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Revue des marques : numéro 62 - Avril 2008
 

Des marques produits aux marques missions

La révolution verte est une opportunité extraordinaire pour les marques. L'occasion de mieux connaître leurs clients, de mieux maîtriser leur image et leurs produits, et...d'augmenter leur rentabilité. Mais ces avantages ne seront accessibles qu'aux marques qui auront su évoluer.

Propos recueillis par Cyril DE CHARENTENAY*.


Des marques -produits aux marques -missions
Boire un soft, manger une barre chocolatée ou un yaourt ne dure que quelques minutes.Comme la plupart de nos actes de consommation. Mais pour que ces instants existent, il a fallu des centaines voire des millions d'années en amont, le temps de constituer puis de produire ces objets. Parfois, plusieurs milliers d'années suivront pour "éliminer" les déchets issus de ces moments de consommation (cf schéma page 20).

Nous ne connaissons que ce modèle. Pourtant, il est en voie d'extinction. D'abord, nous ne sommes plus les seuls à puiser dans la réserve mondiale de matières premières, comme l'attestent les pays émergents. Fin 2007, la Chine est devenue le plus grand émetteur de gaz à effet de serre. Ensuite, les consommateurs ont pris conscience de l'impact de nos modes de vie et n'en acceptent plus les effets : 93 % des personnes interrogées en 2007 déclarent être prêtes à "réaliser des efforts quotidiens en faveur de l'environnement". Ils n'étaient que 20 %, dix ans avant. Responsabilisés, les consommateurs sont prêts à faire de "petits gestes" pour l'écologie et considèrent que "consommer, c'est voter". En écho, les politiques de tous bords se sont vus contraints de prendre position sur le sujet (Pacte écologique).Otant leur raison d'être, et leurs suffrages, aux partis écologistes.
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Schéma Eco concevoir

Quand l'écologie se fait tendance inéluctable

Quelles conséquences pour les marques ? Elles sont les premières touchées.Quand le rapport à la consommation change, elles doivent inévitablement s'adapter. "Sauvez-nous de nousmêmes !", leur demandent les consommateurs. Ils ne veulent plus participer à la destruction du monde. Or, sur les 16,4 tonnes de CO2 directement rejetées chaque année par un ménage français, 52% sont dues à la mise à disposition des biens qu'ils ont consommés. Un chiffre qui vient bien avant les 26 % qui tiennent à leurs déplacements. Il ne s'agit pas, pour les marques, de répondre à la culpabilisation que certains groupes font peser sur elles, mais de reprendre la main. Pour contrôler ce changement plutôt que de le subir.

L'écoconception, un premier pas

Première riposte : apprendre à écoconcevoir. C'est-à-dire à regarder, d'emblée, le futur déchet qui se cache derrière chaque nouveau produit. Tout bien de consommation, tout emballage,doit être envisagé dans l'intégralité de son cycle de vie. Jusqu'ici, nous pensions la production comme une ligne, allant de la fabrication à la consommation. Elle doit en fait être envisagée comme un cercle où les matières premières sont majoritairement issues de la valorisation des déchets.
Loin d'être une nouvelle contrainte, changer de regard est une opportunité inédite. Pour réduire les coûts de production : une fois revenu à l'usine, l'appareil photo jetable de Kodak est démonté et 85 % des pièces sont réutilisées par la marque. Pour améliorer l'image de la marque : Pantagonia, une des premières marques à fonder sa légitimité sur une démarche écologique, propose de suivre la "chronique de son empreinte écologique"...
Pour conserver une avance technologique et marketing vis à- vis des pays émergents, à l'image d'un L'Oréal ou d'un Danone, qui ont acquis respectivement Sanoflore et Stonifield : ces filiales biologiques, leur légitimité et leur savoir-faire leur ont fait gagner plusieurs années face à leurs concurrents européens.

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L'écoconception, un outil de développement durable

Une alliance en or de cinq grammes a un poids écologique de deux tonnes ! Un jour, les consommateurs compareront qualité, prix et empreinte écologique. Ecoconcevoir, c'est aussi chercher à réduire l'impact écologique de la production. Et savoir le calculer. Les lois n'ont pas encore harmonisé les outils mais l'ACV (analyse du cycle de vie) et le MIPS ("sac à dos écologique") sont déjà communément utilisés.
Ces calculs sont une chance pour les pays industrialisés de longue date. En France,nous avons une parfaite connaissance du cycle de vie de nos produits. Depuis les années 1960, la traçabilité n'a cessé de se perfectionner. La distribution et la production ont été réorganisées. On connaît l'origine de chaque composant de n'importe quel produit.C'est un avantage décisif pour produire des objets avec le moins d'impact écologique possible. Bien sûr, cela n'empêchera pas la Chine de se battre – elle produit déjà un cinquième du plastique biologique mondial –, mais cela donne à nos marques un peu d'avance.

Notre avenir : la dématérialisation

Plus radicale que l'écoconception, la "dématérialisation" est déjà adoptée par plusieurs marques. Ce terme, trop utilisé, désigne deux acceptions très différentes. En passant de la vidéo au DivX (digital video express) et à la vidéo à la demande, on a appris à se passer des disques, des cassettes et des emballages qui vont avec : c'est la numérisation. Les marques peuvent profiter de ces nouvelles techniques. Mais elles doivent se pencher sur une autre dématérialisation : le passage de la marque produit à la marque usage. C'est en mutualisant l'usage de leur production que les marques pourront l'optimiser au mieux. Ainsi, le Velib' a fait passer les Parisiens de l'achat d'un vélo à l'achat de son usage. De même, l'Encyclopédia Britannica est devenue une entreprise de services. D'éditeur de lourds albums, elle s'est muée progressivement en éditeur de contenu en ligne qui vit de la publicité. Adieu papiers, encres et dispositif de distribution, l'encyclopédie gère désormais uniquement ses auteurs, l'editing, son accès et l'hébergement de ses données. Pour conserver sa place, sa notoriété et sa marque, elle a dû changer de métier, se séparer de techniciens de l'impression pour embaucher des experts du référencement en ligne et de la recherche de budgets publicitaires...

Une seule chose a permis à l' Encyclopédia Britannica de pratiquer une telle rupture sans perdre une once de sa notoriété. Elle avait su définir sa mission : donner accès au savoir. L'entreprise peut ensuite user de tous les moyens pour atteindre son but. Envisage-t-elle de lancer un magazine ? Des cours du soir ? Des sites de chercheurs ? Tout ce qui est cohérent avec sa mission peut être imaginé. De même, en vendant du confort plutôt que des canapés, de la mobilité plutôt que des voitures,les marques pourront dématérialiser leur offre tout en conservant leur place.

La dématérialisation, une opportunité pour les marques

Ni l'écologie ni la dématérialisation ne sont des menaces pour les marques. Elles les incitent, au contraire, à éclaircir leurs "missions", et à proposer des "services" qui participent de la réalisation de cette mission. De ce travail, les marques tireront trois avantages :
L'innovation. Dématérialiser, c'est créer de nouveaux produits, usages et services à forte valeur ajoutée.Avec des innovations qui répondent aux exigences écologiques des consommateurs, mais sont aussi perçues comme véritablement novatrices, contrairement à la plupart des lancements actuels de produits. On ne porte pas le même regard sur une nouvelle forme de biscuits et sur Vélib' !
La maîtrise de l'image. En dématérialisant, la marque est mieux placée pour gérer l'impact écologique de sa production. Si Ikea propose une location longue durée de canapé avec option d'achat, Ikea reste en lien avec son produit. Maître du support de sa marque, il peut organiser le recyclage des matériaux ou la réutilisation des canapés. Cela lui permet aussi de rester en contact permanent avec son consommateur, qui devient un usager de la marque.
Un CRM optimisé. L'usage n'est pas une relation ponctuelle, contrairement à l'acte d'achat. C'est une relation suivie. Qui procure des informations réelles, bien plus précieuses qu'une étude. Cette relation de partenariat permet aussi d'éviter aux marques un autre piège : les excès du marketing participatif. A trop vouloir faire intervenir le consommateur, à trop donner d'importance à son avis, on peut arriver au pire des résultats. L'affaire Hasbro l'a prouvé. Cas d'école, il entrera sans doute dans les manuels de marketing. Pour le lancement du Monopoly des régions, Hasbro a proposé aux internautes d'élire les villes. La ville de Moncuq s'est prise de passion pour cette joute, au point de s'octroyer dans la hiérarchie la place de la "rue de la Paix". Coincé, Hasbro a renoncé à suivre le choix des internautes. Son image de marque en a largement pâti sur la Toile.

Une marque-mission, une marque qui fait une promesse claire à ses "usagers", doit développer un nouveau rapport au temps. Plus question, comme aujourd'hui, de gérer la marque par à-coups. Il est impératif que les stratégies de communication, incluant le design, soient pensées à long terme. De ce point de vue, le Design Management® a de l'avenir. Pilotage de la stratégie stylistique à moyen terme, cette méthode permet de ne mener que des actions aux conséquences pesées. Elle considère que même si les directeurs de marketing ne font que passer, les marques méritent d'être gérées dans la continuité.

Notes

(1*) directeur général de Nude, agence de "design management".
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