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Revue des marques : numéro 67 - Juillet 2009
 

Marque = plaisir, la bonne adéquation ?

En ces temps de frugalité et de rationalité, les marques de fabricants peuvent-elles toujours jouer leur rôle de stimulant hédonique ?

Propos recueillis par Jolanta BAK(*).

Marque = plaisir, la bonne adéquation ?
Jean-Noël Kapferer nous rappelle que la marque déploie tout son sens lorsqu'il y a risque, ou lorsqu'elle est un stimulant hédonique. Or, peu d'univers produits comportent encore, dans nos pays sécuritaires, un risque réel ou perçu, et, quant à la stimulation hédonique, elle est indirectement remise en cause par la montée des nouvelles valeurs post-matérialistes et post-consuméristes.
La crise donne raison aux nouvelles valeurs de modération et d'économie prônées depuis longtemps par les MDD. Je ne crois pas qu'elles aient été conçues comme de véritables stimulants hédoniques, mais elles apparaissent comme très utiles en ces temps de frugalité obligée et de rationalité valorisée.
Leur utilité est économique, certes, mais aussi morale, tant leur éthique du prix bas rejoint l'attente d'une purification du système par l'élimination des dépenses inutiles liées à la surconsommation. Une affiche récente de Jean-Pierre Coffe vantant Leader Price résume cette vision : dépenser est dépassé, tandis que fréquenter les hard discounters est synonyme d'un style de vie intelligent et tendance. Qu'en est-il alors des marques dites nationales, des grandes marques ? Ont-elles encore du sens ? Sont-elles toujours des limitatrices de risque ou des stimulants hédoniques suffisants pour faire accepter de payer leurs produits plus cher ?

Plaisir facile, plaisir coupable

Marque = plaisir, la bonne adéquation ?
La notion de risque ne reste pertinente que sur un nombre très limité de marchés. Il reste donc la stimulation hédonique comme raison d'être de la marque et comme justification du prix supérieur de ses produits. Même si je crois savoir que Jean-Noël Kapferer entend autre chose par stimulation hédonique que le simple plaisir, dans le langage courantmarketing, on s'en tient à une équation simple, voire simpliste : marque = plaisir, l'équation classique des années 1980, années du plaisir et de l'argent facile. Le système de valeurs hérité de cette période, celui qui a conduit à une surconsommation et à un matérialisme effrénés – dont les dérives sont mises en lumière par la crise financière et économique – est aujourd'hui remis en cause par la montée en puissance des nouvelles valeurs éthiques, qui prônent la sagesse et l'écologie. Le plaisir facile, impulsif voire compulsif, est en crise jusqu'à être perçu comme coupable. La consommation de masse et des masses, les Caddies remplis à ras-bord du samedi, les kilomètres de linéaires débordant d'emballages criards, les centres commerciaux bondés, tout cela ne fait plus rêver.Quant aux marques,on passe leur valeur à la loupe, on les compare impitoyablement avec des produits plus économiques. Et très souvent, elles perdent des parts de marché, des consommateurs… Le plaisir qu'elles apportent serait-il insuffisant ? Enmettre davantage serait-il la bonne solution ?Un consommateur me disait récemment, à propos d'une promotion offrant deux produits pour le prix d'un, qu'il cherchait en fait tout le contraire : la moitié d'un.
On passe la valeur des marques à la loupe, on les compare impitoyablement avec des produits concurrents plus économiques.

Plaisir mesuré

Frugalité, donc.Sagesse. Ecologie.Partage.Ces valeurs, même si elles ne sont pas encore complètement « cristallisées » ni encore majoritaires (bien que les 16 % d'Europe Ecologie aux élections européennes indiquent clairement leur montée), désignent une nouvelle donne sociétale post-consumériste, post-matérialiste, qui nous oblige à repenser les paradigmes de base, dans tous les domaines de l'économie et de la vie en société, dont celui des marques.
Qu'en est-il du plaisir ? Il n'a pas disparu, au contraire, mais a changé de définition. Plaisir mesuré, équilibré, ouvrant sur une expérience chargée de sens.Un autre plaisir, une autre façon de jouir de la vie. Moins matériel, plus expérientiel. Moins compulsif, plus réfléchi. Moins égoïste, plus partagé. Moins quantitatif, plus qualitatif. Moins immature, plus adulte.
Et les marques ? Ont-elles réajusté leur vision du plaisir, de « stimulation hédonique » ? Je n'en suis pas sûre…Sur le marché des crèmes glacées, aliment plaisir par excellence, on trouve à la fois l'ancienne donne avecMagnum, autoproclamée « Référence mondiale du plaisir », aux ingrédients toujours plus nombreux, complexes et riches, aux emballages toujours plus dorés, à l'égérie toujours plus star, et Häagen Dazs avec sa gamme Five : packaging épuré, cinq ingrédients de qualité seulement, pour un goût pur et intense, et moins de matières grasses.
A l'instar de Magnum, qui cherche de nouvelles égéries ou des ingrédients plaisir chaque fois plus sophistiqués, nombreuses sont les marques qui semblent vouloir continuer comme avant. Comme Peugeot qui communique à grand renfort de papier glacé et de prime time à la TVsur le chauffenuque de sa décapotable, alors que les consommateurs réclament des voitures hybrides et respectueuses des villes, alors que GM vient de déposer le bilan, alors que de plus en plus de gens rendent leurs clés et se mettent au co voiturage… N'auraient-elles pas pris note que le monde est en train de changer fondamentalement ? Pourquoi font-elles la sourde oreille aux nouveaux désirs et aux nouvelles aspirations ? Seraient-elles affolées, dépassées, par la montée des MDD et du low cost ? Trop assujetties par leurs recettes et leurs routines, ou trop occupées par une gestion à court terme de la crise ?

Nouveaux bénéfices

Si les marques de fabricants veulent survivre dans les coeurs et les porte-monnaie des consommateurs, elles doivent se réveiller et accepter de redéfinir la stimulation hédonique qu'elles offrent pour un prix supérieur. Qu'opposent-elles à la vision économe et morale des MDD et du low cost ? Quels bénéfices additionnels ou différents ? Quel nouveau sens donné au plaisir et à la qualité de vie ? Quel projet défendent-elles, quelle est leur vision du progrès ou de la qualité de vie ?
Ces questions de fond demandent maintenant des réponses tangibles sous forme de produits, de services et aussi de nouveaux imaginaires en résonance avec le monde qui est en train d'émerger.On se recentre sur les besoins essentiels au détriment du superflu. On privilégie au sein de son budget tout ce qui a réellement du sens en fonction de ses besoins spécifiques.On accepte de payer un peu plus cher pour ce qui apporte du confort émotionnel et permet de faire face à un environnement incertain, angoissant. On ne fait pas d'économies sur les produits qui donnent bonne mine pour mieux résister à la menace du chômage.On achète du vintage car il incarne la durabilité et la résistance au temps et aux modes éphémères. Bénéfices de longévité, de sens… Ou ceux de pureté et de fraicheur qui poussent vers le bio et le frais dans l'alimentaire et dans la beauté. Attentes de praticité et de « zéro prise de tête » pour simplifier la vie des femmes et des hommes qui courent toujours plus après le temps et ont d'autres soucis plus graves. Attentes liées à une démographie vieillissante, crise ou pas crise. Plus concrètement, des voitures hybrides, ou quimobilisent profondément l'affect comme la Fiat 500, voire les deux, comme la Tesla. Du maquillage de pro en cinq minutes comme chez Mac ou Bobby Brown. Des moteurs de recherche intelligents qui permettent d'accéder à l'information pertinente en un clic. Du beau ergonomique qui sublime les gestes quotidiens comme iPod ou iPhone. Et aussi des services et des expériences qui vont au-delà du simple produit.
Ici, c'est la vision product-centric des marques qui est également en cause. Pourquoi une marque, même en grande distribution, serait-elle seulement synonyme d'objets ? Pourquoi ne serait-elle pas capable d'apporterun ensemble de services cohérents avec samission – surtout lorsque les technologies interactives permettent de combiner réel et virtuel – et de prolonger un échange matériel par un échange immatériel ? Des massages avec des crèmes de beauté, des leçons de cuisine avec des plats surgelés, des cours de langues avec des dictionnaires…L'économie des services devra coûte que coûte se transformer pour partie en économie de l'expérience.

Si les marques de fabricants veulent survivre dans les coeurs et les porte-monnaie des consommateurs, elles doivent se réveiller.

Un marketing à réinventer

La crise révèle également les nombreuses défaillances de notre conception du marketing héritée, elle aussi, des années 1980 et aujourd'hui largement périmée : dichotomie entre masse et niche, extensions de gamme sans fin comme modèle d'innovation, mainstream = safe, deux pour le prix d'un comme modèle de promotion, etc.Or la nouvelle donne marketing demande de l'innovation au niveau même des business models comme Apple avec iTunes, Zara avec sa supply chain ultra-réactive ou encore Natura avec sa distribution porte-à-porte et son approche équitable de la production. Des expériences interactives au lieu de communications unilatérales qui vendent et vantent tel ou tel produit, comme Starbucks, Dell ou American Apparel qui interagissent avec leurs consommateurs sur Twitter ou sur le lieu de vente. Des réponses globales, inventives et souples aux besoins demobilité à la place de la possession d'un seul véhicule « couteau suisse ». De la segmentation par affinités et par valeurs de telle ou telle tribu plutôt que des produits anodins qui,à force de ratisser large, finissent par ne s'adresser à personne.
Et à la base de tout cela une nouvelle écoute du consommateur – au plus proche de la réalité de sa vie et de ses besoins, rêves, aspirations, mais aussi zones d'inconfort, qui a conduit Hyundai aux Etats-Unis à reprendre le véhicule quand l'acquéreur perd son travail. Une nouvelle approche libérée du déclaratif des sacro-saints focus groups, en coproduction d'idées et de solutions comme Lego, Nike ou Fiat. Du design qui joue son rôle de sublimateur et transformateur de produits anonymes en « mon » objet, « mon » style de vie, «mon » intimité. Et aussi des imaginaires annonciateurs d'une forme de « renaissance », qui donnent forme au monde à venir, et non plus à celui d'hier qui a, douloureusement, montré ses défaillances. Tout ce travail est à faire. Marque par marque, entreprise par entreprise, équipe par équipe. C'est un travail de fond, mais il est excitant et prometteur de nouveaux succès. Un travail indispensable si l'on croit à la valeur du mot marque. La crise nous oblige à aller vite.

Notes

(*) Cabinet Intuition.
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