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Revue des Marques - numéro 37 - Janvier 2002
 

 

PUBLICITE ET REGLEMENTATION


par Olivier Mendras, avocat à la cour de Paris

• Le thème auquel est consacré cette revue nous donne l'occasion de revenir sur une situation dans laquelle le titulaire d'une marque peut voir cette dernière, indépendamment de sa volonté et de son fait, entachée d'un vice.
 
• Une telle situation se présente lorsqu'est déposé pour désigner des boissons alcooliques ou des produits du tabac un signe identique à celui constituant une marque antérieure exploitée pour identifier d'autres produits ou services.
En vertu du principe de la spécialité, ce second dépôt n'est pas incriminable comme constitutif de contrefaçon par le titulaire de la marque antérieure puisque par définition il ne vise pas des produits identiques ou similaires.
 
• Le second dépôt et son usage peuvent cependant avoir de graves conséquences pour le titulaire de la marque antérieure en raison de la réglementation applicable à la publicité en faveur des boissons alcooliques et du tabac telle qu'elle résulte actuellement de la Loi du 10 Janvier 1991 dite Loi EVIN.
Ces dispositions prévoient qu'est considérée comme propagande ou publicité indirecte pour des boissons alcooliques ou du tabac toute propagande ou publicité en faveur d'un organisme, d'un service, d'une activité, d'un produit ou d'un article autre qu'une boisson alcoolique ou du tabac qui rappelle de tels produits par son graphisme, sa présentation, l'utilisation d'une dénomination, d'une marque, d'un emblème publicitaire ou tout autre signe distinctif (1).
 
• Rappelons que selon les dispositions de la Loi EVIN, la publicité ou la propagande directe ou indirecte en faveur des boissons alcooliques et du tabac fait l'objet d'interdictions ou est soumise à des conditions très restrictives tant en ce qui concerne son contenu que les supports dans lesquels elle est diffusée.
Ainsi, ces interdictions et ces restrictions vont s'appliquer à la publicité effectuée en faveur des produits et des services désignés par la marque antérieure qui aura été adoptée par un tiers pour désigner une boisson alcoolique ou du tabac, soit à l'identique, soit sous une forme distincte mais qui néanmoins l'évoque.
 
• Il est vrai que soucieux de la préservation des droits antérieurs, le Législateur a prévu une dérogation et a précisé que les dispositions ci-dessus rappelées ne s'appliqueraient pas à la publicité ou à la propagande pour des produits autres que des boissons alcooliques ou du tabac mis sur le marché avant le 1er Janvier 1990 par une entreprise juridiquement ou financièrement distincte de toute entreprise qui fabrique, importe ou commercialise une boisson alcoolique ou du tabac.
 
• Cette dérogation a toutefois une portée limitée puisqu'elle ne bénéficiera pas au titulaire d'une marque déposée et non exploitée avant le 1er Janvier 1990 et ne pourra par ailleurs être invoquée pour de nouveaux produits mis sur le marché après cette date dans le cadre d'une diversification ou d'une extension d'une marque déjà exploitée.
La situation ainsi créée, qui résultait déjà de la précédente Loi du 9 Juillet 1976 ayant pour objet la lutte contre le tabagisme, a été qualifiée par Monsieur Paul MATHELY quand il a commenté ce texte , d'inique et d'absurde en ce qu'elle pouvait aboutir à ce que le titulaire d'une marque soit dépouillé d'une valeur incorporelle dont l'importance peut être considérable (2).
 
• Fort heureusement, la Jurisprudence a trouvé une solution pour remédier à ces conséquences lorsqu'elle a été saisie d'actions engagées par le titulaire d'une marque confronté au dépôt d'un signe proche ou identique pour désigner de l'alcool ou du tabac.
Ces actions, comme nous le soulignions ci-dessus, ne pouvaient être fondées sur une contrefaçon ou une imitation illicite de la marque première puisque, par définition, elle ne visait pas les boissons alcooliques ou les produits du tabac destinés à être désignés par la marque seconde.
 
• Ces actions reposaient sur l'article 1382 du Code Civil et donc sur la théorie générale de la responsabilité civile ; le titulaire de la marque antérieure invoquant le caractère fautif du second dépôt et le préjudice qu'il en subissait puisqu'il ne pouvait plus pleinement et librement exploiter son titre.
Cette argumentation a été une première fois retenue par le Tribunal de Grande Instance de Paris dans une décision rendue le 24 Mars 1988 confirmée par un arrêt de la Cour d'Appel de Paris en date du 27 Septembre 1990 (3).
 
• Le litige opposait le titulaire de la marque "VORTEX" déposée et exploitée pour désigner des lessives, à une entreprise ayant procédé au dépôt de cette même dénomination pour désigner du tabac, des cigares, des cigarettes et des articles pour fumeurs.
Le Tribunal puis la Cour ont considéré que la Société demanderesse n'exprimait pas des craintes chimériques lorsqu'elle se prétendait exposée par le dépôt incriminé à une application de la Loi de 1976, régissant alors la publicité du tabac, de nature à paralyser l'usage qu'elle même aurait pu faire de sa marque.
 
• Il a donc été jugé que la Société défenderesse avait commis une faute en procédant avec une désinvolture pour le moins imprudente à un dépôt ayant privé la marque antérieure de son efficacité et l'ayant par suite affectée d'un vice qui n'existait pas auparavant de telle sorte que le signe qui la constituait était ainsi pollué.
La marque seconde a donc été annulée et il a été fait interdiction sous astreinte à son titulaire d'en faire usage de quelque manière que ce soit et sous quelque forme que ce soit pour désigner des produits du tabac.

Les principes dégagés dans cette première affaire et les termes employés pour les formuler ont été de manière constante et systématique repris par la Jurisprudence ultérieure et transposés, après la promulgation de la Loi EVIN, aux dépôts de marques destinées à désigner des boissons alcooliques.
 
• Nous citerons une décision relativement récente de la Cour d'Appel de Paris qui, par arrêt en date du 20 Septembre 2000, a accueilli l'action engagée par le titulaire d'une marque destinée à désigner des vêtements à l'encontre d'une Société ayant déposé une marque identique pour désigner des boissons alcooliques (4).

La Cour a écarté l'argumentation développée par la Société défenderesse reposant sur la dérogation prévue par la Loi EVIN dont pouvait bénéficier l'entreprise titulaire de la marque première en relevant que, comme nous l'avons souligné, la portée de cette dérogation est limitée, et a considéré que le second dépôt qui avait pour conséquence de priver la marque antérieure de son efficacité en limitant son exploitation, devait être annulé.

Nous citerons également une décision du Tribunal de Grande Instance de Paris en date du 4 Mai 2001 qui présente deux particularités (5).
 
• Le première de ces particularités tient au fait que dans l'affaire qui était soumise au Tribunal le demandeur était titulaire d'une marque déposée pour désigner de l'alcool et incriminait le dépôt du même signe pour désigner du tabac en invoquant le caractère plus restrictif de la réglementation de la publicité pour ces produits par rapport à celle de la publicité en faveur des boissons alcooliques.

La seconde de ces particularités tient au fait que l'action engagée n'était pas fondée sur les dispositions de l'article 1382 du Code Civil mais sur celles de l'article L. 711-4 du Code de la Propriété Intellectuelle qui prévoient que ne peut être adopté comme marque un signe portant atteinte à des droits antérieurs et notamment à une marque antérieure enregistrée.

Le Tribunal, allant au-delà de la Jurisprudence antérieure, a donc estimé que la simple application du droit des marques, indépendamment de tout recours à la théorie générale de la responsabilité civile, permettait, en dérogeant aux principes de la spécialité, de sanctionner le dépôt d'un signe ayant pour conséquence de troubler gravement la jouissance des droits résultant d'un enregistrement antérieur.
 
• Remarquons qu'une telle solution reposant exclusivement sur le Livre VII du Code de la Propriété Intellectuelle était déjà possible par l'application de l'article L. 713-5 dudit Code qui prévoit une protection élargie, dérogatoire au principe de la spécialité, pour les marques notoires ou de renommées, mais qu'elle ne pouvait être adoptée qu'à la condition que le titulaire du dépôt antérieur puisse établir que sa propre marque présentait un caractère notoire ou de renommée pour incriminer le dépôt du même signe pour désigner des produits du tabac ou des boissons alcooliques (6).

Les principes résultant de ce dispositif jurisprudentiel sont donc maintenant bien établis et on peut penser qu'ils seront maintenus et qu'ils perdureront ; il faut l'espérer puisqu'il existe aujourd'hui une forte tendance à rendre encore plus rigoureuse et restrictive la réglementation applicable à la publicité directe ou indirecte en faveur des boissons alcooliques et des produits du tabac.
 
(1) Voir article L.17-1 du code des Débits de Boissons et article L. 355-26 du Code de la Santé Publique
(2) Annales de la Propriété Industrielle 1980 - page 157
(3) PIBD 1991 - n° 496 - III page 165
(4) PIBD n° 711 - III page 9
(5) PIBD n° 726 - III page 450
(6) Voir notamment sur ce point Jugement du TGI PARIS (3ème Chambre) du 7 Juillet 1995 - Aff. LEONARD FASHION C/LEONARD DIFFUSION (inédit).

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