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Revue des Marques - numéro 64 - octobre 2008
 

Vers une meilleure connaissance du client

Vers une meilleure connaissance du client

Les études marketing traditionnelles atteignent leurs limites, aussi est-il primordial, pour mieux connaître les consommateurs, d'explorer de nouvelles voies. Tour d'horizon des méthodes innovantes.


PAR DELPHINE DION*

Interrogés lors d'enquêtes ou dans le cadre d'entretiens approfondis, les consommateurs peuvent avoir tendance à travestir la vérité. Certains filtrent volontairement les informations qu'ils livrent sur leurs comportements et motivations. Ils ont tendance à aborder seulement ce qui leur semble important et à négliger, de leur propre chef, les faits qu'ils jugent inintéressants, mais qui sont souvent d'une grande valeur pour les responsables de marketing. Ils n'hésitent pas à déformer la vérité, et même à fantasmer leur expérience, à embellir leur personnalité, à adopter des discours convenus de façon à mieux correspondre à des comportements politiquement corrects ou valorisants.

Et souvent, devant la complexité des questions qui leur sont posées, ils se sentent obligés d'improviser. On se souvient vaguement de sa dernière visite chez Darty. Pour faire plaisir à l'enquêteur ou pour ne pas se sentir stupide, on essaie tant bien que mal de répondre aux questions en brodant autour des vagues impressions qui nous restent en tête ou à partir de ce qu'on pense être une visite typique chez Darty. De surcroît, les consommateurs parfois ne connaissent pas eux-mêmes la vérité, et se racontent et nous racontent des histoires. Leurs discours ne reflètent alors qu'une petite part des comportements, et ils n'ont pas toujours conscience de leurs motivations. Dès qu'on leur pose des questions sur leurs comportements, les consommateurs cherchent des causes rationnelles à des phénomènes qui n'en ont pas toujours. Rien n'est plus déroutant pour un individu que de ne pas réussir à expliquer ses motivations et les raisons de son comportement. Alors, on imagine des motivations, on cherche des explications plausibles, pour se rassurer.

Vers une meilleure connaissance du client

Innover dans les méthodes d'études

Cette double difficulté met les entreprises dans l'embarras. Beaucoup s'accordent à reconnaître que les études traditionnelles atteignent leurs limites et qu'il est primordial de les faire évoluer, pour susciter de nouvelles connaissances sur les consommateurs et être plus performant. Selon une étude McKinsey auprès des entreprises américaines les plus performantes 1, les vingt sociétés en tête du classement se distinguent des autres de trois façons : leur capacité à utiliser les nouveaux médias, le développement de relations plus collaboratives avec les distributeurs, et l'utilisation de nouvelles méthodes d'études (Research World, 2007). Ces vingt entreprises investissent massivement dans les techniques d'études non conventionnelles. Toutes mènent par exemple des études ethnographiques, alors que cette technique n'est utilisée que de façon marginale par les entreprises moins performantes. Innover en études marketing ne signifie pas simplement utiliser des techniques de collecte plus modernes (groupes ou panel en ligne…).Certes, elles connaissent un essor considérable et présentent des avantages indéniables en termes de coût, de temps (collecte et saisie). Mais, au-delà des aspects financiers, ont-elles permis de recueillir des informations plus riches ? Fondamentalement, elles n'apportent pas grand-chose par rapport aux techniques plus anciennes, quand on s'est limité à dupliquer sur Internet les moyens d'étude traditionnels. Ces modes de collecte plus efficients n'échappent pas au biais lié au questionnement. Il importe donc de mener une réflexion en profondeur.

Pour une bonne compréhension des comportements étudiés, il est nécessaire de coupler les méthodes, d'utiliser successivement ou parallèlement des techniques diverses, puis de mettre les résultats en perspective.

D'un marketing de véranda à un marketing de terrain

Pour faire évoluer les études, il est nécessaire de changer d'approche, à l'image de la révolution méthodologique qui s'est produite en anthropologie. Les anthropologues se limitaient à faire venir des autochtones dans leurs résidences coloniales, pour leur poser des questions sur leur mode de vie, ce que font les entreprises lorsqu'elles invitent des consommateurs à se rendre dans leurs locaux pour parler de leurs expériences de consommation. Dans la lignée de Malinowski, en rupture avec cette approche, les anthropologues ont peu à peu quitté leurs résidences coloniales pour se tourner vers le terrain et se joindre aux populations. L'observation participante a pris le pas sur “l'ethnologie de véranda”, telle que Malinowski s'amusait à la qualifier. À son image, on pourrait exhorter les entreprises à se tourner davantage vers le terrain et à délaisser le marketing de véranda au profit d'un marketing de terrain. Cela signifie que pour comprendre les comportements de consommation en profondeur, on ne peut se limiter à diffuser des questionnaires ou à conduire des focus groups (en ligne ou face à face). Il faut s'appuyer sur l'observation et sur l'immersion.
Dans cette perspective, plusieurs techniques sont intéressantes : l'observation directe (participante ou non), l'observation filmée, la netnographie (étude des tribus virtuelles), les tests projectifs, les mesures implicites, les itinéraires de consommation et les récits de vie. Ces techniques, qui ont fait leurs preuves en sciences humaines, pourraient enrichir considérablement les études de marketing, puisqu'elles permettent de contourner les barrières de défense qu'érigent les consommateurs pour se protéger. Et d'étudier ce qui relève de l'irrationnel, de l'implicite, de l'imaginaire, de l'inconscient. D'autres méthodes permettent de réunir des données riches et variées. Parmi les modes à développer, on peut souligner l'intérêt de tous les modes de collecte automatique, qui ne demandent pas d'interaction avec le consommateur mais où l'on se contente d'enregistrer et d'analyser les traces laissées par lui lors de son itinéraire de consommation : sur Internet (données en flux de clics), aux sorties de caisses, au cours de ses interactions avec la marque (lettres de réclamation, blogs, inscriptions à un programme de fidélité…). Ces traces sont très précieuses, gratuites et recueillies de façon non intrusive. Elles permettent d'étudier les comportements réels, et non les comportements restitués sous forme de récits qui omettent consciemment et inconsciemment une partie des faits.

Mieux vaut étudier les comportements réels, notamment par des modes de collectes automatiques, plutôt que de s'en remettre à des récits.

Chaque méthode présente des avantages et des inconvénients. Chacune permet de développer un aperçu différent. Pour une bonne compréhension des comportements étudiés, il est donc nécessaire de coupler les méthodes, d'utiliser successivement ou parallèlement des techniques diverses, puis de mettre les résultats en perspective. Cette démarche permet des éclairages complémentaires, et une compréhension plus fine.

Faire tomber la vitre sans tain

L'évolution des méthodes d'étude ne signifie pas seulement utiliser de nouveaux outils, mais aussi modifier la perception du consommateur et sa place dans le protocole d'étude. On ne peut étudier les consommateurs comme un botaniste examine une fougère ou un zoologue un crustacé. Pourquoi chercher à observer les consommateurs à leur insu ? Pourquoi les placer derrière des vitres sans tain ? Pour mieux les comprendre, il est nécessaire de communiquer avec eux, de les intégrer dans le processus d'étude, comme de véritables partenaires de la recherche, par une approche plus collaborative qui les implique au cours de l'intégralité du processus d'étude, en partageant avec eux les points de vue et interrogations du chercheur. Cela nécessite une mise en question profonde de la part du marketeur, qui doit avoir l'humilité de penser que le consommateur est lui aussi capable de réfléchir. Le consommateur doit être perçu comme un expert.

Vers une meilleure connaissance du client

Un champ d'étude élargi

Il est important d'adopter une attitude proactive et non plus seulement réactive. A ne réaliser d'études que lorsqu'un problème émerge ou pour répondre à une problématique spécifique, les contacts avec les consommateurs sont trop espacés. L'entreprise risque de passer à côté d'évolutions majeures. Il est nécessaire de rester en prise directe avec les consommateurs, de façon très régulière. Cette attitude permet de détecter les signaux faibles, d'anticiper les évolutions et de mieux répondre à leurs attentes. Les études doivent s'intégrer à un cadre plus large. Il n'est pas suffisant de s'intéresser à ses seuls clients, ni à son seul secteur d'activité. Pour développer une stratégie mercatique performante, il est nécessaire de repérer les évolutions des modes de vie, de suivre les changements de la société. Le génie de Steve Jobs n'a pas été de commercialiser un lecteur MP3, mais de comprendre la façon dont le MP3 allait accompagner les individus dans leurs trajets quotidiens. Le renouvellement des études de marketing s'est fait essentiellement par l'utilisation d'Internet pour la collecte des données. Il est encore nécessaire de remanier les pratiques : par des approches ancrées dans le terrain, une attitude plus collaborative et plus proactive, et un champ d'étude élargi.

Notes

(*) maître de conférences à l'IAE de Paris, université Panthéon Sorbonne
1- La performance est calculée à partir d'un ensemble d'indicateurs tels que la part de marché, le taux de croissance ou le chiffre d'affaires.
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