse qu'il n'y a de fidélité qu'à l'idée, que devient alors la réalité des produits et services de la marque, seule susceptible de créer du business et de la valeur ? Quel rôle joue le marketing ? Est-il même utile dans la fidélisation à la marque ? Le produit doit-il alors être habillé, presque caché pour ne laisser apparaître que l'image, que le mythe. Est-ce la raison pour laquelle les vitrines des marques de luxe sont aussi dépourvues de produits ? Le rôle des flagships stores n'est-il pas, alors, de faire vivre une expérience de marque plutôt qu'un achat de produits de la marque, geste presque superflu dans ces lieux magiques ?

La fidélisation comme parent pauvre, mais nécessaire, de la fidélité.

Lorsque l'idée s'affaiblit, qu'elle "marche moins bien", que le storytelling de la marque ne fait plus recette, l'équipe marketing entre en lice ; elle propose des accélérateurs de vente, des systèmes de rétention du consommateur, ce que l'on nomme par politique de fidélisation. La fidélité est l'affaire du récepteur, du consommateur qui décide seul de rester fidèle ou non à "sa" marque, la fidélisation est celle de l'émetteur, l'entreprise qui tente de "forcer" le consommateur à demeurer fidèle, même s'il ne partage plus totalement la "vision" de la marque ou que celle-ci lui est devenue indifférente. Dans toutes les catégories, certaines marques génèrent de la fidélité sans avoir besoin de fidéliser, d'autres doivent fidéliser pour maintenir leurs parts de marché. Or les artifices de la fidélisation éloignent la marque de son potentiel de fidélité naturelle.

C'est ainsi que le mot "marketing", souvent synonyme de "vente plus ou moins forcée" est devenu, dans la bouche de certains, une injure alors même que sa fonction est de comprendre et satisfaire le consommateur. On est fidèle à une idée, on achète un produit. Lorsque la fidélité fait défaut, il faut forcer la seconde. En 2010, Apple n'a pas besoin de politique de fidélisation tant son attrait "naturel" est important et ses consommateurs fidèles jusqu'à la déraison. Il n'en fut pas toujours de même. Chaque marque a vécu une période identique de consommateurs "fidèlement déraisonnables et déraisonnablement fidèles" et cherche à la retrouver. Mais la rencontre avec une génération n'est jamais assurée car les marques doivent, pour ce faire, paraître "marginales" alors même qu'elles sont devenues leaders.

Le paradoxe fidélité/fidélisation

Les marques qui réussissent à être leaders et recherchées ont résolu ce dilemme de façon organisationnelle, c'est-à-dire structurelle. Elles ont compris que les deux éléments - fidélité/fidélisation - étaient indissociables : l'idée et le produit, la fidélité et la fidélisation mais que ces deux éléments étaient non miscibles, comme l'eau et l'huile. Elles ont mis en place une direction de la marque indépendante, forte et avec des budgets. Elles ont une direction marketing opérationnelle également bien dotée. Les décisions non structurelles ne sont jamais des décisions durables. La première, la direction de la marque travaille sans cesse sur la scénarisation de la marque, la surprise, l'actualisation permanente de l'histoire ; la seconde oeuvre pour la stabilité du business, la linéarité des périodes creuses, la satisfaction du porte - monnaie comme justification rationnelle et ultime d'un choix irrationnel. Gérer une marque est un métier de funambule : tenir en haleine des spectateurs avides de sensations et arriver au bout du fil, jour après jour, séance après séance. Le temps est fait d'instants et la vision diachronique de la marque d'épisodes...

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