L'article L. 713-5 du Code de la propriété intellectuelle avait été intégré dans la loi française à la suite de la directive 89/104/CEE du Conseil du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques(3). Très récemment, la Cour de justice des communautés européennes (CJCE) a eu l'occasion de se prononcer sur l'étendue de la protection des marques renommées, à la suite d'une question préjudicielle posée par la Court of Appeal (England &Wales, civil division) (4). Cette question préjudicielle s'insère dans un litige opposant d'une part la société Intel Corporation Inc., titulaire de la marque renommée “Intel”, enregistrée au Royaume-Uni pour désigner essentiellement des ordinateurs et produits ou services informatiques, et d'autre part la société CPMUnited KingdomLtd., titulaire de la marque “Intelmark”, enregistrée au Royaume-Uni pour des services de mercatique et de télémercatique. La marque contestée “Intelmark” inclut la marque renommée “Intel” mais ne désigne pas les mêmes services et n'est pas déposée dans une classe identique. La société Intel Corporation a introduit devant le United Kingdom Trade Mark Registry une demande d'annulation de l'enregistrement de la marque “Intelmark”, en faisant valoir que “l'usage de cette marque tirerait indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de sa marque antérieure Intel ou lui porterait préjudice”.
La société Intel Corporation craignait en effet que, pour un publicquia toujours associé la marque Intel à l'informatique, l'arrivée d'une marque Intelmark entraine une dilution du caractère distinctif de la marque Intel. La demande de la société Intel Corporation ayant été rejetée par le United Kingdom Trade Mark Registry, puis par la High Court of Justice, elle a fait appel de ce jugement devant la Court of Appeal. L'argumentation de la société Intel Corporation est fondée sur les articles 4,§ 4, a) (5) et 5, § 2(6) de la directive 89/104/CEE qui visent selon elle à protéger une marque renommée contre le risque de dilution, ainsi que sur un arrêt de la CJCE rendu dans une affaire Adidas(7), dans laquelle la Cour avait estimé que la protection conférée aux marques de renommée “n'est pas subordonnée à la constatation d'un degré de similitude tel entre la marque renommée et le signe (postérieur) qu'il existe, dans l'esprit du public concerné, un risque de confusion entre ceux-ci. Il suffit que le degré de similitude entre la marque renommée et le signe ait pour effet que le public concerné établit un lien entre le signe et la marque”.
La juridiction de renvoi s'interroge sur les conditions et l'étendue de la protection conférée par les dispositions précitées de la directive aux marques de renommée, compte tenu du fait que :
• il est indéniable en l'espèce que la marque Intel est un mot inventé et fantaisiste pour désigner des produits et services informatiques,
• il s'agit en outre d'une marque unique, puisque ce mot n'a pas été utilisé par qui que ce soit pour désigner quelque produit ou service que ce soit, en dehors de ceux du titulaire de la marque,
• par ailleurs les produits ou services désignés par les deux marques en présence ne sont pas similaires,
• l'usage de la marque Intelmark n'est pas susceptible d'évoquer un lien commercial avec Intel Corporation.
La CJCE a donc reçu pourmission de déterminer l'étendue de la protection conférée par la directive aux marques de renommée et de préciser la notion de lien entre les marques en question. S'agissant de l'existence du lien entre la marque antérieure renommée et la marque postérieure dont l'annulation est demandée, la CJCE estime qu'elle doit être appréciée de façon globale “en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d'espèce”, tels que : le degré de similitude entre les marques en conflit, le degré de proximité des produits et services en question, ainsi que le public pertinent concerné, l'intensité de la renommée de la marque antérieure, le degré du caractère distinctif de la marque antérieure, l'existence d'un risque de confusion dans l'esprit du public.
Si, au vu de l'ensemble des éléments factuels pertinents, un lien peut être établi entre les marques en cause, il n'en résultera pas pour autant que le titulaire de la marque antérieure verra sa position triompher. En effet, il convient également que le titulaire de la marque renommée menacée démontre que l'usage de la marque postérieure tire ou tirerait indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure, ou leur porte ou leur porterait préjudice. Il s'agit là d'une exigence figurant dans l'article 4, § 4, a) précité. Néanmoins, la CJCE, dans son arrêt du 27 novembre 2008, interprète cette exigence de façon extrêmement rigoureuse, puisqu'elle exige “que soit démontrés une modification du comportement économique du consommateur moyen des produits ou des services pour lesquels la marque antérieure est enregistrée, consécutive à l'usage de la marque postérieure, ou un risque sérieux qu'une telle modification se produise dans le futur”. Concrètement, dans le cas soumis à la CJCE, il appartient à la société Intel Corporation de démontrer que, du fait de l'usage de la marque “Intelmark” pour des produits qui sont très éloignés de l'informatique, le consommateur habituel de produits et services informatiques commercialisés sous la marque “Intel” s'en détournerait. Une telle preuve semble extrêmement difficile à apporter, voire impossible. Dans un cas comme celui-ci, le consommateur de produits ou services Intel ne va vraisemblablement pas se détourner de ces biens et services du fait de l'existence de services de mercatique “ Intelmark”. En revanche, l'existence de cette marque postérieure va très probablement commencer une oeuvre de dilution de la distinctivité de la marque “Intel”, ce qui entraînera à terme un affaiblissement considérable de sa renommée et donc de sa protection. Cette jurisprudence constitue bien une menace pour l'étendue de la protection des marques de renommée. Il reste à savoir si l'analyse de la CJCE sera reprise par les juridictions des États membres de façon aussi rigoureuse.
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