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Revue des Marques - numéro 55 - Juillet 2006
 

Bien manger pour mieux vivre

Seules peuvent être efficaces à long terme la prise de conscience des acteurs et des consommateurs. Le progrès ne viendra que de la somme des engagements individuels volontaires, et non de l'imprégnation répétitive imposée par l'Etat aux individus.

Entretien avec Jean-Paul Laplace, directeur de recherche honoraire à l'Inra et président de l'Institut français pour la nutrition (IFN). Propos recueillis par Jean WATIN-AUGOUARD.


Bien manger pour mieux vivre

L'IFN a organisé en septembre 2005 un colloque sur le thème “L'économie fait-elle la loi dans nos assiettes ?”. Les interventions ont souligné le rôle important mais sous-estimé des mécanismes économiques dont le prix qui pèsent sur nos choix alimentaires.

Jean-Paul Laplace : Les relations entre l'alimentation et la santé sont très présentes dans tous les discours depuis quelques années. Mais j'ai voulu ce Colloque parce que, étrangement, alors que le prix est le premier déterminant d'achat, tous les discours se complaisent dans l'analyse de facteurs d'ordre médical, sociologique, biologique, hédonique ou philosophique. L'IFN a donc souhaité faire prendre ouvertement conscience de l'impact de l'économie, expliquer en termes simples les mécanismes de formation des prix, et mettre en lumière combien le prix des denrées alimentaires pèse sur les choix alimentaires, avant même que nous ne nous posions la question de l'équilibre de notre alimentation. Au delà de la “leçon de choses” sur les mécanismes économiques, ce colloque a révélé crûment les liens entre paupérisation et précarité d'une part, alimentation et santé d'autre part. Il a aussi mis en lumière la difficulté de concilier économie et équilibre nutritionnel global de l'alimentation.

Quand deux millions de Français ne peuvent, selon les estimations, se nourrir de manière équilibrée et que cinq millions font face à des contraintes alimentaires, dues à leur faible pouvoir d'achat, doit-on en conclure que “classes pauvres, classes obèses” ?

J.P.L. : Dit en peu de mots, tel est bien le sens du constat, à l'échelle de populations et non d'un individu, de la superposition de la carte de la pauvreté et de la carte de la prévalence de l'obésité. Certes, cette conjonction ne vaut pas démonstration de causalité, et encore moins de causalité exclusive. Le constat n'a que la valeur relative d'une étude épidémiologique (il ne saurait y avoir une étude d'intervention en cette matière), et sans doute plusieurs facteurs non indépendants se conjuguent avec la pauvreté : culture, notamment pour des populations migrantes, ou déplacées ; éducation générale insuffisante (sans aller jusqu'à parler d'éducation alimentaire), aptitude des individus à l'autonomie et attitudes mentales…

Mais, quel que soit notre degré de compréhension et de compassion, il subsiste un fait intangible, directement lié à la quantité de monnaie dont l'individu dispose pour se nourrir, et au prix des produits disponibles. Pour satisfaire sa faim une personne désargentée choisira par nécessité des calories à bas prix. Or, au cours des vingt dernières années, l'écart des prix entre catégories d'aliments s'est creusé : dans l'exemple américain, les prix des fruits et légumes frais ont augmenté de 140 % alors que les prix du sucre et des graisses ajoutées n'ont augmenté que de 20 à 30 %. Pour notre pays, d'après le prix de vente des 895 aliments recensés dans la base d'aliments de l'étude INCA, le coût énergétique du sucre ou de l'huile est de l'ordre de 0,1 euro pour 1 000 kcal. Les conditions sont donc réunies pour conduire, de façon quasi inéluctable, les personnes désargentées vers la surconsommation énergétique.

L'IFN a souhaité mettre en lumière combien le prix des denrées alimentaires pèse sur les choix alimentaires, avant même que nous ne nous posions la question de l'équilibre de notre alimentation.
Bien manger pour mieux vivre     Bien manger pour mieux vivre

Quelles sont, selon vous les causes de l'obésité ?

J.P.L. : A cette question, il est commun de répondre, par confusion de langage, que l'obésité est multifactorielle. En réalité la cause est unique : l'obésité est la manifestation d'une accumulation excessive de graisse corporelle. Cette accumulation est la conséquence d'un déséquilibre métabolique <entrées / sorties> c'est-à-dire schématiquement entre l'ingestion d'aliments énergétiques et les dépenses corporelles liées au fonctionnement de l'organisme et à l'activité physique. Mais de nombreux facteurs peuvent être en cause dans la genèse du déséquilibre, et il est outrageusement simpliste de considérer que l'accumulation de graisse découle du trop manger et/ou d'une insuffisante activité. Les facteurs de déséquilibre peuvent être d'ordre génétique, physiologique, psychologique, environnemental. L'obésité s'écrit comme une équation d'analyse de variance dont plusieurs des facteurs seraient mal quantifiés voire identifiés, et dont nous ne mesurons pas très précisément toutes les inter-actions entre facteurs.

Comment éviter de diaboliser les acteurs économiques, en particulier l'industrie agro-alimentaire et la publicité (cf récent décret sur les messages sanitaires) ?

J.P.L. . : Bien évidemment, devant une épidémie, on cherche à identifier l'agent pathogène et à le neutraliser ! Dans le cas de l'épidémie d'obésité, la complexité des mécanismes en présence derrière l'apparente simplicité de la cause (excédent apports > dépenses), et l'inefficacité avérée à long terme de la plupart des recettes utilisées au cours des dernières décennies, incitent à désigner un bouc émissaire simple : l'aliment et ceux qui le fabriquent. Cela ne résout pas les problèmes, et même les aggrave en instillant le doute et l'angoisse dans l'esprit des consommateurs. Dans ce mauvais débat, nous avons assisté à une crispation des acteurs, ouvrant à bien des excès. La préparation de la loi de santé publique à l'été 2004 a été révélatrice à cet égard. Elle a diabolisé là où il aurait fallu rétablir le bon sens chez tous les protagonistes. Sans doute serait-il temps que cessent les attaques trop fréquentes et souvent excessives ou infondées contre l'industrie car elles ont indiscutablement induit des réactions de défense inappropriées d'un certain nombre d'acteurs économiques. Ainsi, contrainte par le marché de satisfaire la demande des consommateurs, l'industrie est parfois amenée à aller trop loin. Tel est bien le cas des aliments allégés à l'extrême (en sucre et en matières grasses), sacrifiant au dogme d'une chasse à la calorie qui après trente ans et des millions de dollars de campagnes n'a pas empêché l'Amérique de devenir obèse.

Comment réapprendre le bon usage des aliments ? Les campagnes d'information sont-elles pertinentes ?

J.P.L. : Oui, là est bien la difficulté ! Retrouver le bon usage des aliments dans un monde déboussolé qui a perdu ses repères et ses savoirs ancestraux. Les campagnes d'information peuvent délivrer de l'information pertinente. Le problème est de retrouver la curiosité de découvrir, l'envie de connaître, la volonté de s'approprier un savoir ancestral. Il faut redécouvrir le plaisir des yeux, du nez, de la bouche, les joies de la convivialité et de la cuisine par amour du lien créé entre les convives, entre les générations. Apprendre aux enfants l'origine des aliments, comment ils sont produits ou fabriqués, ce qu'ils apportent et comment les utiliser au mieux, est faire œuvre utile pour l'avenir.

Bien manger pour mieux vivre

Existe-t-il des “bons” et des “mauvais” produits ? Les aliments les moins chers sont-ils conformes aux principes nutritionnels ?

J.P.L. . : Bons et mauvais produits ! Quelle question piège. Les nutritionnistes ont coutume de répondre, et ce n'est pas une façon d'éluder la question, qu'il n'existe pas de bons et de mauvais aliments, mais seulement une bonne ou une mauvaise manière de s'alimenter. Le vieil adage “de tout un peu” a ici tout son sens. Mais à l'intérieur d'une catégorie d'aliments, il convient d'être plus nuancé car la qualité recouvre plusieurs notions, et il n'existe guère de produit alimentaire qui ne comporte des constituants dits positifs et d'autres de mauvaise réputation. Concernant les aliments moins chers, ceux qui font l'objet d'offres exceptionnelles et de premiers prix, la généralisation est difficile, et tous les cas de figure se rencontrent : du bon pas cher par opération commerciale, ou du moyen pas cher parce que l'un des partenaires supporte l'opération au détriment de son bénéfice, ou parce que le produit bénéficie d'un dumping social éhonté. Mais il existe aussi des produits pas chers parce qu'ils sont faits d'ingrédients médiocres ; même si leur composition centésimale (protides, lipides, glucides) est analogue, ils peuvent être très différents dans le détail.

Contrainte par le marché de satisfaire la demande des consommateurs, l'industrie est parfois amenée à aller trop loin. Tel est bien le cas des aliments allégés à l'extrême, sacrifiant au dogme d'une chasse à la calorie qui n'a pas empêché l'Amérique de devenir obèse.

Quelles actions les pouvoirs publics doivent-ils engager en matière de nutrition (cf le PNNS et la loi de santé publique du 9 août 2004) ? Les bonnes pratiques doivent-elles être collectives et obligatoires ou volontaires et individuelles ?

J.P.L. . : Je ne crois guère à l'éducation nutritionnelle pour tous, source d'angoisse devant la difficulté d'évaluer ces nutriments cachés. Je crains que les campagnes actuelles ne soient, à moyen terme, contre-productives. Après la virulence du débat autour de la loi de santé publique, son cortège de mesures coercitives (interdiction, taxe), que pouvons-nous attendre du traumatisme lié à l'apposition de messages sanitaires sur nos produits quotidiens ? Je crains qu'après l'apparente adhésion progressive ne vienne une immense réaction de rejet ou une grande désinhibition. Les thèses récemment défendues par le GROS (groupe de recherche sur l'obésité et le surpoids) sont à cet égard fort intéressantes et mériteraient d'être mieux prises en compte pour amender la méthode éducative martelée par le PNNS ! J'observe malheureusement que le catalogue de mesures proposées pour le PNNS 2 fait appel à de vieilles recettes éculées, non évaluées dans leur contexte global : baisse de TVA pour certains produits, réduction de charges sociales pour telle catégorie de producteurs, subvention, taxation, … etc. Nostalgie d'une économie administrée, proposée au nom d'une santé administrée. Rien de tout cela n'est sain, même si les intentions sont éminemment louables.

Quelles sont les actions que préconisent l'IFN ?

J.P.L. : L'IFN, en tant que collectif, pratique le dialogue ouvert sans restriction, la multidisciplinarité et l'interdisciplinarité pour conjuguer sciences biologiques et sciences humaines, pratiquant la nutrition dans sa relation avec la santé mais aussi le commerce, l'industrie, l'agriculture et l'économie en général, la sociologie et la psychologie, faisant appel au besoin à l'histoire, à l'ethnologie et à l'anthropologie. C'est dans cette complexité que nous puisons les éléments des messages que nous portons à travers nos colloques en particulier. Le dialogue, le bon sens et la recherche de cohérence sont nos instruments ; l'évidence scientifique est notre juge de paix. Notre ambition est d'aider les producteurs à faire les meilleurs produits possibles et de les mettre en garde contre des tentations à courte vue ; elle est aussi d'aider les mangeurs à reprendre le contrôle de leur propre alimentation, en toute sérénité, et sans se soucier des trop nombreux conseilleurs qui croient (ou font croire) qu'ils savent. Car c'est bien l'Homme qui doit être au centre de notre approche de l'alimentation. Qui mieux que soi-même est apte à choisir pour soi ce qui convient ! Encore faut-il vouloir se prendre en charge pour être bien dans sa tête et dans son corps.

Bien manger pour mieux vivre
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