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Revue des Marques - numéro 34 - Avril 2001
 

 

CONFLITS ENTRE MARQUES NOTOIRES ET NOMS DE DOMAINE, UNE EVOLUTION INQUIETANTE DE LA JURISPRUDENCE


par Olivier Mendras, avocat à la cour de Paris

• Un arrêt rendu le 29 juin 1999 par la Cour de cassation et la décision en date du 8 novembre 2000 de la Cour de Paris, statuant en audience solennelle en tant que juridiction de renvoi, sont de nature à avoir une incidence importante sur la jurisprudence concernant les conflits entre marques notoires et noms de domaines.
 
• Rappelons, qu'en application du principe de spécialité, le titulaire d'une marque notoire n'ayant pas pris la précaution de la déposer dans la classe 38, qui couvre les services de communication et donc notamment l'exploitation d'un site sur internet, ne peut valablement incriminer comme constitutif de contrefaçon un nom de domaine reproduisant ou imitant ladite marque lorsqu'il n'en est pas fait usage pour la présentation de produits ou de services identiques ou similaires à ceux qu'elle désigne (1).
 
• Dans une telle hypothèse, le titulaire d'une marque notoire pourra, toutefois, agir sur le fondement des dispositions de l'article L.7l3-5 du Code de la Propriété Intellectuelle qui pré- voient une protection étendue pour cette catégorie de signes distinctifs et disposent que leur emploi, pour des produits ou des services non similaires à ceux désignés dans l'enregistrement, engage la responsabilité civile de leur auteur s'il est de nature à porter préjudice au propriétaire de la marque ou s'il en constitue une exploitation injustifiée (2).
 
• Il est ainsi parfaitement admis que le titulaire d'une marque notoire peut solliciter, par une procédure en référé engagée en application des dispositions de l'article 809 du Nouveau Code de Procédure Civile, une mesure d'interdiction de la poursuite de l'usage d'un nom de domaine reproduisant ladite marque comme cela a été jugé par le président tribunal de grande instance de Nanterre, juridiction ayant joué le rôle d'un véritable précurseur en la matière, dans les affaires concernant les marques "Vichy" (ordonnance de référé du 16 septembre 1999) ou "Trois Suisses" (ordonnance de référé du 31 janvier 2000) ou encore "Camif' (ordonnance de référé du 17 avril 2000).
 
Licéité de l'utilisation d'un signe voisin, un mauvais signe
 
• Dans les exemples cités, les dénominations condamnées étaient rigoureuse- ment identiques aux marques revendiquées mais on pouvait espérer qu'une même solution serait adoptée au cas où le nom de domaine ne reproduirait pas servilement une marque notoire mais en constituerait l'imitation de telle sorte qu'il évoquerait immédiatement cette dernière dans l'esprit du public. Ces décisions remettent totalement en cause un tel espoir puisque, par son arrêt du 29 juin 1999, la Cour de cassation a considéré que l'action spéciale en responsabilité, instituée par l'article L.713-5 du Code de la Propriété Intellectuelle, permet de faire interdire et sanctionner l'emploi, opéré dans certaines conditions, d'une marque de renommée mais non l'utilisation d'un signe voisin par sa forme ou les évocations qu'il suscite.
 
• La Cour de Paris, devant laquelle avait été renvoyée l' affaire, a repris cette interprétation et, après avoir rappelé que l' article L.713-5 instaure une exception au principe de la spécialité et doit être interprété restrictivement, a jugé que l'utilisation du terme "Olymprix" par une entreprise de distribution ne pouvait valablement être incriminée sur le fondement de ce texte par le titulaire des marques d'usage notoires "Jeux olympiques" et "Olympique"
 
• Il convient de souligner que la Cour de Paris a fait preuve d'une très grande rigueur à l'égard de ce dernier puis- qu'elle a également rejeté ses demandes formées à titre subsidiaire sur le fondement du parasitisme en estimant que "l'article L.713-5 du Code de la Propriété Intellectuelle instaurant une action spécifique en responsabilité, les dispositions de l'article 1382 du Code Civil ne peuvent être invoquées utilement s'agissant des mêmes faits."
 
• Les juridictions du premier degré se sont pliées, sans la moindre résistance, à l'interprétation donnée par la Cour de cassation de l'article L713-5 et ont donc rejeté les demandes d'interdiction formées sur le fondement dudit article du nom de domaine "Bioterm" par le titulaire de la marque "Biotherm", comme la demande d'interdiction du nom de domaine "Ellefashion" par le titulaire de la marque "Elle"(tribunal de grande instance de Nanterre -ordonnances de référé des 7 septembre 2000 et 22 juin 2000 -Légipress -178 page 8).
 
Une évolution jurisprudentielle critiquable et très regrettable.
 
• Elle est critiquable car elle ne respecte pas l'esprit des dispositions de l'article L.713-5 du Code de la Propriété Intellectuelle qui ont manifestement pour objet de sanctionner toute atteinte parasitaire à une marque notoire et qu'une telle atteinte peut parfaitement résulter de son emploi sous une forme modifiée, dès lors qu'elle reste identifiable par ce que la jurisprudence a défini comme un "rattachement indiscret". Il est excessivement rigoureux de considérer que "Bioterm" ne constitue pas un emploi de la marque "Biotherm" et la décision, rendue le 7 septembre 2000, nous semble extrêmement dangereuse puisque si elle devait être confirmée, le système de protection particulier des marques notoires, institué par les dispositions de l' article L.713-5, serait alors véritablement vidé partiellement de sa substance.
 
• Il suffira alors à celui qui veut bénéficier indûment du caractère exceptionnel d'un signe distinctif notoire d'en modifier une seule lettre étant au surplus observé que dans l'affaire ayant donné lieu à la décision rendue par le tribunal de grande instance de Nanterre le 7 septembre 2000, une telle modification formelle laisse demeurer une identité phonétique absolue entre les deux termes en cause.
 
• Cette évolution jurisprudentielle est également regrettable en ce qu'elle résulte d'une application beaucoup trop théorique et abstraite du droit des marques qui ne correspond pas à la réalité économique. Elle peut aussi aboutir à priver le titulaire d'un signe d'identification de ses produits et de ses services ayant acquis grâce aux investissements qui lui ont été consacrés une très grande valeur attractive, de la possibilité de réagir efficace- ment à l'encontre d'agissements de nature à galvauder ce signe et donc à ruiner ses efforts. Il ne nous reste donc qu'à espérer que la jurisprudence se ressaisisse et notamment que les juges du fond résistent à l'interprétation donnée par la Cour suprême de l'article L.713-5 du C.P.ljusqu'àce que cette dernière revienne à une conception plus pratique, plus logique et plus cohérente de ce texte..
 
(1) Voir sur ce point notre article dons la Revue des Marques no31 -Juillet 2000. (2) Voir sur ce point notre article dans la Revue des Marques no7 -Juillet 1994.

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