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Revue des Marques - numéro 29 - Janvier 2000
 

 

L'EVOLUTION DU DROIT FRANÇAIS DES MARQUES AU COURS DU XXe SIECLE
Au cours du XXème siècle le droit français des marques a été régi par trois dispositifs législatifs successifs et a connu, en 1964, deux bouleversements majeurs concernant d'une part l'acquisition du droit, puisque l'on est passé de l'usage au dépôt, et d'autre part le maintien du droit puisqu'a été prévue sa remise en cause en cas d'inexploitation.


par Olivier Mendras, avocat à la cour de Paris

• La notion de marque définie comme un signe distinctif apposé sur une chose par celui qui l'a fabriquée est très ancienne puisque son origine remonte aux débuts du commerce et il est établi que les Romains faisaient figurer sur les amphores destinées à contenir leurs produits de véritables marques dont l'usurpation pouvait donner lieu à une action judiciaire. Dès le moyen-âge le droit positif français s'est préoccupé de la protection des marques en prévoyant des sanctions très sévères, sous forme de peines corporelles, aux atteintes qui pouvaient y être portées mais sous l'ancien régime, le dispositif législatif progressivement mis en place résultait essentiellement d'un souci de police du système corporatif alors en vigueur.
 
• Ce dispositif présentait, en raison des différences existantes entre les réglementations applicables selon les branches d'activités, un caractère inégalitaire qui ne pouvait qu'apparaître choquant aux révolutionnaires et ceux-ci, dans un premier temps abrogèrent tous les textes en la matière puis dans un second temps, prenant conscience des excès entraînés par une telle liberté absolue décidèrent d'instituer un système de protection uniforme et généralisé applicable à l'ensemble des manufacturiers et artisans.
 
• Ce système incorporé dans la loi du 25 germinal en XI, puis repris par le Code Pénal, prévoyait la condamnation des contrefacteurs aux peines criminelles de réclusion encourues en cas de faux en écritures privées mais comme tout système répressif manifestement trop sévère et disproportionné par rapport à la gravité des actes commis, il ne fut pas réellement appliqué en pratique par les juges de telle sorte que l'on aboutit à une mauvaise protection des marques. Il fallait remédier à cette situation et le législateur s'y attacha en élaborant le texte de ce qui allait devenir la loi du 23 juin 1857 considéré comme le premier véritable dispositif moderne de protection des marques.
 
• Au début de ce siècle, la loi votée en 1857, dont la durée de vie fut exceptionnellement longue, continuait à régir le droit des marques en France. Selon le principe fondamental sur lequel reposait le texte de 1857, le droit sur la marque s'acquérait par le premier usage mais pour être opposable aux tiers, il devait être procédé à un dépôt pouvant intervenir à tout moment et n'ayant donc qu'un effet déclaratif et non attributif de droits. Le dépôt pouvait toutefois lorsqu'il concernait une marque dont aucun usage n'avait encore été effectué, revêtir un effet indirectement attributif puisqu'il était en lui-même considéré comme ayant valeur d'acte d'usage.
 
• Quoiqu'il en soit, selon le système de la loi de 1857, l'exploitation d'une marque quelle que soit son importance géographique ou quantitative, conférait à celui qui y avait procédé, un droit dont la portée couvrait l'ensemble du territoire et qu'il pouvait faire valoir à l'encontre de tiers sous la seule condition d'avoir effectué, préalablement à l'introduction de son action, une simple formalité déclarative de dépôt. Il en résultait une grave situation d'incertitude puisque celui qui, en toute bonne foi, avait fait le choix d'une marque risquait de se voir opposer un usage antérieur même local et très limité du même signe.
 
• Une telle situation était déjà difficilement acceptable au début du siècle et les inconvénients qu'elle présentait se firent bien évidemment de plus plus ressentir au fur et à mesure des années avec l'évolution considérable du rôle des marques, l'extension de leur portée au plan national et l'augmentation des investissements nécessaires à leur lancement corrélative à l'accroissement de la publicité et à l'apparition de nouveaux médias. On aboutit donc à une remise en cause unanime du principe sur lequel reposait la loi de 1857 et à la mise en chantier d'un nouveau texte qui fut promulgué le 31 décembre 1964, reposant sur le principe de l'acquisition des droits sur la marque uniquement par le dépôt, sous réserve encore qu'il ait été, après un contrôle préalable, accepté à l'enregistrement. A compter de l'entrée en vigueur de la loi du 31 décembre 1964, soit le 1er août 1965, en France le droit sur la marque ne pouvait donc plus naître que de l'enregistrement et il fut bien évidemment prévu des mesures transitoires permettant à ceux ayant acquis des droits antérieurs par l'usage de les maintenir par un dépôt effectué dans un délai de trois ans et comportant la déclaration desdits droits antérieurs.
 
• La loi du 31 décembre 1964 a apporté une seconde réforme fondamentale en instituant l'obligation pour le titulaire de la marque de l'exploiter au risque d'être déchu de ses droits à la demande de tout tiers établissant avoir intérêt à solliciter une telle déchéance. Comme l'a parfaitement souligné Paul Mathely dans un article paru aux Annales de la Propriété Industrielle en 1982 (page 89), le texte de la loi du 31 décembre 1964 présentait de graves imperfections auxquelles ne remédièrent pas les ajouts et les modifications qui lui furent apportés par la Loi du 31 juin 1965 (votée avant même l'entrée en vigueur de la loi de 1964 !) et la loi du 30 juin 1975.
 
• Il fut donc très vite envisagé une nouvelle réforme du droit des marques et un avant-projet fut préparé, mais la proposition à laquelle il donna lieu dut être modifiée pour tenir compte de la directive du Conseil des Communautés Européennes du 21 décembre 1988 tendant à rapprocher les législations des Etats membres. C'est dans ces conditions que fut promulguée la loi du 4 janvier 1991 dont la date d'entrée en vigueur conformément à la directive fut fixée au 28 décembre 1991 et qui fut ultérieurement incorporée, comme son décret d'application du 30 janvier 1992 et l'arrêté du 31 janvier 1992, au Code de la Propriété Intellectuelle pour en constituer le Livre VII. La loi de 1991 ne comporte pas de modifications radicales, mais apporte néanmoins un certain nombre d'innovations par rapport au texte précédent. Elle institue notamment une procédure d'opposition. Elle consacre la théorie jurisprudentielle de la responsabilité civile applicable aux marques notoires et de renommée et prévoit des sanctions pour les titulaires de marques qui n'auraient pas réagi à leur dégénérescence ou qui auraient toléré pendant un délai de cinq années des actes de contrefaçon.
 
• En cette fin de siècle le droit français des marques est donc régi par ce texte dont certains considèrent que, compte tenu des remaniements impliqués par la directive du Conseil des Communautés Européennes, il comporte de sérieux défauts par rapport à la proposition
 
• Pendant les cent années qui viennent de s'écouler, le droit des marques français n'a pas connu d'autres bouleversements aussi radicaux, mais des adaptations, parfois importantes, sur un certain nombre de points, souvent inspirées par la jurisprudence et correspondant logiquement à l'évolution considérable du rôle économique de la marque au cours de cette période.
 
• Il faut rappeler qu'au début du siècle, le consommateur avait très généralement un lien direct avec ses fournisseurs dont l'activité était régionale et que les marchés se sont progressivement étendus pour couvrir la totalité du territoire ou même parfois les continents ou l'ensemble du monde.
 
Reconnaissance tardive des marques de services
 
• Une des conséquences les plus significatives de cette évolution sur le droit concerne le domaine des services qui a connu tout au long du siècle, une expansion spectaculaire
La loi 1857 ne prévoyait pas la protection des marques de services. Il a rapidement résulté de cette exclusion une situation totalement anachronique, mais il a fallu attendre la seconde moitié du siècle pour qu'elle soit dénoncée à l'occasion de la conférence de la révision de la convention de Lisbonne, en 1958, et pour que soit consacrée en droit français, par la loi de 1964, l'existence des marques de services.
 
• Une autre conséquence très significative de l'évolution du rôle économique de la marque et de l'extension des marchés réside dans l'apparition de la notion de marque notoire ou de renommée définie comme celle étant connue du plus grand nombre, tous publics confondus, et bénéficiant d'un pouvoir d'attraction propre indépendamment de sa fonction distinctive.
 
• Les marques notoires ou de renommée sont donc des marques exceptionnelles pour lesquelles fut élaboré un statut exceptionnel et dérogatoire consacré par la loi de 1991 puisque l'article L.714-4 du Code de la Propriété Intellectuelle se réfère à l'article 6 bis de la Convention d'Union qui prévoit leur protection indépendamment d'un dépôt. L'article L.713-5 du même code institue en leur faveur une protection étendue par l'application de la théorie de la responsabilité civile à l'encontre de leur usage pour des produits ou services même non similaires à ceux qu'elles désignent.
 
Des chiffres et des lettres
 
• Nous rappellerons par ailleurs qu'au cours du siècle qui vient de s'achever est intervenue, généralement à la suite des suggestions de la jurisprudence consacrées par les textes successifs, une extension progressive des types de signes susceptibles de constituer des marques légalement protégées et qu'ainsi après avoir été admise par la jurisprudence, la possibilité de déposer des lettres, des sigles, ou des chiffres a été expressément prévue par la loi de 1964, qui a en outre, mettant fin aux polémiques antérieures, également prévu la possibilité de déposer un nom patronymique.
 
Des sons et des couleurs
 
• La dernière loi votée en 1991 a encore étendu les catégories de signes pouvant bénéficier de la protection puisqu'elle y a inclu non plus les combinaisons de couleurs, mais les couleurs uniques dans une nuance précise et, tenant compte de leur importance grandissante résultant de l'augmentation de l'impact de la publicité audiovisuelle, les signes sonores. La loi de 1991, dont les dispositions constituent aujourd'hui le Livre VII du Code de la Propriété Intellectuelle, a également apporté deux innovations importantes imposées par la Directive auxquelles nous avons déjà fait référence concernant deux nouvelles causes de perte du droit sur la marque.
 
• Il résulte en premier lieu des dispositions de l'article L.714-6 du Code que sera déchu de ses droits le propriétaire d'une marque qui, comme ce fut le cas pour la dénomination "frigidaire", l'aura par sa négligence, sa passivité, et son inactivité laissée devenir une appellation usuelle dans le commerce du produit ou du service qu'elle désigne. Il résulte en second lieu des dispositions des articles L.714-3 et L.716-5 du Code que le titulaire d'une marque ne pourra agir en nullité ou en contrefaçon à l'encontre d'une marque seconde portant atteinte à ses droits s'il en a toléré l'usage pendant plus de cinq années (1).
 
• Ces innovations sont révélatrices de la très forte incidence du droit communautaire sur le droit national, également illustrée par l'élaboration et la mise en application de la théorie de l'épuisement des droits. Rappelons qu'en vertu de cette théorie conçue par la Cour de Justice des Communautés Européennes dans le fameux arrêt Centrapharm du 31 octobre 1974 (Ann. 1975 - page 13), le titulaire d'une marque ne peut prétendre en garder le contrôle absolu jusqu'à ce que le produit désigné parvienne au consommateur final et ne peut donc intervenir sur les conditions de sa commercialisation, sauf dans certaines hypothèses restrictives, après qu'il ait mis ledit produit sur le marché à l'intérieur de la zone de libre échange. En application du principe de la suprématie du droit communautaire, la jurisprudence française s'est alignée sur celle de la Cour de Justice, puis la règle de l'épuisement des droits a été consacrée par les dispositions de la loi de 1991 devenues celles de l'article L.716-4 du Code de la Propriété Intellectuelle.
 
Primatie du droit communautaire
 
• A n'en pas douter, dans l'avenir, le droit communautaire conservera une incidence tout aussi forte sur le droit national et il faut rappeler que dans la dernière décennie du siècle est né un véritable droit européen instituant une marque communautaire et un dispositif de protection spécifique applicable à ce titre. Ainsi à l'approche immédiate du XXIème siècle, pour assurer la protection des marques en France s'ajoutent au droit national un droit européen et bien évidemment le droit international puisque rappelons le, la Convention d'Union conclue en 1883, comme les actes qui l'ont complétée et les arrangements particuliers, notamment celui de Madrid du 14 avril 1991 ayant créé la marque internationale, s'applique en droit interne. On aurait pu penser que l'évolution législative au cours du XXème siècle aurait tendu vers un renforcement de la protection des marques correspondant logiquement à l'extraordinaire évolution de leur rôle, de leur importance et de la valeur que certaines d'entre-elles représentent.
 
Vers un droit contraignant
 
• En réalité, force est de constater que la tendance est inverse puisque les réformes successives ont généralement eu pour effet d'augmenter les obligations et les contraintes mises à la charge du titulaire d'une marque pour maintenir son droit et le faire valoir, étant au surplus observé qu'au cours de ces dernières années, sous l'influence du droit communautaire, cette tendance s'aggrave de manière inquiétante. Qu'il nous suffise de rappeler que celui qui entend protéger une marque s'est vu imposer au cours du siècle l'obligation de la déposer, l'obligation de l'exploiter, l'obligation d'éviter sa dégénérescence, l'obligation de réagir rapidement à l'encontre de contrefaçons ou encore l'obligation d'engager une procédure au fond avant de pouvoir solliciter une mesure d'interdiction provisoire. Même si le droit sur la marque consiste en un droit d'occupation dérogatoire à certains principes généraux de liberté, une telle évolution qui correspond à une conception théorique et parfois technocratique du droit des marques ne se justifie pas et n'est pas cohérente avec la situation économique ; il serait donc regrettable qu'elle se poursuive au cours du siècle à venir.
 
(1) Cf article paru dans la Revue des Marques du 15 juillet 1996.
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