Il faut rappeler les politiques de santé publique, l'évolution de la composition alimentaire de nombreux produits industriels, lente mais réelle, l'engagement volontaire de grands groupes alimentaires comme Nestlé ou Coca-Cola de ne plus communiquer auprès des moins de douze ans, ou l'implication de la communauté éducative pour sensibiliser le public dès le plus jeune âge à l'importance d'une nourriture équilibrée. Plus généralement, la montée en puissance du sujet dans la sphère médiatique a permis aux citoyens d'intégrer la question nutritionnelle au cœur de leur quotidien. Chacun a compris le caractère multifactoriel des causes du surpoids – sédentarité, perte des repères alimentaires...– et la nécessité de changer ses habitudes. Comment consolider cet espoir ? En tant qu'agence de communication, nous savons qu'il est lent, complexe et délicat d'influencer les habitudes. Nous savons aussi que notre relation à l'alimentation est enracinée dans notre histoire familiale, notre territoire, et que tous les goûts sont dans la nature. C'est pourquoi notre conviction est qu'il faut s'appuyer sur ce que nous avons de meilleur dans notre culture française, le lien entre alimentation, plaisir et convivialité, et non transformer l'acte de manger en un moment anxiogène. Manger ne doit pas faire peur.
La tentation de valoriser leur expertise conduit les marques vers le culte des bénéfices fonctionnels. L'acte de manger devient dans cette perspective quasi scientifique, avec le risque majeur de se déconnecter de l'expérience réelle. Car les Français continuent de manger des aliments, et non des nutriments. Ils continuent pour la plupart à respecter les repas, plutôt qu'à penser en termes de prises alimentaires". Ils continuent à faire la différence entre la semaine, où ils n'ont que le temps de se faire à manger", et le week-end, où ils peuvent cuisiner". Bref, s'ils lisent de plus en plus les étiquettes, ils ne les prennent pas pour des notices de médicaments, et commencent au contraire à s'insurger contre la pression normative induite par certaines. Second écueil et corollaire : la tentation de l'injonction.
On ne change pas durablement les comportements par la seule négation. Les messages sanitaires qui accompagnent les publicités alimentaires –Pour votre santé, évitez de manger entre les repas" ,Pour votre santé évitez de manger trop gras, trop sucré ou trop salé" – constituent une réponse rationnelle et restrictive, dépourvue de valeur mobilisatrice. Une étude menée par Ogilvy et GFK en novembre 2007 amis en évidence des résultats peu concluants quant à l'efficacité de ces messages. En particulier, plus le produit mis en avant était gourmand, plus la mention sanitaire était occultée. En d'autres termes, entre l'injonction sanitaire et les sirènes du plaisir, le combat est inégal. Troisième écueil :nous avons tendance à surestimer la compréhension que peuvent avoir les Français des recommandations nutritionnelles. Bombardés d'informations parfois contradictoires en surface (mais quelle quantité d'eau faut-il boire en définitive ?), voyant leurs habitudes alimentaires acquises depuis l'enfance mises en cause, nos concitoyens sont obligés d'assimiler rapidement des règles nutritionnelles parfois complexes. Les erreurs de compréhension sont inévitables. Selon une étude récente du CSA, 42 % des Français pensent que l'huile d'olive est moins grasse que le beurre. Chiffre tout aussi significatif, 56 % sont persuadés que les légumes apportent plus de protéines que la viande. Ces erreurs s'expliquent : certains aliments se voient diabolisés, d'autres portés aux nues. Comme les légumes ont meilleure réputation que la viande, ils doivent avoir plus de protéines... Comme le résume Jean-Claude Kaufmann dans son ouvrage Casserole, amour et crise, on ne mange pas avec son cerveau". La nutrition doit s'humaniser, gagner en appétence et en simplicité. C'est à cette condition que nous façonnerons dans la durée des générations capables de vivre une alimentation saine et équilibrée non comme un sacrifice mais comme un mieux-être. Il faut orienter la communication nutritionnelle en gardant à l'esprit cette donnée simple.
Construisons une vision positive de la lutte contre l'obésité, appuyons-nous sur les acquis de nos concitoyens, ayons enfin dans nos messages une exigence de simplicité et d'universalité. Ainsi, la lutte contre le grignotage ne passe-telle pas par la valorisation du bonheur de déjeuner ensemble ? L'apprentissage de la cuisine ne prémunit-il pas contre la malbouffe, en rétablissant un lien direct avec les aliments ? La promotion des fruits et légumes de saison ne permet-elle pas de vanter la variété à des prix abordables ?De l'autre côté de la Manche, le gouvernement anglais a décidé de mener une grande campagne de sensibilisation sur le modèle du make poverty history", en faisant de la communication un fer de lance de son combat. Espérons qu'il en sera de même en France, où nous disposons d'un immense atout : la France aime être à table. C'est notre différence et peut-être une de nos meilleures chances face à l'obésité, si nous savons faire évoluer les comportements des Français sans qu'ils perdent confiance en leur culture alimentaire.
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