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Revue des Marques - numéro 53 - Janvier 2006
 

Les marques de luxe, quel luxe?

En utilisant à tort le seul mot "luxe" pour couvrir des réalités différentes, on mélange les genres qui ne répondent pourtant pas aux mêmes règles de fonctionnement. Il serait pertinent de distinguer haut de gamme de luxe, luxe prestige et luxe élitiste.

Propos recueillis par Gérard CARON*.



Les marques de luxe, quel luxe?
Commençons par quelques observations qui amènent à se poser les questions de base pour définir le luxe. Posséder une automobile Renault ou Citroën était considéré comme un luxe jusque dans les années 1930 ! Aujourd'hui la voiture étant devenue un produit de première nécessité pour la majorité de la population européenne, ces marques ne sont plus des marques de luxe. Mais pour autant il existe bien des automobiles de luxe telles qu'Aston Martin, Bentley ou autres Morgan. L'accession au rêve est, ici, à plusieurs centaines de milliers d'euros. Le luxe serait–il question de prix ?

Il y a peu, faire figurer le foie gras à son menu était considéré comme un luxe, de même que le saumon fumé, le champagne ! Même si ces mets ne sont pas à la portée de tout un chacun, aujourd'hui, ils ne peuvent plus être considérés comme des produits de luxe. En revanche, le caviar, beaucoup plus exceptionnel, reste lui, un produit de luxe. Le luxe serait–il question de rareté ?

Quand Pierre Cardin haute-couture signait ses robes fabriquées dans des ateliers parisiens, nous étions incontestablement dans le domaine du luxe. Aujourd'hui, alors que l'on trouve sa griffe sur des stylos en plastique, des kits publicitaires fabriqués dans des pays à bas coûts, cette marque ne fait plus rêver. La course aux licences, dans les années 1980 et 1990, a failli tuer plus d'une marque de couturier. Le luxe serait-il une question d'authentification d'un savoir-faire particulier ?

Rappelez-vous que, dans les années 1990, porter un sac Vuitton à Paris était définitivement considéré comme bourgeois, ringard. Définitivement ? Alors pourquoi est-il du dernier chic aujourd'hui, de s'exhiber avec ce même sac… revu par des créateurs et designers de renom ? Le luxe serait-il question de mode et de tendance ? Ces exemples attestent que la notion de luxe est multiple et que le seul mot "luxe" ne peut rendre compte des réalités différentes.


La démocratisation du luxe, un leurre

Le sociologue américain Maslow classe les besoins humains en une pyramide bien connue, de cinq catégories en face desquelles on peut mettre les types de produits ou de marques correspondants ; du produit de première nécessité au produit le plus exceptionnel. Prenons le problème à l'envers et partons des besoins de l'homme transformé ici en consommateur.

• les besoins physiologiques - la base de la pyramide - auxquels répondent les produits de nécessité, le vrac sans marque et sans valeur ajoutée particulière,

• les besoins de sécurité qui nous font rechercher les produits garantis par des marques,

• les besoins d'appartenance qui font le succès des marques associées aux styles de vie (Nike, Prada, etc) ou au haut de gamme dans leurs catégories. Ce sont des marques d'accession aux niveaux supérieurs,

• les besoins de reconnaissance qui correspondent aux produits et marques de prestige, ceux qui nous font rêver et qui valorisent son possesseur aux yeux de tous,

• les besoins de réalisation de soi qui font appel aux produits rares, exceptionnels connus de quelques happy few, qui ne valorisent leur heureux propriétaires qu'auprès… d'eux-mêmes ou d'un cercle d'initiés restreint. Cette échelle sociologique est fondamentale pour raisonner loin des tendances du moment. Elle s'appuie sur nos besoins sans notion d'époque ou de lieu.

On comprend immédiatement l'ineptie de la notion de démocratisation du luxe ! Cela reviendrait à dire que cette échelle des besoins perdrait quelques niveaux. Au cours du temps les produits et marques escaladent la pyramide ou en dégringolent. Le luxe d'hier n'est pas celui d'aujourd'hui et probablement pas celui de demain. Mais, aussi longtemps que l'homme sera consommateur, il distinguera des produits qui le font vivre, des produits qui le distinguent ou qui le valorisent.

Le luxe d'hier n'est pas celui d'aujourd'hui et probablement pas celui de demain. Mais, aussi longtemps que l'homme sera consommateur, il distinguera des produits qui le font vivre, des produits qui le distinguent ou qui le valorisent.
Les marques de luxe, quel luxe?

Luxe : un mot pour trois réalités économiques distinctes

A quel niveau se situe la marque dite de luxe ? La réponse logique n'est-elle pas : le plus haut niveau de cette échelle, c'est à dire la satisfaction des besoins de réalisation personnelle ? Pour ma part je positionne la notion de luxe, sans l'ombre d'un doute, aux deux niveaux supérieurs : au besoin de reconnaissance ainsi qu'au besoin de réalisation de soi. Le besoin de reconnaissance s'appuie sur le regard des autres, il s'exprime donc dans un contexte social : la marque doit y être connue et reconnue pour que les autres me positionnent dans l'échelle sociale. Phénomène de notoriété donc, disons plus clairement phénomène de prestige. Cette forme de luxe peut être qualifiée de luxe de prestige.

Les marques de luxe, quel luxe?
Dans le cas des besoins de réalisation personnelle, il s'agit d'une quête intériorisée, liée à la culture, aux sens des valeurs humaines, à la recherche du bonheur. Ici, le consommateur est en demande de produits en résonance intime avec lui, son histoire, son enfance et son chemin personnel. Alors que dans le luxe de prestige, on recherche le regard des autres, ici nous avons à faire à un échange privé, un tête-à-tête. Nous sommes en présence d'un luxe d'exception, un luxe élitiste. Par le phénomène de la rumeur, infondée, d'une "démocratisation du luxe", je suis tenu d'élargir la notion du luxe jusqu'à ces produits qui s'autoproclament à longueur de publicités, produits de luxe.
Quand il s'agit de produits fabriqués en grande série, qu'il conviendrait d'appeler "haut de gamme". Il n'y a pas dans les gènes de ces marques les "fondamentaux" qui ont de tous temps été à la base du luxe : savoir-faire, création, tradition, rareté et charisme de marque. Lancel, Mercedes, Seiko et de nombreuses autres marques sont à placer dans cette troisième catégorie. Elle n'est pas une sous-catégorie pour autant ! Ces produits ont des performances égales, voire supérieures, aux marques de prestige ; elles représentent, par définition, le meilleur d'une gamme ou d'un secteur de marché. Elles se comparent à un marché. Ce qui n'est pas le propos du luxe. Peut-on prétendre qu'un sac Vuitton est de meilleure qualité qu'un sac Lancel ? Ou qu'une montre Blancpain est plus précise qu'une montre Seiko ? Qu'une Bentley est plus sûre qu'une Audi ? Ne confondons pas émotion et raison.



Le luxe d'exception

Le luxe élitiste ou d'exception s'appuie sur la tradition d'un savoir-faire unique, localisé, culturel. Ce savoir-faire peut être lié à un pays comme les grands crus français, à un artisanat de famille comme Hermès, à une ville comme les joailliers de la Place Vendôme à Paris, à un homme comme les cigares Davidoff ou les thés Jean Montserren. A l'origine, ces produits, fabriqués à la demande des grands de ce monde, étaient très souvent des pièces uniques pour lesquelles la distinction entre art et artisanat était très floue. La production impose de nos jours les multiples, mais les procédés de fabrication peuvent être inchangés. Le carré Hermès est produit avec les mêmes techniques qu'à l'origine. Cartier a failli descendre d'un niveau et devenir une marque de prestige avec ses Must. Ils ont été abandonnés pour mieux repositionner la marque dans le luxe d'exception, celui de la haute joaillerie. Fauchon qui se recentre sur son unique épicerie de la Madeleine a frôlé la catastrophe pour ne pas avoir compris le fonctionnement des trois niveaux du luxe. La meilleure communication pour ce type de produits de luxe reste le bouche à oreille, entre initiés qui se passent les bonnes adresses…



Le luxe de prestige

Le luxe de prestige est né de la toute puissance des médias qui font et défont les hommes politiques, les stars et… les marques de prestige ! Ces dernières sont très souvent issues de marques de luxe d'exception qui ont réussi commercialement et se sont développées. Nous sommes dans le domaine du faire-savoir même s'il s'appuie sur un savoir-faire. Quelle est la dernière star qui va représenter le N°5 de Chanel ? Quel designer a décoré le nouvel hôtel Hayatt de Bankok ? Quel artiste japonais a osé faire joujou avec les millésimés de Vuitton ? Etc. Autant de questions qui ne se posent pas pour les marques de luxe d'exception qui s'appuient avant tout sur le produit. Il faudrait donc parler de "produits" de luxe pour le luxe d'exception et de "marques" de luxe pour le luxe de prestige puisque pour ce dernier, la marque importe plus que le produit lui-même puisque le client vient chercher auprès d'elle une reconnaissance de son statut.



Hermès et Vuitton sont passés maîtres dans l'art de faire d'incessants aller et retour entre le luxe d'exception et le luxe de prestige.


Le luxe haut de gamme

texte alternatif
Le luxe haut de gamme puise sa source dans l'hyper consommation, l'abondance de biens et l'élévation du niveau de vie des consommateurs. Sans oublier que tout reste relatif d'une région à une autre. Pour bon nombre de consommateurs africains ou asiatiques, Nivea est du haut de gamme ! Le luxe haut de gamme se réfère toujours à des performances supérieures, à une plus haute technicité par rapport aux autres produits de la gamme de la même marque ou des concurrents. Les marques de parfum entrent dans cette catégorie. Trop de nouveautés, trop d'acteurs venus de tous horizons - Adidas, Ferrari,… - ont atteint la magie propre au monde du parfum. Les supermarchés que sont devenues les parfumeries sont l'illustration logique de cette évolution. Quant au public éclairé, celui qui fait et défait les réputations, il sait que les usines à "jus" se comptent sur les doigts d'une main et qu'elles fournissent aussi bien Danone, Ariel que Lancôme… Quelques artisans, tels que Serge Lutens, ouvrent une niche, celle des créateurs de parfums. Ils réussiront, peut-être, à repositionner des marques de parfum dans le luxe d'exception.


La loi de la pesanteur

Les marques de luxe d'exception ont par définition un marché restreint. Tout le monde ne peut pas s'offrir une montre suisse fabriquée à cent exemplaires par an ! L'intelligence d'un Bernard Arnault est d'avoir compris, avant les autres, le mécanisme des trois niveaux du luxe. Son groupe, le premier au monde dans l'univers du luxe, regroupe des marques d'exception transformées en marques de prestige, marché qui allie les prix élevés… à une cible infiniment plus large que celle du luxe d'exception. Ainsi Dior, Vuitton sont passés de la catégorie des produits d'exception à celle des marques de prestige. C'est une descente vers des terres plus "vulgaires" certes, mais elle est volontaire et contrôlée ! Elle s'est effectuée à coups de créateurs inspirés et charismatiques, d'opérations de promotions éblouissantes, de campagnes de publicité iconoclastes, de créations incessantes de produits, de points de vente transformés en temples de la marque où rien n'est trop beau et trop cher. Stratégie pertinente à condition d'éviter la loi de la pesanteur qui s'applique aussi aux marques : "descendre" de l'exception au prestige peut conduire la marque à descendre d'un niveau supplémentaire, celui du luxe haut de gamme, où le marché est encore plus vaste certes, mais où les marges nettement moins élevées. Comment passer du marché étroit à très fortes marges au marché large du prestige ?



L'escalier du luxe

dministrer régulièrement des piqûres de rappel composées d'ingrédients du luxe d'exception telles que les créations de séries limitées à prix insensés, la présence d'artisans traditionnels dans les magasins, les pénuries organisées, des expositions illustrant les codes génétiques de la marque, la mise sur le marché d'un produit historique, des cuvées spéciales, des millésimes rares, etc. Hermès et Vuitton sont passés maîtres dans l'art de faire d'incessants aller et retour entre le luxe d'exception et le luxe de prestige. Ainsi, contrairement à l'emploi excessif et inapproprié du terme "luxe" galvaudé par tous, il reflète une réalité tripartite. Chacune a ses règles et ses lois. A les confondre ou les ignorer, c'est le futur de la marque qui est en danger car il est plus facile de descendre "l'escalier du luxe" que de le remonter.




Notes

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