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Revue des Marques - numéro 53 - Janvier 2006
 

Le défi des niches

Face aux empires du luxe, se développe une multitude de niches qui innovent et savent faire parler d'elles. Petit tour d'horizon de belles réussites dans des domaines aussi variés que les chaussures ou la gourmandise.

Propos recueillis par Patrick MAISONNEUVE*.


Le défi des niches
“C'est petit mais fashionable” déclarait Marie Louise lorsque après le traité de Fontainebleau, les coalisés lui attribuèrent le duché de Parme. Fille d'empereur, épouse d'empereur, elle aurait pu s'y sentir à l'étroit. Mais elle se rendait compte en femme soucieuse de mode - anglomane comme on l'était alors - que ce duché avait, à défaut de puissance, une qualité qui la flattait : le style. Parme mêlait un néo-classicisme antiquisant à un goût romantique pour l'Italie entre Mme de Staël et Chateaubriand. Exactement là où il fallait être.

Sur le registre des luxes tels qu'ils se déploient et se sophistiquent aujourd'hui les grands groupes sont bien des empires. Les petits : des niches. Le vocabulaire est révélateur : familier, affectif, un peu condescendant. Pour chaque univers de produit les niches sont traditionnellement d'autant plus sympathiques qu'elles ne représentent pas une vraie concurrence de marché. Ce sont des électrons libres qui se jouent des formatages mondialisés et peuvent se permettre des parti-pris tranchés. Mais, tous univers de produits confondus, les niches finissent par devenir un vrai segment, et surtout constituer une dynamique, une tendance. Alors niche ou chenil ? Gentil caniche, jack russel facétieux ou doberman bondissant ? Addition de cas particuliers ou courant de fond qui induirait un glissement de valeurs ?

Que voit-on ? Un certain essoufflement de ce qui s'est cristallisé dans les années 198O/199O. Les grands vaisseaux amiraux se recentrent et ajustent leur puissance de feu. Peu de nouveaux profils à l'horizon qui seraient les Klein, Lauren, Ford, Miyake de demain. En revanche une multitude de niches qui créent, innovent, mettent en avant leur singularité, savent faire parler d'elles. Nul passéïsme dans leurs démarches. Leurs imaginaires sont bien d'aujourd'hui. Certaines sont de belles réussites : les “petits” ont le vent en poupe.
Le défi des niches      Le défi des niches


Le défi des niches
C'est dans l'univers du soin que l'on a vu la plus grande diversité de parti-pris. Ré-appropriation de la nature, ressourcement sensoriel, références à l'idéologie, à une philosophie du corps et du comportement.

Un nouveau vocabulaire stylistique

Pour les chaussures, on ne parle que d'eux : Manolo Blahnik, Jimmy Choo, René Caovilla, Roger Vivier, Christian Louboutin, Pierre Hardy, Michel Vivien, Rodolphe Ménudier, Benoit Méléard. Leurs points communs : de très petites collections, des choix créatifs pointus, un raffinement d'exécution et de détails : une distribution plus que sélective qui exige une mise en scène spécifique dans des boutiques écrins. Ils ne font pas des chaussures mais des souliers. Cendrillon n'est pas loin. Certes leur poids respectif reste limité mais tous ensemble ils ont modifié le vocabulaire stylistique de leur domaine.
La place Vendôme est une place forte. S'y imposer tient du défi. Et pourtant Joël Rosenthal - JAR - ou Lorenz Baümer ont su en peu d'années et surtout sans autre bruit que le silence de leurs ateliers attirer une vraie clientèle de joaillerie de création. Celle qui sait attendre le bijou conçu suivant ses rêves et ses caprices.
Une marque de maquillage de plus c'est une marque de trop. Evidence. Sauf lorsqu'on est Terry de Gunzburg avec derrière soi la réussite des fards Saint Laurent et devant soi une idée : le produit sur mesure. Et l'endroit : le secret d'une boutique-laboratoire dans le balzacien passage Vérot-Dodat qui donne à chaque cliente l'impression d'être “la fille aux yeux d'or”. Fort de cet ancrage le prêt à maquiller a suivi la mesure : petit tour de passe-passe mais où nuance et raffinement restent le credo de la marque. C'est dans l'univers du soin que l'on a vu la plus grande diversité de parti-pris. Ré-appropriation de la nature, ressourcement sensoriel, références à l'idéologie, à une philosophie du corps et du comportement : Nuxe, Caudalie, Aesop, Dr Hauschka, Chantecaille, Odile Lecoin. La micro-niche fait même son apparition : Bastien Gonzalez pédicure star de l'hôtel Costes signe avec “Révérence de Bastien” une luxueuse ligne de produits pour les pieds. Quand on partage sa semaine entre Paris, Londres et New York et que les mannequins les plus prestigieux et les footballeurs les plus fortunés vous confient leurs orteils, on est forcément crédité de compétence et surtout de glamour. La filiation artisanale, la culture de l'herbier ont fondé l'Artisan Parfumeur, Diptyque, Annick Goutal. Acqua di Parma a même réinventé la Cologne ; un basique “fashionable” dirait Marie Louise ? Des visions raffinées, un peu nostalgique du parfum. Mais de nouveaux venus ont redéployé le domaine. Frédéric Malle en “éditeur” de parfums file la métaphore entre Gaston Gallimard et D.H. Kahnweiler : il permet à des “nez” de s'exprimer comme ils l'entendent loin des diktats du marketing. Des “parfums d'auteurs” : un positionnement de franc tireur carrément offensif. Comptoir Sud Pacifique revient au cœur du produit tablant sur l'instinctif, le gourmand et l'exotique. Jo Malone revisite la campagne dans une certaine tradition britannique qui va du “Brideshead” d'Evelyn Waugh à Mick Jagger et Brian Ferry dans leurs châteaux XVIIIe. Un rustique plutôt sophistiqué.

La mode redevient jeu et marivaudage

même tendance se retrouve. C'est dans l'univers du vin, registre de la tradition par excellence, le phénomène des “vins de garage” tel le Château La Mondotte (4,5 hectares) dont le prix rivalise avec les plus grands. Dans la foulée on voit arriver une nouvelle typologie de vignerons tel Hervé Bizeul, ex sommelier très parisien et journaliste œnologue, faire de son petit Clos des Fées en Roussillon un vrai succès en quelques années. Dans la “guerre du macaron”, thématique récurrente des conversations parisiennes, le statut de Pierre Hermé face à Ladurée, Dalloyau, Lenôtre est en partie dû à son positionnement de “petit” se différenciant ainsi de marques à dimension néo-industrielle. Et aussi à son sens de la translation : vendre des macarons comme on vend de la mode. Ses produits, par leur nom, leur présentation, leur environnement sont, pour tout étudiant en marketing, un parfait exercice de sémiotique appliquée.
Par contre-coup des grands prennent peu ou prou des postures de niches. Tel Sergio Rossi faisant appel à Edmundo Castillo. Ou en éditant des séries limitées dans le temps ou restreintes à certains lieux de vente privilégiés. Pour Chanel, c'est la réédition de “Cuir de Russie, Bois des Iles, Gardénia”. Et chaque année la “Star product” du maquillage Chanel est éphémère : produit à savourer ou à collectionner ? La joaillerie Dior créée par Victoire de Castellane est un peu une sorte de niche dans l'empire gris perle de l'avenue Montaigne s'ancrant dans les racines de la griffe et se décalant par le clin d'oeil de “ses bagues à la tirette”.

Le défi des niches
es niches, on en parle. La presse les adore. On ne peut lui reprocher la moindre arrière-pensée mercantile : les niches ne sont pas des annonceurs. La raison est ailleurs. Très simple : les journalistes savent que leurs articles seront lus et appréciés. Le public aime les belles histoires, les destins qui mêlent vocation et personnalisation. Chacune de ces marques a une compétence bien définie, délimitée. Une vraie vocation du produit : une connaissance, une culture mais aussi une vision spécifique, un authentique parti-pris. Et surtout elle est incarnée. C'est la trajectoire d'une personne précise, une femme ou un homme, souvent à la fois créatif, manager et porte parole qui a su monter une affaire à partir d'une idée et encore plus d'une passion. Une trajectoire dans laquelle on se reconnaît d'autant mieux qu'elle implique souvent une même génération. Ces marques de niches sont bien des griffes. Une distinction qui change tout. C'est leur incarnation qui leur donne sens et charisme : le style, le paraphe, la “patte” de leur créateur. Elles sont dans une époque qui doute et a peur d'entreprendre des exemples positifs, volontaristes, presque conjuratoires. Enfin les niches instaurent avec leurs clients une relation de connivence. Elles esquissent des micro-tribus : une marque de niche, il faut savoir la découvrir, s'initier à son univers, s'approprier sa culture, en faire un code subtil de reconnaissance. Un exemple de ce “narcissisme collectif” décrypté par Michel Maffesoli.

Les niches ont de beaux jours devant elles. Elles sont moins un défi qu'une leçon. Une marque c'est toujours une vocation et une relation. A un moment où parfois trop de marketing tue le marketing la leçon des niches est presque une leçon de morale. Une morale du luxe.
Une marque de niche, il faut savoir la découvrir, s'initier à son univers, s'approprier sa culture, en faire un code subtil de reconnaissance.

Notes

(*)*Conseil en stratégie
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