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Revue des Marques - numéro 44 - Octobre 2003
 

 

Droit des marques : Un tour d'horizon de la jurisprudence récente
Confirmation de solutions antérieures ou innovation ?

par Par Jean-Christophe Grall et Emmanuelle Laur-Pouëdras M&G - Meffre & Grall Avocats à la Cour

L'automne – période traditionnellement vécue comme la « rentrée » - est propice à un retour sur les mois écoulés et plus particulièrement, en ce qui nous concerne, sur l'actualité du droit des marques.
 
Les différentes décisions envisagées ci-dessous viennent tout à la fois conforter, et affiner, des solutions admises antérieurement, mais aussi innover.
 
Rappelons que la fonction essentielle de la marque est de garantir au consommateur ou à l'utilisateur l'identité d'origine du produit ou du service portant la marque en lui permettant de le distinguer, sans confusion possible, de ceux ayant une autre provenance. Il s'agit d'un signe distinctif fondamental rattachant un produit ou un service à une image, une technicité, une crédibilité, une notoriété, garantissant en outre un haut degré d'exigence de son titulaire.
 
Cette finalité sous-tend les décisions retenues, qui peuvent être regroupées en quatre thèmes principaux : les éléments constitutifs de la marque , l'acquisition du droit à la marque , la perte de ce droit et enfin les atteintes à la marque .
 

Les éléments constitutifs de la marque

Du caractère distinctif des différents termes d'un signe composé : « enjoy » estimé faiblement distinctif au regard de « Coca-Cola »
 
Si seul un signe distinctif peut être enregistré à titre de marque, encore convient-il de déterminer, dans l'hypothèse d'un conflit entre deux marques, dont l'une est composée de plusieurs termes, celui qui est distinctif.
 
Ainsi, l'opposition formée par la société Coca Cola, titulaire de la marque semi-figurative « Enjoy Coca Cola », à l'encontre de l'enregistrement de la marque « Enjoy » a été rejetée au motif qu'au sein de la marque « Enjoy Coca Cola » certes antérieure, « l'élément distinctif et dominant est “Coca-Cola”et non “Enjoy” » et que, par voie de conséquence, « il ne peut y avoir de confusion entre la marque antérieure composée de deux termes dont l'un “ Coca-Cola” est très distinctif et dominant, et le signe contesté qui ne vise qu'un seul terme, faiblement distinctif »(1) .
 
Des différents signes susceptibles de constituer une marque
 
Tout signe ne peut pas juridiquement constituer une marque, cependant la jurisprudence est de plus en plus innovante en ce domaine.
 
Et si le droit des marques ne s'intéresse pas aux unités monétaires…
 
Une société ISL, titulaire de la marque représentée par un « C » traversé en son milieu d'une double barre, avait estimé que la Commission européenne avait engagé sa responsabilité, en utilisant et incitant les tiers à utiliser le symbole de l'euro, similaire à sa marque.
 
Le Tribunal de première instance des Communautés européennes a refusé de considérer le symbole de l'euro comme une marque au motif que « le symbole officiel de l'euro ne constitue pas un signe apposé sur des produits ou services afin de les distinguer d'autres produits ou services et de permettre ainsi au public l'identification de leur origine, mais est destiné à désigner une unité monétaire et sera couramment précédé ou suivi d'une indication numérique ».
 
…il s'aventure en revanche dans le domaine sensoriel
 
Formes, couleurs et même, odeurs, ont été abordées avec un bonheur inégal pour les déposants.
 
La vue est un sens déjà largement appréhendé par le droit des marques  mais dont le domaine a été enrichi dans deux directions : les marques tridimensionnelles et les marques constituées de couleurs.
 
S'agissant des marques tridimensionnelles (marques composées de la forme du produit ou de son conditionnement), la Cour de Justice des communautés Européennes (CJCE) a rappelé dans un arrêt du 8 avril 2003 que l'examen du caractère distinctif d'une telle marque devra tenir compte de « l'intérêt général (…), à savoir que toutes les marques tridimensionnelles constituées par la forme d'un produit composées exclusivement de signes ou d'indications qui peuvent servir à désigner les caractéristiques d'un produit ou d'un service soient librement à la disposition de tous et ne puissent faire l'objet d'un enregistrement ».
 
S'agissant des couleurs, leur enregistrement à titre de marque est admis mais la CJCE a précisé dans un arrêt du 6 mai 2003 les conditions dans lesquelles une couleur peut être protégée en tant que marque(2)  : « une couleur en elle-même, sans délimitation dans l'espace, est susceptible de présenter, pour certains produits et services, un caractère distinctif au sens de l'article 3 de la première directive 89/104/CEE du Conseil, (…) à condition, notamment, qu'elle puisse faire l'objet d'une représentation graphique qui soit claire, précise, complète par elle-même, facilement accessible, intelligible, durable et objective. Cette dernière condition ne peut pas être satisfaite par la simple reproduction sur papier de la couleur en question, mais peut l'être par la désignation de cette couleur par un code d'identification internationalement reconnu. ».
 
Et d'ajouter :
 
« Pour apprécier le caractère distinctif qu'une couleur déterminée peut présenter en tant que marque, il est nécessaire de tenir compte de l'intérêt général à ne pas restreindre indûment la disponibilité des couleurs pour les autres opérateurs offrant des produits ou services du type de ceux pour lesquels l'enregistrement est demandé.
 
Une couleur en elle-même, peut être reconnue comme ayant un caractère distinctif au sens de l'article 3 de la première directive 89/104/CEE, à la condition que, par rapport à la perception du public pertinent, la marque soit apte à identifier le produit ou le service pour lequel l'enregistrement est demandé comme provenant d'une entreprise déterminée et à distinguer ce produit ou ce service de ceux d'autres entreprises. »
 
L'odorat – ce qui est plus surprenant et concrètement difficile à mettre en place – est également appréhendé par le droit des marques, qui admet, dans des conditions restrictives, voire impossibles à remplir en pratique, l'existence de marques olfactives.
 
Il avait été admis en 1999 par l'OHMI qu'une odeur d'herbe fraîchement coupée pouvait être déposée en tant que marque communautaire.
 
La CJCE a confirmé qu'un « signe qui n'est pas en lui-même susceptible d'être perçu visuellement », en l'espèce une odeur, peut être protégé « à condition qu'il puisse faire l'objet d'une représentation graphique, en particulier au moyen de figures, de lignes ou de caractères, qui soit claire, précise, complète par elle-même, facilement accessible, intelligible, durable et objective(3) » , tout en précisant que « s'agissant d'un signe olfactif, les exigences de la représentation graphique ne sont pas remplies par une formule chimique, par une description au moyen de mots écrits, par le dépôt d'un échantillon d'une odeur ou par la combinaison de ces éléments ».
 
Ces exigences, légitimes au regard de la finalité d'une marque, qui est d'éviter toute ambiguïté dans sa perception, rendent quasiment impossible l'enregistrement d'une odeur à titre de marque. A suivre !
 

L'acquisition du droit à la marque

De l'identification du déposant : pseudonyme ne vaut pas !
 
Afin d'être pleinement valable et opposable, une marque doit être enregistrée au nom d'un déposant identifié par ses nom et prénoms.
 
Si un nom d'usage ou un pseudonyme peut venir compléter cette identification, une marque déposée sous le seul pseudonyme du déposant sera ensuite inopposable par ce dernier à tout tiers et donc, à un contrefacteur(4). Et ce, même lorsque le déposant est Dick Rivers !
 
De l'utilisation d'un nom patronymique à titre de marque ; un préalable : l'accord du titulaire
 
Si un nom patronymique peut valablement être enregistré à titre de marque, encore faut-il que le titulaire du patronyme y consente !
 
C'est ce que la Cour de cassation a rappelé s'agissant du célèbre Chef Alain Ducasse : « le consentement donné par un associé fondateur, dont le nom est notoirement connu, à l'insertion de son patronyme dans la dénomination d'une société exerçant son activité dans le même domaine, ne saurait, sans accord de sa part et en l'absence de renonciation expresse ou tacite à ses droits patrimoniaux, autoriser la société à déposer ce patronyme à titre de marque pour désigner les mêmes produits ou services » .(5)
 
Non aux dépôts de marque destinés à empêcher les tiers d'utiliser un terme !
 
Pour être valable, le dépôt d'une marque ne doit pas être frauduleux, c'est à dire qu'il ne doit pas être effectué dans le seul but de priver un tiers de sa liberté d'utiliser un terme.
 
C'est ainsi que la Cour d'appel de Paris a condamné une société dont l'activité était le conseil aux entreprises, au motif que « le dépôt de la marque “halloween” pour désigner le sucre et la confiserie ne tendait manifestement pas à désigner un produit ou un service mais seulement à tenter d'empêcher l'ensemble des professionnels d'utiliser librement le nom d'une fête très liée à la confiserie, sauf à accepter des contrats de licence ; un tel dépôt qui détourne le droit des marques de sa finalité est frauduleux » .(6)
 

La perte du droit de marque lié à l'absence d'usage sérieux : le droit et l'exigence

Afin qu'une marque puisse être utilement invoquée dans le temps, convient-il encore qu'elle fasse l'objet d'un usage sérieux.
 
Ainsi, la CJCE a-elle été interrogée sur le point de savoir si le fait qu'une entreprise n'avait pas mis de nouveaux appareils portant la marque sur le marché, mais révisait des appareils usagés, déjà commercialisés, équivalait à un usage sérieux de la marque(7)?
 
Elle a répondu favorablement à cette question, le 11 mars 2003, en considérant « qu'une marque fait l'objet d'un “usage sérieux” lorsqu'elle est utilisée […] aux fins de créer ou de conserver un débouché pour ces produits ou services […]. La circonstance que l'usage de la marque ne concerne pas des produits nouvellement offerts sur le marché mais des produits déjà commercialisés n'est pas de nature à priver cet usage de son caractère sérieux, si la même marque est effectivement utilisée par son titulaire pour des pièces détachées entrant dans la composition ou la structure de ces produits ou des services qui se rapportent directement aux produits déjà commercialisés et qui visent à satisfaire les besoins de la clientèle de ceux-ci ».
 
Il n'est pas nécessaire en outre que l'usage de la marque soit toujours quantitativement important pour être qualifié de sérieux, tout dépend des caractéristiques du produit concerné.
 
C'est ce qu'a retenu l'OHMI le 3 décembre 2002 dans une affaire dans laquelle la société The Ritz Hotel s'opposait à l'enregistrement de la marque « Ritz » par une autre société pour désigner des vêtements, cette dernière soutenant que le titulaire de la marque ne faisait pas un usage sérieux de sa marque(8), les ventes ne portant en effet que sur une dizaine d'articles par référence.
 
L'OHMI a considéré que « le seuil à partir duquel un usage peut être qualifié de sérieux est directement lié à la nature du produit ou du service. On ne peut exiger pour une marque protégeant des produits de luxe, qui font l'objet d'une commercialisation réduite, la même intensité d'usage que pour une marque servant à distinguer des produits ou services de consommation courante ». On ne peut que se féliciter du réalisme des magistrats à ce titre.
 

Les atteintes à la marque : la reconnaissance ou non d'une contrefaçon

Un équilibre délicat entre liberté d'expression et monopole de la propriété intellectuel
 
A l'occasion de deux affaires concernant Greenpeace France, qui avait reproduit sur son site Internet la marque « Esso » devenue « E$$O » ou « STOP E$$O » ainsi que des marques du Commissariat à l'Energie Atomique (associés à des têtes de mort et des bombes nucléaires), afin de critiquer la politique de ces deux entités, la Cour d'appel de Paris a fait prévaloir la liberté d'expression(9) , en estimant que ce principe à valeur constitutionnelle ne pouvait « subir que les restrictions rendues nécessaires par la défense des droits d'autrui », que les modifications apportées aux marques montrent « clairement sa volonté de dénoncer les activités de la société dont elle critique les incidences sur l'environnement, sans induire en erreur le public quant à l'identité de l'auteur des messages » et enfin que l'usage de ces marques « relève d'un usage polémique étranger à la vie des affaires ».
 
Un équilibre non moins délicat entre information du public et respect des droits de propriété intellectuelle
 
Dans une affaire relative à la marque « Porsche », le Tribunal de grande instance de Paris a jugé que la société Sport Autogalerie pouvait faire usage des marques comportant la dénomination « Porsche » pour identifier des véhicules d'occasion, des pièces détachées et des accessoire, ces produits étant des produits authentiques détenus et offerts à la vente de façon légitime, cette référence étant en effet nécessaire à l'information du public. Toutefois, la reproduction démultipliée du blason « Porsche » en fond d'écran ainsi que celle de la marque « 911 » qui apparaît seule sans être rattachée à une offre de vente de ce type de véhicule ou à au moins à une information en rapport avec celui-ci  est constitutive de contrefaçon .(10)
 
La fin des contrefaçons partielles et par adjonction
 
Plusieurs types de contrefaçon d'une marque existent : reproduction à l'identique, reproduction partielle, reproduction par adjonction (sanctionnées par les articles L.713-2 du CPI) et la reproduction par imitation (sanctionnée par l'article L.713-3 du CPI, à condition qu'il existe un risque de confusion).
 
Or, la notion de contrefaçon par reproduction à l'identique connaît, en jurisprudence, une certaine expansion, au détriment des autres types de contrefaçon et surtout d'une certaine rigueur.
 
La CJCE a ainsi estimé, le 20 mars 2003, dans une affaire opposant les marques « Arthur » et « Arthur et Félicie », qu'un « signe est identique à la marque lorsqu'il reproduit, sans modification ni ajout, tous les éléments constituant la marque ou lorsque, considéré dans son ensemble, il recèle des différences si insignifiantes qu'elles peuvent passer inaperçues aux yeux d'un consommateur moyen » .(11)
 
Les reproductions partielles et par adjonction devraient donc désormais être sanctionnées sur le seul fondement de l'article L.713-3 qui exige la preuve d'un risque de confusion, ce qui peut se révéler difficile à démontrer, l'article L.713-2 visant les reproductions à l'identique ou quasi identique, pour lesquelles aucun risque de confusion n'est requis, la reproduction de la marque suffisant à elle seule à établir une contrefaçon.
 
Insertion de la marque d'un fournisseur dans un prospectus publicitaire du distributeur : sanction possible !
 
L'utilisation par un distributeur de la marque d'un fournisseur dans un prospectus publicitaire ne constitue pas une contrefaçon à la condition que cela soit fait dans un but d'information et non pas dans un but publicitaire, afin d'attirer le consommateur par des produits leader qui ne sont pas même proposés dans le magasin, cette pratique s'apparentant à celle des marques d'appel(12)  ; c'est ce qu'a rappelé avec force la Cour d'appel de Paris le 31 janvier dernier.
 
Reproduction d'une marque dans un titre d'article de journal
 
La Cour de cassation a estimé que la reproduction à l'identique d'une marque, déposée pour des produits de photographies, journaux, périodiques et tous produits d'imprimerie, en tant que titre d'un article, était constitutive d'une contrefaçon, « peu important que cet article n'ait pas fait l'objet d'une vente autonome dès lors que son intitulé reproduisait la marque déposée pour des produits identiques »(13).
 
Cette solution est conforme à l'état du droit s'agissant de produits identiques, mais peut paraître sévère dans son automatisme et dans son absence d'infléchissement possible dans l'hypothèse de l'absence de vente autonome de l'article en cause.
 
On peut constater avec ces deux dernières décisions que les magistrats savent faire preuve de beaucoup de rigueur dans l'application des règles protégeant les titulaires d'une marque, ce qui est heureux.
 
1) CA Paris, 4ème ch, 28/03/03,  The Coca-Cola Company c/ INPI et Anaxhaoza Cadier
2) Question préjudicielle du Hoge Raad Der Nederlanden  - aff Libertel c/ Benelux-Merkenbureau
3) CJCE, 12/1202, sur question préjudicielle – aff. Ralf Sieckmann et Deutsches Patent und Markenamt
4) CA Paris, 4ème ch, 25/02/03, René Forneri (dit Dick Rivers) c/ LCS
5) Cassation, ch. com., 6/0503, Alain Ducasse c/ Alain Ducasse Diffusion
6) CA Paris, 4ème ch, 13/12/02, Ch. Synd Nationale de la Confiserie c/ Optos-Opus
7) Sur question préjudicielle du Hoge Raad Der Nederlanden – aff. Ansul BV et Ajax Branbeveiliging BV
8) Aff. The Ritz Hotel c/ Courtauld Textiles
9) 14ème ch., 26/02/03, aff. Greenpeace France c/ Esso et SPCEA - voir aussi pour une solution identique CA Paris, 4ème ch., 30/04/03, Réseau Voltaire c/ Gervais Danone
10) 20/12/02, Porsche France c/ Sport Autogalerie
11) Sur question préjudicielle du TGI de Paris – aff. LTJ / Verbaudet
12) 4ème ch., 31 janvier 2003, Cora c/ Guigal
13) Cassation, ch. com., 14/01/03, Montreux publications c/ M6

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