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Revue des marques : numéro 62 - Avril 2008
 

La propriété industrielle, bras armé de l'économie de l' immatériel

Naguère considérés comme de stricts titres de propriété, les brevets et les marques sont devenus des outils stratégiques à part entière. Ils contribuent d'ailleurs grandement à la valorisation des entreprises.

Entretien avec Benoît Battistelli, directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle (INPI). Propos recueillis par Benoît JULLIEN.


Quelles relations entretiennent l'économie de l'immatériel et la propriété industrielle ?

Benoit-Battistelli
Benoît Battistelli

Benoît Battistelli : Recouvrant des réalités anciennes, l'économie de l'immatériel se développe, mais elle reste difficile à cerner pour bon nombre d'acteurs. La propriété industrielle leur fournit, justement, un cadre conceptuel et juridique très bien défini, résultant d'une histoire de plus de deux siècles. Qu'est-ce qu'un actif immatériel ? Quels sont ses domaines d'intervention, sa définition et sa valeur ? Pour répondre à ces questions, les brevets, les marques ou les dessins et modèles constituent des outils performants, reconnus dans le monde entier. Ils sont, en ce sens, intimement liés à l'économie de l'immatériel. Les entreprises se recentrent vers les activités immatérielles qui sont les plus créatrices de valeur. Déjà, comme l'ont montré plusieurs études, le capital immatériel représente plus des deux tiers – certains disent plus de 80 % – de la valeur des entreprises cotées. La propriété intellectuelle en représente la plus grande partie.

Pourriez-vous illustrer l'apport de la propriété industrielle au développement de l'économie de l'immatériel ?

Benoît Battistelli : Les brevets, par exemple, permettent de favoriser une recherche coopérative entre grandes entreprises, avec des laboratoires, publics ou privés, des start up, des PME... Grâce à eux, chacun peut s'engager en connaissant ce qui va lui échoir et son retour sur investissement, car l'outil brevet permet de bien délimiter le rôle, la responsabilité et la part de chacun. De ce point de vue, c'est un vecteur d'égalité entre les acteurs.
Autre exemple : le brevet permet de définir dans certains secteurs des standards que le marché ne parvient pas imposer, au détriment de l'essor technologique du secteur concerné. Cela a été le cas du magnétoscope il y a quelques années, ou, plus récemment, des nouvelles technologies de télécommunications. On parvient ainsi à développer des filières créatrices de valeur pour l'ensemble de l'économie. Sans ce juge de paix doté de toutes les institutions nécessaires, on pourrait tomber dans la loi de la jungle où le plus fort l'emporterait toujours.

Pour le plan des marques, quels sont les exemples ?

Benoît Battistelli : Précisément, les marques sont le domaine dans lequel on est allé le plus loin en matière de valorisation. Les palmarès publiés chaque année par des sociétés d'études sur la valeur des marques représentent au demeurant des sommes gigantesques. Aucun autre actif immatériel ne dispose d'une valeur aussi bien déterminée par le marché, donc par des facteurs extérieurs à l'entreprise. On parvient à une sorte de cotation admise, pouvant assez facilement servir de référence.

La propriété industrielle, bras armé de l'économie de l' immatériel

La propriété industrielle n'a-t-elle pas un caractère d'abord défensif ?

Benoît Battistelli : Elle n'est a priori ni offensive ni défensive.Tout dépend de l'usage qu'on en fait, et c'est sa grande force, puisque l'outil s'adapte à des situations fort différentes, pour des entreprises grandes ou petites, dans les secteurs industriels comme dans les services. Cette vision défensive provient sans doute d'une perception ancienne, mais les usages offensifs de la propriété industrielle tendent à se développer. Ainsi, en matière de marques, des stratégies très volontaires conduisent à préempter certains domaines, en jouant sur des associations d'idées ou d'imaginaires.
J'ajoute que les bases de données de propriété industrielle sont une inépuisable source d'informations pour les entreprises. En rénovant notre site Internet, nous avons mis à disposition ces informations, et l'on peut accéder ainsi, librement et gratuitement, aux 3,5 millions de brevets français, européen et internationaux déposés depuis 1978. La propriété industrielle devient une source d'information qui contribue à la veille technologique et concurrentielle.

L'INPI dispose d'un "Observatoire de la propriété intellectuelle" et participe à l'Observatoire de l'immatériel. Quelles sont leurs fonctions ?

Benoît Battistelli : Pour aller au-delà de son coeur de métier, qui réside dans la délivrance de titres de propriété industrielle, l'INPI se modernise et passe progressivement d'une culture de procédures à une culture de services. Cela commence par la sensibilisation et l'information. Nous nous devions d'aller plus loin, pour montrer les succès que la propriété industrielle génère mais qui peuvent parfois être contestés, ce qui est tout à fait naturel dans une société ouverte et démocratique. C'est pour cela que nous avons créé l'Observatoire de la propriété intellectuelle, afin de contribuer au débat public en partageant les éléments en notre possession, de façon autonome : analyses, statistiques, etc. L'Observatoire travaille avec un comité scientifique constitué d'autorités reconnues en la matière.

Par ailleurs, l'INPI s'est associé à des acteurs privés pour monter l'Observatoire de l'immatériel. Il s'agit d'une initiative qui vise à comprendre les différences entre la valeur comptable des entreprises et leur capitalisation boursière. Nous avons bâti un référentiel selon huit thématiques(1), par rapport auquel les entreprises sont invitées à s'étalonner, afin de mieux intégrer la dimension immatérielle dans leur gestion. C'est une grande première, au niveau européen voire mondial. Dix-huit mois après le lancement, les premières réactions sont très positives.

Nous avons bâti un référentiel selon huit thématiques, par rapport auquel les entreprises sont invitées à s'étalonner, afin de mieux intégrer la dimension immatérielle dans leur gestion. C'est une grande première, au niveau européen voire mondial.

L'immatériel met en jeu diverses fonctions de l'entreprise - marketing, juridique, etc. - qui semblent parfois en conflit à son sujet... Est-ce un moyen de les faire dialoguer ?

Benoît Battistelli : Il est vrai que l'immatériel suscite l'expression de points de vue différents. Pour qu'ils puissent se rencontrer, nous organisons, en partenariat avec HEC et Les Echos, un séminaire annuel, "Les Entretiens de Paris", consacrés à la valorisation de l'immatériel, réunissant le monde de la finance et celui de la propriété industrielle (voir encadré). Ces deux mondes doivent se parler pour comprendre leurs contraintes respectives. A ce titre, il est intéressant d'observer comment évolue, dans les grands groupes, le positionnement du responsable de la propriété industrielle. Nous sommes en train de passer d'un sous-ensemble juridique à une cellule beaucoup plus stratégique, dont la mission est de découvrir quels seront les avantages concurrentiels de l'entreprise dans les années à venir.

La propriété industrielle, bras armé de l'économie de l' immatériel
Les Entretiens de Paris

Les 15 et 16 mai 2008 se dérouleront deux journées consacrées à la propriété industrielle, organisées par Les Echos Conférences, HEC Paris et l'INPI. Au programme :
• Business forums : quels sont les enjeux ?
• Les enjeux de la propriété industrielle dans les partenariats de recherche ;
• Comment créer de la valeur à partir de la propriété industrielle ?
• L'open innovation ;
• Propriété industrielle et partenariats d'entreprises ;
• Le design, partenariat entre créateur et industriel...
Renseignements : 01 49 53 67 47.

On parle souvent des difficultés d'accès à la propriété industrielle pour les PME. Est-ce une réalité ?

Benoît Battistelli : Sur cette question, il faut distinguer brevets et marques. Pour les marques, les PME françaises sont très actives et nous faisons partie des champions mondiaux en nombre de marques par habitant ou par entreprise. En 2007, 74 411 marques ont été déposées. Si on y ajoute les 30 000 renouvellements réalisés chaque année, on dépasse 100 000 nouvelles marques. Certes, les déposants ont la responsabilité de veiller à leur marque, cela a un coût, mais il est faible au regard du gain potentiel.

S'agissant des brevets, si les grands groupes maîtrisent bien leur politique de dépôt, les PME ont des progrès à accomplir. Notre action, depuis plusieurs années, consiste à faciliter leur accès au brevet, en les informant, en simplifiant la procédure et en diminuant le coût. Elles bénéficient désormais de tarifs de dépôt réduits et, depuis le 1er avril, nous mettons en application la décision du gouvernement de fixer cette réduction à 50 % au lieu de 25 % et de l'étendre aux entreprises jusqu'à 1 000 salariés.

Sur le plan international, où se situe la France en propriété industrielle ?

B. B. : Nous sommes à la cinquième place mondiale pour les brevets internationaux.Pour la sixième économie du monde, c'est plutôt une bonne performance.En Europe,nous sommes les deuxième concernant les dépôts de brevets à l'OEB (Office européen des brevets), derrière l'Allemagne mais devant le Royaume-Uni et l'Italie... Traditionnellement, la France jouit d'une influence forte dans la propriété industrielle, dont beaucoup des thèmes et des concepts ont été élaborés par des Français.

Par ailleurs, nous sommes considérés comme l'un des acteurs majeurs de la lutte contre la contrefaçon. La France participe aux organisations internationales comme l'Organisation mondiale du commerce, et l'INPI a développé des accords de coopération technique depuis une vingtaine d'années avec la Chine en matière de propriété industrielle.Nous avons contribué à former des experts, des juges ou des douaniers chinois. Nous avons établi d'autres coopérations bilatérales, notamment avec le Maroc, la Tunisie, l'Algérie, les Etats-Unis, la Roumanie, la Bulgarie, la République tchèque, la Pologne...

La propriété industrielle, bras armé de l'économie de l' immatériel

La propriété industrielle serait-elle l'un des premier domaines à avoir intégré la mondialisation ?

Benoît Battistelli : Un standard international est en train d'émerger, même si nous sommes encore loin de l'idéal que serait un brevet mondial, fonctionnant partout suivant les mêmes règles et permettant aux entreprises de n'effectuer qu'une seule démarche. Toutefois, un certain nombre d'éléments communs se sont développés pour faciliter la vie des entreprises. Nous travaillons au niveau européen et mondial à cette harmonisation.Par exemple,nos critères de brevetabilité ne sont pas exactement les mêmes que ceux des Etats-Unis. Nous avons retenu en France le principe du first to file, où le dépôt suffit à déterminer l'inventeur, tandis qu'aux Etats- Unis le first to invent oblige à vérifier que le déposant est bien l'inventeur. C'est encore une source de complication, voire de contentieux.

L'économie immatérielle est-elle un sujet consensuel au niveau international ?

Benoît Battistelli : Il reste des distinctions importantes mais l'on avance vers une compréhension commune. Il y a quelques années, quand on parlait de contrefaçon dans les enceintes internationales, les pays en développement le prenaient pour une provocation, y voyant une atteinte à leurs efforts d'industrialisation et suspectant les pays industrialisés de s'en protéger par ce biais. Désormais, les Nations unies parviennent à organiser des programmes anticontrefaçons et l'on ne peut que soutenir les efforts de la Chine, du Mexique, de l'Inde ou du Brésil pour se doter d'un office de propriété industrielle efficace. C'est le signe qu'ils ont compris l'avantage qu'ils pouvaient en retirer.

Nous sommes à la cinquième place mondiale pour les brevets internationaux et en Europe, les deuxièmes concernant les dépôts de brevets à l'OEB (Office européen des brevets), derrière l'Allemagne mais devant le Royaume-Uni et l'Italie...

Notes

(1) Direction financière, direction des achats, direction marketing, direction des systèmes d'information, direction de l'organisation, direction des ressources humaines, direction commerciale et direction R&D, scientifique et technique.
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