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revue des marques numéro 61 - janvier 2008
 

Publicité et développement durable : Un "drame" français en 5 actes

Nous sommes entrés dans l'ère de la communication responsable. Depuis un an, le monde de la publicité s'implique dans le développement durable. Attaqués par les ONG, annonceurs et publicitaires répondent par des chartes, codes, conseils des parties prenantes...

Par Alain Chauveau*


1er acte : l'Alliance pour la planète(1)

Alain Chauveau
Alain Chauveau

déclenche en décembre 2006 les hostilités pendant l'élection présidentielle en lançant la campagne "La publicité peut nuire gravement à l'environnement". Elle dénonce sur son site internet2 une trentaine de publicités utilisant abusivement, selon elle, l'argument écologique. Puis, profitant de la caisse de résonance de la campagne électorale, l'ONG fait une série de propositions dans le cadre de son atelier "Publicité et environnement" qu'elle soumet aux principaux candidats du premier tour. Dans cette nouvelle campagne, les principales propositions de l'Alliance pour la planète étaient de mettre fin à l'usage infondé de l'argument écologique dans les publicités, obtenir une limitation et un encadrement des publicités pour les produits les plus polluants ou les plus énergivores, obtenir une réforme en profondeur du système de contrôle des publicités. Enfin, obtenir la mise en place d'un organisme public indépendant doté de l'autorité et des moyens nécessaires pour sanctionner les dérives de la publicité, notamment en matière d'environnement.

2e acte : "La réponse du berger à la bergère"

En réponse, le BVP, associé à l'Ademe (Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie) publiait un rapport La publicité est-elle respectueuse du développement durable ?, sur l'application de sa recommandation en faveur du développement durable,à l'occasion de son Forum Pub et Cité du 14 juin... Le BVP et l'Ademe ont analysé les 181 publicités (presse, télévision et affichage) ayant trait de près ou de loin à la question écologique parmi plus de 15 000 messages publicitaires diffusés lors du second semestre 2006. De cette étude, il ressort que : 116 respectent les règles en vigueur, 54 ont fait l'objet d'un classement en "réserve", parce que certaines règles n'étaient pas respectées, sans pour autant porter préjudice à la protection de l'environnement ni au consommateur, 11 ont fait l'objet d'un classement en "manquement", pour non-respect flagrant et sérieux des règles en vigueur.

3e acte : le Grenelle de l'environnement ou la guerre de tranchées...

Les débats du groupe n°6 du Grenelle de l'environnement, "Promouvoir des modes de développement écologiques favorables à la compétitivité et à l'emploi",semblent,d'après les échos recueillis auprès des participants, s'être beaucoup focalisés sur la publicité responsable... Cette focalisation sur la publicité n'est pas aussi inattendue qu'il y paraît, tant elle symbolise un débat de société qui monte entre, d'une part, les partisans d'une décroissance soutenable et, d'autre part, les promoteurs d'un développement durable.

Pour les premiers, la publicité doit être a minima encadrée, sinon purement et simplement combattue (c'est-à-dire interdite pour certains produits), car elle participerait de la surconsommation actuelle. Pour les seconds, la publicité, qui joue un rôle majeur dans l'économie et dans la démocratie en finançant les médias, peut et doit devenir "responsable". Un débat qui tend à devenir classique entre partisans d'une décroissance soutenable – voire "heureuse" – et partisans d'un développement durable.

Dans le rapport final de ce groupe 6, le programme n°3, "Promouvoir une publicité responsable", on voit clairement les autres lignes de fracture, elles aussi très classiques, entre ONG d'une part et annonceurs d'autre part. Ainsi, "s'il y a consensus au sein du groupe sur le principe d'une participation des associations environnementales et des consommateurs aux travaux du BVP, les associations considèrent qu'il serait pertinent de passer à une logique de corégulation permettant d'associer plusieurs parties prenantes et constituantes à un BVP élargi (qui pourrait alors être renommé Conseil supérieur de la publicité) en créant au sein du BVP un quatrième collège, "ONG et associations de consommateurs", et en donnant à cette structure un rôle quasi réglementaire... alors que le Medef considère qu'il serait pertinent de passer à une logique associant les différentes parties prenantes à l'évolution et à la mise en oeuvre d'un code de bonne conduite via la constitution d'un conseil des parties prenantes du développement durable adossé au BVP et ouvert au collège des ONG et associations de consommateurs".

On retrouve ainsi le débat bien connu dans le développement durable et la responsabilité sociétale des entreprises entre, d'une part, les partisans de la régulation et, d'autre part, les partisans de l'initiative volontaire. Pour le moment, ces lignes de fracture ont été habilement contournées dans le document récapitulatif.

La focalisation sur la publicité symbolise un débat de société qui monte entre, d'une part, les partisans d'une décroissance soutenable et, d'autre part, les promoteurs d'un développement durable.

4e acte : les annonceurs reprennent la main

Au vu de ces trois premiers actes, on pourrait avoir l'impression que la publicité responsable est surtout une affaire entre les ONG,le BVP,les agences et éventuellement le gouvernement. On pourrait donc se demander :"mais que font les annonceurs"? A ceux qui se poseraient, légitimement, cette question, rappelons que l'UDA (Union des annonceurs) a ouvert le chantier "Développement durable et communication"dès la fin 2001 et a mené depuis de nombreux travaux sur le sujet : sensibilisation des annonceurs, information, formation, élaboration de règles déontologiques, tenue de trois "sessions-dialogues" entre annonceurs et parties prenantes, publication des synthèses de ces rencontres,création de l'éco-organisme EcoFolio,etc.Par ailleurs, l'UDA a décidé, début 2007, de mener, en collaboration avec l'agence Ethicity, une étude sur l'intégration du développement durable dans la communication des entreprises3. Le constat est que si la communication responsable est un champ d'engagement réel pour les entreprises, elle est encore peu formalisée.

5e acte : les publicitaires balayent devant leur porte

Dernier acte, le collectif Adwiser4 présentait le 6 décembre dernier son rapport, Vers une communication responsable, sous-titré Just do it another way – Pourquoi et comment le secteur de la communication doit s'engager dans le développement durable ? Le constat d'Adwiser est sévère : la communication est un secteur en retard dans la mise en oeuvre du développement durable.Ainsi,dans la plupart des agences,les actions mises en oeuvre se limitent aux écogestes et le reporting est quasi inexistant.

De récentes initiatives sont à saluer,mais elles restent isolées, comme la création de postes dédiés au développement durable (Havas Media France, Jump,Draft FCB...), le développement de l'outil Ecopublicité,qui permettra de mesurer l'impact environnemental d'une campagne, la dynamique soutenue par les associations professionnelles comme l'implication des professionnels de l'événement avec le soutien de l'Ademe (guide l'Eco-événement), ou la création en 2006 d'une commission développement durable au sein de l'AACC (Association des agences conseils en communication). Selon Adwiser, plusieurs raisons culturelles ou techniques expliquent le retard des agences en matière de développement durable et de communication responsable.

1. La position intermédiaire de l'agence (entre la marque et le public) qui peut laisser supposer une responsabilité restreinte.
2. L'appartenance au secteur des services, souvent perçu comme moins générateur d'impacts négatifs sur l'environnement comparé à l'industrie.
3. La pratique du "pro bono" : les agences de publicité ont depuis longtemps mis leur talent au service de grandes causes ou d'actions d'intérêt général.Cette pratique philanthropique et bénévole peut donner le sentiment de "faire déjà du développement durable" alors qu'elle n'implique pas une vraie prise en compte de l'environnement et du social dans le fonctionnement de l'agence.
4. La pression souvent faible de la part des annonceurs, qui n'expriment pas de demande forte auprès des agences en ce qui concerne le développement durable. En effet,les directions marketing et communication sont souvent elles-mêmes en retard sur le sujet.
5. Des pressions réelles mais faibles et dispersées de la société civile.
6.Le principe d'autorégulation du secteur publicitaire (soit l'absence de contrôle extérieur).
7. D'autres raisons sont clairement culturelles : les collaborateurs des agences sont souvent issus de formations prônant une conception du commerce et de la publicité peu compatible avec les valeurs du développement durable.

Rendre désirable ce qui est durable : le nouveau défi de la publicité responsable ?

Arrivant au terme de cette dramaturgie publicitaire française, on pourrait se demander : "mais qu'est-ce qu'une publicité responsable ?" On peut constater que la publicité est désormais confrontée aux grands enjeux sociétaux. L'environnement, le développement durable, en font partie, bien sûr, au premier chef. Mais les problèmes de santé (alcool, tabac, et maintenant obésité), nous font entrer dans l'ère de la publicité régulée par des publicités comportant des messages sanitaires ou d'intérêt général. Il faut faire confiance à la créativité des publicitaires, pour qu'à l'instar des entreprises qui appréhendent aujourd'hui la responsabilité sociétale non plus comme une contrainte mais comme une opportunité, ils profitent de ces nouvelles régulations pour trouver de nouveaux modes d'expression qui donnent au consommateur une image plus positive de la publicité.

Mais la question clé pour la communication aujourd'hui, comme le soulignait Stéphane Pocrain, vice-président de Draft FCB dans une interview récente donnée à la Lettre de l'ORSE5, est bien "comment rendre désirable ce qui est durable ?
"Déjà, pour le sommet mondial du développement durable de Johannesburg en 2002, le PNUE avait lancé des rapports sur le secteur de la publicité, dont un avec l'agence McCann-Ericksonn Worldwide intitulé Can sustainability sell ? "Le développement durable peut-il faire vendre ?" et un autre sur la promotion des modes de vie et des produits soutenables par le marketing et la publicité, avec l'agence Utopies, qui posait, entre autres, la question :"est-ce qu'une entreprise peut inciter à consommer moins ?
"Ces questions sont plus que jamais sur la table à l'heure où les entreprises, les marques, s'apprêtent à sortir de plus en plus de produits "verts", "durables". En effet, le problème ne sera pas tant de savoir si les publicités pour vendre ces produits sont "limite greenwashing"que de savoir si ces publicités donnent envie aux consommateurs de les acheter... pour le plus grand bien de la planète !

Notes

(*)Journaliste, auteur et consultant spécialiste du développement durable et de la responsabilité sociale des entreprises (sites internet : www.familledurable.comwww.lentrepriseresponsable-lelivre.com)
1- collectif de quatre-vingts mouvements, associations et ONG environnementales
2 - www.lalliance.fr
3 - Entreprises du CAC 40 + entreprises adhérentes de l'UDA. Cette étude s'est fondée sur l'analyse des rapports de développement durable et des sites internet de 110 entreprises, ainsi que sur des questionnaires envoyés aux entreprises concernées.
4 - AdWiser rassemble des experts et pionniers du développement durable et de la communication (http://blog-adwiser.blogspot.com).
5 - N° 73/août 2007/www.orse.org.
(*) présentée le 4 décembre 2007

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