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Revue des marques : numéro 70 - Avril 2010
 

Moi vouloir toi !...Toi comprendre ?

Compréhensible et accessible à tous, ainsi devrait être le discours de la marque. Pour autant, les routes sont nombreuses qui ne conduisent pas toutes à l'objectif attendu.


PAR JEAN-MARC LEHU




JEAN-MARC LEHU
Maître de conférences en marketing,
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Le responsable marketing qui s'interroge sur l'accessibilité de sa marque est souvent prompt à n'étudier que son prix, dans l'absolu et/ou comparativement à ses concurrents. Si sa vision est plus holistique, il pourra inclure dans son analyse le positionnement de la marque, le niveau de technicité de ses produits ou services, les modalités de sa distribution ou d'autres éléments du mix. Mais, rarement, il s'interrogera sur sa communication. Spécialiste de la discipline, il est souvent "naturellement" convaincu d'être… accessible à tous. Pourtant les chemins de la persuasion ne mènent pas tous systématiquement à l'accessibilité.

Les faits de la persuasion

Pendant longtemps, la communication persuasive de la marque a consisté à décrire le produit ou le service promu, à expliquer ce à quoi il se destinait, ce qu'il était sensé faire, ainsi que les avantages qu'il procurait. Oublié le temps "béni" de la réclame du 19e siècle où l'on pouvait promettre le bonheur sans faille d'une société de consommation que même Thomas More n'aurait su décrire. C'est vers 1896 que E. St .Elmo Lewis proposa un modèle qui allait pouvoir être également appliqué quelques années plus tard à la communication publicitaire de la marque. Tel un M. Jourdain industriel, Lewis avait très tôt privilégié une démarche, que l'on qualifierait aujourd'hui de "marketing", pour ses diverses activités. En fait, il était empiriquement parvenu à une séquence sensée rendre son discours accessible. Certes, il n'avait sans doute pas conscience que son "modèle" serait plus tard si décrié. Comme tout ce qui est simple, l'expert es-marketing a vite fait de le considérer comme simpliste. Pourtant, en imaginant que pour rendre accessible le discours de la marque,il pourrait être judicieux dans un premier temps d'attirer l'attention sur ce qu'elle a à dire ; puis de tout faire pour développer un propos qui puisse susciter l'intérêt du destinataire ; puis de faire en sorte que ce propos comporte les arguments propices à provoquer un certain désir. (ou sans/avec), le discours de la marque revendique dans ce cas une accessibilité totale. Super Glue 3 permet de coller par les pieds un homme au plafond en quelques secondes. Ce n'est certes pas nécessairement l'usage le plus courant que l'on en fera au quotidien. Mais il est aisé de comprendre la nature durée le pouvoir adhésif du produit, sans avoir la maîtrise parfaite des 117 éléments de la table de Mendeleiev identifiés à ce jour, pour comprendre sa composition. L'explication passe par la démonstration compréhensible par tous. Les faits parlent au nomde la marque. Cette dernière n'arrive que pour parachever l'information par la réponse au : "Qui le dit ?". L'inénarrable ménagère, mère de famille au foyer, supposée peu cultivée,mais cible primaire idéale de la communication, nécessite un discours simple ! Dont acte. L.S.K.C.S.Ki, (NDLR slogan imaginé par Sacha Guitry pour un chocolat en poudre dans les années 1920), Le shampoing Breck prend soin de vos cheveux, comme un savon de beauté prend soin de votre peau, Le bon potage ça c'est Maggi, Regarde M'man, plus de carries avecCrest !…Les faits, rienque les faits.Ou en tout cas, ceux que la communication publicitaire met en scène. La démarche apparaît sans faille et tellement puissante qu'elle peut même permettre de faire voler en éclats les stéréotypes les plus enracinés. A fortiori lorsque l'on y introduit une touche d'humour, pour éviter le ton normatif pouvant être réprouvé. Lorsqu'un publicitaire comme Bill Bernbach prétend quel'on peut "Penser petit "à propos de la Volkswagen Coccinelleen 1960 sur un marché américain encombré d'automobiles surdimensionnées, ou encore que : "Vous n'avez pas besoin d'être juif pour aimer le pain Levy's", le discours de la marque est compréhensible et accessible au plus grand nombre.

… pour rendre accessible le discours de la marque, il pourrait être judicieux dans un premier temps d'attirer l'attention sur ce qu'elle a à dire…

Les ressorts de l'émotion

Il faut attendre le tournant des années 1970 et 1980 pour que les américains Richard Petty et John Cacioppo formalisent une alternative à la route centrale de la persuasion. Non que cette alternative n'ait jamais été mise à profit auparavant inconsciemment par divers publicitaires. Mais cette possibilité est alors clairement décrite dans le modèle E.L.M. (elaboration likelihood model). Une route périphérique donc, empruntée plus particulièrement dans les cas où le consommateur se trouve dans une situation de plus faible implication a priori. Une route où le comportement peut aisément être suscité voire déclenché, sans pour autant qu'une attitude favorable ait eu l'opportunité de se former concrètement au préalable. Divers signaux périphériques auront suffit pour le déclencher. Des déclinaisons graphiques, artistiques ou littéraires de la vodka Absolut, aux leçons d'Aubade, nul besoin de livrer pléthore d'informations sur le produit, sa fabrication ou modalités de consommation, pour atteindre le coeur du consommateur potentiel. Sa raison viendra (éventuellement) compléter ou conforter la décision d'achat a posteriori. Sans revisiterDarwin (1872) ni déployer le solide du sociologue Plutchik, figure géométrique qui, déployée, décrit la palette des émotions (1980), force est de constater que la palette des émotions humaines, même réduite aux plus basiques, est extraordinairement variée. Autant de variations qui offrent au discours de la marque une communication visuelle, sonore et/oulittéraire, la possibilité de respecter les codes usuels et de continuer à s'adresser au plus grand nombre.Ou au contraire, d'opter pour des leviers émotionnels plus subtils, voire singuliers pour certains alors qu'ils seront parfaitement explicites pour d'autres. Lorsqu'uneOrganisation Non Gouvernementale fait se succéder des photos du drame haïtien de 2010 pour appeler au don, le message se veut explicitement émouvant, jusqu'à parfois même la culpabilisation en cas d'absence de réaction. Mais est-il pour autant efficace ? Suscitera-t-il le don, dans un univers caritatif doublement concurrentiel (nombre important d'ONG d'une part et succession de catastrophes et de causes d'autre part) ? La cause est-elle rendue plus accessible au coeur ou à la raison par une eacute;motion affectée, amplifiée, distordue ? A l'autre bout du spectre, lorsque Fred & Farid imaginent pour Massive Goods un film test imonial enchainant les questions anecdotiques de Paul Auster, Susan Sarandon, Samuel L. Jackson, Mary J. Bilge et quelques autres pour se terminer sur un message en voix off de Bill Clinton, iln'y a pas d'arguments ou de photos chocs évoquant les conséquences du sida, de la tuberculose ou de la malaria. Simplement l'information relaie la possibilité de verser deux dollars à Massive Good à l'occasion d'une réservation online. Les émotions ne sont plus déclenchées mais proposées. La marque, en l'occurrence l'organisation caritative est tout autant accessible, mais elle ne crée pas pour autant de dissonance cognitive, dont la conséquence peut être tout autre que celle de susciter l'effet escompté.

Accessibilité limitée ou accessibilité choisie ?

Faut-il s'inspirer de la pensée freudienne expliquant que plus les fruits de la connaissance deviendront accessibles aux hommes, plus vaste sera le déclin des croyances religieuses pour limiter l'accessibilité du discours de la marque, de crainte que les croyances que peuvent avoir ses consommateurs soient en conséquence modérées par un savoir consumériste chaque jour plus précis ? Le parallèle est sans doute excessif… aujourd'hui.Mais demain ? Le fin tissage des réseaux sociaux, des forums et plus globalement des moyens et services de communication et d'interconnexion des hommes les rendent chaque jour plus savants quant au discours de la marque, chaque jour plus compétents pour interpréter le non dit, chaque jour potentiellement plus méfiants à l'égard d'une communication dont la logique n'est ni simple ni parfaite. Lorsque la marque Acer présente dans l'une de ses campagnes publicitaires la photo d'un nouveau smartphone inclinée donnant lieu à un cadran fuyant vers le futur et légèrement flouté, le consommateur candide peut ne pas s'y attarder. Lorsque ladite publicité a pour accroche : "Socialize in high definition", il vaut mieux miser sur le fait que le peuple des Gaules est peu amateur d'anglicismes, de crainte que ladite haute définition revendiquée ne prête à sourire si elle se résume à celle offerte dans de piètres conditions par le cadran de l'appareil… Quid de la simple cohérence du discours ? L'accessibilité de la marque ne se trouve-t-elle pas alors questionnée, parasitée, limitée ? Faut-il pour autant tout dire,de manière explicite, contrôlée, normée ? Si besoin était, depuis une certaine affiche publicitaire de Savignac pour Garap (1953) (NDLR, une marque inventée pour l'occasion), l'homo communicator publicitarus sait qu'il peut toujours jouer avec le destinataire de son message et que sous certaines conditions il est prêt à le suivre. Comme a pu l'expliquer Jean Baudrillard avec son souci habituel de l'accessibilité à la pensée à propos de Garap. L'accessibilité du discours de la marque n'est-elle pas désormais à ce prix ? Une troisième route. Un complexe mélange d'explicite cognitif pour informer et rassurer, et d'implicite affectif pour laisser imaginer et rêver. Le tout servi par un langage visuel, sonoreet littérairecohérent.Cechoixd'un mélange de stratégie marketing et de créativité ne serait certainement pas pour déplaire à un certain David Ogilvy, a fortiori si le résultat est testé avant utilisation. Mais si l'approche paraît d'une logique ordinaire en théorie, elle est loin d'être simple à réaliser concrètement. Combien de discours de marque paraissent aujourd'hui encore abscons, incompréhensibles, inaccessibles.Y compris à la cible de prédilection. Pourtant pour plagier Rosie, la célèbre riveteuse de J. Howard Miller, "On peut le faire !". Et à vrai dire, il vaudrait mieux, car la guerre (de la communication cette fois) ne fait que commencer…

Force est de constater que la palette des émotions humaines, même réduite aux plus basiques, est extraordinairement variée. Autant de variations qui offrent au discours de la marque une communication visuelle, sonore ou littéraire…
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